Le Sénégal est agité depuis plusieurs mois par un débat relatif à la nationalité des candidats à l’élection présidentielle. Ce débat trouve sa source dans l’article 28 de notre Constitution qui exige que tout candidat à la présidence de la République soit « exclusivement de nationalité sénégalaise ». L’importance de l’institution présidentielle dans notre système politique et la sensibilité de la question de la nationalité – au regard de ses incidences sur la vie politique et sur la cohésion nationale - imposent deux défis à prendre en compte dans le traitement de cette problématique. D’abord, il s’agira de faire preuve de rigueur juridique pour pouvoir répondre avec pertinence à la complexité de la mise en œuvre de l’article 28 de la Constitution. Ensuite, il importera d’observer une règle d’impartialité politique, pour ne pas dire l’impartialité tout court, dans la mesure où la question soulevée mérite mieux que ce qui pourrait être perçu ou interprété comme des solutions de circonstance et un traitement politicien dont la seule finalité serait d’éliminer des citoyens sénégalais de la compétition électorale.
Nous voudrions, dans les lignes qui suivent, relever ce double défi, en précisant d’emblée que notre intérêt pour la question n’est pas nouveau. En 2011 déjà, en tant que membre de la Commission technique chargée de la revue du Code électoral, nous avions soulevé l’inefficience des mécanismes garantissant le respect de l’article 28 et la nécessité de fixer un délai précis permettant à tout plurinational, candidat à la présidence de la République, de se conformer à l’exigence constitutionnelle. L’expert en questions électorales, Monsieur Ndiaga SYLLA, lui aussi membre de cette commission, a rappelé récemment notre position de l’époque, dans une contribution publiée dans la presse.
Il est essentiel, à notre sens, de repréciser les termes du débat afin de démontrer qu’il ne s’agit nullement de spéculer dangereusement sur une quelconque « sénégalité ». Ce n’est pas la « plurinationalité » du citoyen lambda qui est en cause - bien que cette « plurinationalité » ne soit pas légalement possible sauf pour la personne ayant deux nationalités d’origine -, mais il s’agit bien de celle du président de la République. L’objet du débat n’est donc pas ce membre de notre équipe nationale de football ou cet émigré sénégalais qui acquiert la nationalité de son pays d’accueil, comme certains tentent de le faire croire par des comparaisons approximatives ou volontairement tendancieuses. Il s’agit de la plus haute fonction de la République du Sénégal, une fonction UNIQUE que le peuple souverain confie à une SEULE personne par le suffrage universel. Cette fonction est celle de président de la République et de chef de l’État.
Ce débat n’a pas pour objet de stigmatiser, de diviser ou de discriminer qui que ce soit. Il n’est pas dangereux. Il est plutôt utile, sérieux et d’autant plus important qu’il concerne la plus haute institution de notre pays et l’État de droit qui implique, avant tout, la soumission à la Loi. Il nous semble particulièrement hasardeux que la pratique du contrôle de la régularité des candidatures à la présidence de la République puisse ouvrir la porte à une violation constante de la Constitution par ceux-là même qui aspirent à être les garants de l’État de droit.
Cette précision étant faite, l’analyse des points de vue exprimés montre que deux questions essentielles doivent être soigneusement distinguées, même si la réponse à la seconde est étroitement dépendante de celle donnée à la première. Il s’agit de la question relative à la pertinence et à la légitimité de l’exigence posée par l’article 28, d’une part, et de celle des mécanismes de sa mise en œuvre, d’autre part.
La première question n’est pas anodine ; la poser impliquerait l’éventualité d’une remise en cause fondamentale de l’article 28 et, incidemment, la possibilité d’une révision de la Constitution qui marquerait un retour à la situation antérieure à la révision de 1992. Une telle éventualité permettrait à un plurinational d’accéder à la fonction présidentielle. Nous pensons devoir écarter vigoureusement cette éventualité qui, à notre connaissance, n’est défendue, pour le moment, que par Monsieur Jean Paul DIAS, Secrétaire général du BCG.
Il convient de rappeler à cet égard que l’introduction de cette disposition dans la Constitution est le fruit d’un large consensus politique traduit par la loi constitutionnelle n° 92-14 du 15 janvier 1992. Jusqu’à cette date, un président de la République détenteur de deux ou plusieurs nationalités n’aurait aucunement violé la Constitution - d’où l’inutilité, du moins juridique, de convoquer dans le débat actuel la double nationalité supposée ou réelle du président SENGHOR -.
Les justifications de ce consensus sont faciles à comprendre et largement connues. Il s’agit, d’une part, de sauvegarder la souveraineté et la sécurité du pays et de s’assurer, le mieux possible, que le président de la République, clef de voûte des institutions, a un attachement exclusif pour la Nation sénégalaise et exerce sa fonction dans le seul intérêt du seul Sénégal. D’autre part, l’exigence a une vertu préventive dans la mesure où la plurinationalité de personnes exerçant certaines fonctions peut engendrer de sérieuses difficultés juridiques, difficultés pouvant aller jusqu’à altérer gravement les relations entre États.
Que l’on songe par exemple à l’imbroglio juridique et diplomatique auquel pourrait aboutir une décision des juridictions françaises défavorable à l’État du Sénégal suite à leur saisine par les conseils de Monsieur Karim WADE, ancien ministre d’État, sur le fondement de sa nationalité française, alors qu’il a été définitivement condamné par les juridictions sénégalaises, sur le fondement, entre autres, de sa nationalité sénégalaise. Qu’en serait-il s’il s’agissait du chef de l’État ?
