On avait vu la catastrophe venir. En tous les cas nos perspicaces services de renseignements ont sonné le tocsin. Mais tout le monde ou presque faisait semblant d’avoir mal aux yeux. Aujourd’hui l’affrontement sanglant des affidés de Ousmane Tanor Dieng et de Khalifa Sall dans un bureau politique qui a enregistré un nombre impressionnant de présences est la preuve accablante que l’hypocrisie entretenue à tort au sein de cette formation politique historique est une bombe à retardement dont l’éclatement va inévitablement occasionner des dégâts insoupçonnés.
Quelle lecture faire du séisme musculaire qui a sévi aujourd’hui dans le Temple sacré du socialisme sénégalais ? La première observation qui s’impose à l’analyste soucieux d’objectivité est que Ousmane Tanor Dieng ne doit plus prendre le risque de se faire encore des illusions ; car, toute proportion gardée, l’espace de son pouvoir de leader a enregistré des fissures considérables qu’il serait insensé de chercher à camoufler. Les militants qui se sont violemment exprimés aujourd’hui contre ses postures jugées abusivement favorables vis-à-vis du « Macky » et ses desideratas, constituent une force politique non négligeable porteuse d’un faisceau d’insatisfactions dont il serait plus sage d’interroger les causes lointaines et profondes. En effet, si tant est que la volonté vigoureusement affichée du successeur de Diouf de mettre à la disposition du « Macky » cette redoutable machine électorale qu’est le Parti Socialiste est un choix politique sincère et irréversible, il a tout intérêt à se départir au plus vite d’un certain aplomb pour engager un débat convivial avec ses « frères dissidents ». Nous n’entrevoyons aucune issue favorable possible si OTD s’autorise à afficher un certain mépris vis-à-vis des vagues de contestations qui labourent son leadership. Cet effort de souplesse est d’autant plus opportun que, quelle que soit la réaction de « l’autre camp », il marquera inévitablement des points importants dans l’estime du Citoyen sénégalais pour avoir entrepris le geste rassembleur que tous les démocrates attendent de lui dans une situation de crise interne aussi inexorable.
Il faut dire qu’au jour d’aujourd’hui, la grande illusion qui habite l’homme Ousmane Tanor Dieng, et qui, à notre sens, risque de le perdre pour de bon, c’est de vivre avec la certitude d’avoir un contrôle herculéen, inébranlable, sur d’importantes masses militantes, qu’il a matinalement pris le soin d’endoctriner, d’inféoder à ses obsessions, de préparer chaque jour davantage comme un trésor de guerre inestimable et prêt à l’emploi pour n’importe quelles joutes électorales. Cette perception, évidemment, est loin d’être de refléter la réalité, qui est toute autre. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise, dit l’adage. L’évolution des grands partis est aussi faite de séries d’effritements silencieux dont le cumul excessif débouche forcément sur des éboulements spectaculaires. Dans le cas du PS, nous sommes d’autant plus fondés à considérer comme sérieuse et crédible cet amincissement tragique autour de la personne de Tanor Dieng que l’homme, c’est connu, n’est pas à proprement parler, une foudre politique. Pour rester dans les limites de l’euphémisme, nous dirons qu’il lui manque l’éloquence d’un Idrissa Seck, le charisme d’un maître Wade, le sens de la répartie d’un Khalifa Sall et la fougue lumineuse d’une Aissata Tall SALL. Il s’y ajoute que, comme l’a fort pertinemment rappelé un de ses contempteurs sur les ondes d’une radio, le « capitaine » socialiste a, mine de rien, perdu trois matches électoraux depuis qu’il a été propulsé à la tête du Parti dans les conditions que l’on sait. C’est là une comptabilité fatale, absolument défavorable à son image de chef.
Tout ce qui vient de se dire plus haut ne constitue pas cependant un motif suffisant pour pousser ses potentiels successeurs à la tête du Parti, autant dire ses rivaux (en l’occurrence Khalifa Sall et Aïssata Tall Sall), à croire déjà que le tour est joué, que les dés sont jetés, que le « pachyderme » est définitivement à terre et qu’il faut dès à présent préparer les couteaux pour le dépeçage. Si malgré les coups fourrés, les attaques en règle, l’homme de Diendieng persiste encore à opter pour la confrontation, il peut bien créer des surprises favorable à son entêté désir de faire valoir encore son autorité. En d’autres termes, s’il est vrai que le triste spectacle de chiffonniers que les militants socialistes ont servi aujourd’hui aux Sénégalais comme hors d’oeuvre procède d’une instrumentalisation, on peut se demander alors à juste titre si les « maîtres d’orchestre » n’ont pas sauté des vitesses dans la mise en œuvre de cette campagne de décrédibilisation de leur vis-à-vis dont l’opinion les soupçonne.
Quoi qu’il en soit, en exposant urbi et orbi leurs déchirements, les caciques du PS viennent, dans le même temps, de planter un couteau dans la tête du peuple sénégalais pour la diviser en deux parties : celle qui approuve la politique du régime en place pour des raisons évidentes et celle qui s’aligne sur ce que l’on pourrait appeler une désobéissance patriotique, parce que convaincue que la collision entre le parti au pouvoir et une frange du PS n’est ni plus ni moins qu’une lâche entente faite pour vendanger des acquis démocratiques fondamentaux.
Des insultes incendiaires ont fusé dans le Temple. Des mécontentements longtemps ourdis se sont ouverts comme des cratères. Des ouailles du « Khalife se sont défoulés à loisir contre le « OUI » massif du désormais faux « Ténor ». Des coups ont volé, certainement trop haut, en direction des boucliers, en attendant d’atteindre l’autorité suprême qu’ils prétendent protéger. C’est un spectacle désolant et grossier pour un parti de cet âge et de cette dimension, n’est-ce pas ? On voudrait ne plus jamais voir ça. Mais hélas, il est presque trop tard. Les gens ont trop joué au chat et à la souris, et ont laissé la mare se remplir de diables pressés d’exprimer leur légitimité à coups de morsures mortelles. Ainsi donc, le PS jadis trop beau, aujourd’hui en lambeaux, va inexorablement vers son vrai destin : une implosion effroyable dans l’antre d’une démocratie de parti fragilisée par une sombre culture d’opportunisme et de démagogie…