L’exigence que les candidats à la présidence de la République soient exclusivement de nationalité sénégalaise nous semble donc légitime et pertinente. La discrimination qu’elle introduit entre citoyens sénégalais n’est pas choquante en soi. Les raisons invoquées la justifient amplement ; l’analyse de notre propre Code de la nationalité et du droit comparé la corrobore également.
En effet, le Code de la nationalité comporte, dans certaines de ses dispositions, des discriminations entre les Sénégalais d’origine et ceux naturalisés. Ainsi, l’article 16 de la loi n° 61-10 du 7 mars 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, prévoit que celui qui a acquis la nationalité sénégalaise ne peut être investi, pendant un délai de dix ans à compter de la date du décret de naturalisation, dans des fonctions ou mandats électifs pour lesquels la qualité de Sénégalais est nécessaire. Il ne peut non plus, et pendant un délai de cinq ans, être nommé dans la fonction publique sénégalaise, être inscrit au barreau ou nommé titulaire d’un office ministériel.
Ces incapacités peuvent exceptionnellement être levées par décret ou écartées du fait des règles du droit communautaire. Nous concédons certes que de telles discriminations sont faites entre Sénégalais d’origine et Sénégalais naturalisés et que l’article 28 de la Constitution est censé s’appliquer même aux Sénégalais d’origine. Mais les raisons invoquées plus haut justifient que l’on impose à tout Sénégalais de renoncer à toute autre nationalité dès lors qu’il entend accéder à la magistrature suprême. Au surplus, le Sénégalais naturalisé retrouve l’intégralité des droits attachés à la qualité de Sénégalais, dont l’accès à la présidence de la République, dès que le délai d’incapacité a expiré.
Sur ce dernier point, alors que l’exigence de l’article 28, qui rejette la plurinationalité, est jugée sévère, l’analyse du droit comparé montre que la Constitution du Sénégal est moins restrictive que la législation de beaucoup de pays dans lesquels l’accès à la fonction de président de la République n’est réservée qu’aux nationaux d’origine, excluant de droit les naturalisés. Il en est ainsi pour le Mali, le Niger, le Gabon ou la République démocratique du Congo.
En réalité, peu d’États africains, et c’est une tendance quasi générale, admettent la candidature des naturalisés ; parmi les rares exceptions, on peut citer la Guinée ou Madagascar. Certains pays renforcent davantage les restrictions. L’ancienne Constitution du Burkina Faso exigeait ainsi de tout candidat à la présidence de la République d’être burkinabé de naissance et d’avoir des parents eux-mêmes burkinabé. Plus loin de nous, la Constitution américaine dispose, entre autres, que nul n’est éligible aux fonctions de Président s’il n’est citoyen de naissance et ne réside sur le territoire des États-Unis depuis quatorze ans.
On pourrait ajouter à ces considérations, le fait que l’article 28 de la Constitution doit être lu en rapport avec l’article 18 du Code de la nationalité relatif à la perte de la nationalité sénégalaise. Selon cette disposition, « perd la nationalité sénégalaise, le Sénégalais majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ». Il va de soi que l’impossibilité juridique ainsi prévue, d’une double nationalité, n’est pas applicable à une personne qui aurait à la fois la nationalité sénégalaise et une nationalité étrangère, par sa naissance, par le droit du sol et par le droit du sang, dans la mesure où la perte de la nationalité sénégalaise suppose, en l’occurrence, la qualité de majeur et une acquisition volontaire d’une nationalité étrangère. Il en est ainsi d’une personne née au Sénégal de parents français, mais eux-mêmes nés au Sénégal : de nationalité française d’origine du fait du lien du sang, elle serait aussi de nationalité sénégalaise par le droit du sol, en vertu de l’article premier du Code de la nationalité. Il en est de même d’une personne née aux États-unis de parents sénégalais, qui serait de nationalité américaine par le droit du sol et de nationalité sénégalaise par le droit du sang.
Par conséquent, il nous faut distinguer trois situations.
Lorsqu’un candidat à l’élection présidentielle, première hypothèse, est sénégalais d’origine et détenteur d’une nationalité étrangère par sa naissance, sa candidature n’est valable qu’à la condition de renoncer à sa nationalité étrangère parce qu’il y a effectivement une situation de « binationalité » interdite par l’article 28 de la Constitution.
S’il s’agit, en revanche, deuxième hypothèse, d’un candidat qui, devenu majeur, a volontairement acquis une nationalité étrangère, peu importe qu’il soit sénégalais de naissance ou naturalisé - ce qui importe, c’est que l’individu soit sénégalais majeur au moment de l’acquisition volontaire de la nationalité étrangère -, on n’est pas juridiquement dans une situation de double nationalité, car l’acquisition de la nationalité étrangère a automatiquement entraîné la perte de la nationalité sénégalaise, sans qu’il y ait besoin d’une formalité particulière à remplir. Tout débat sur l’article 28 serait alors superflu puisqu’on ne peut imaginer qu’une personne n’ayant pas la nationalité sénégalaise ou l’ayant perdu puisse être candidat à l’élection présidentielle.
L’on voit ainsi que le débat doit être posé, en dehors de celui sur la nationalité du candidat à l’élection présidentielle, pour toutes les personnes qui ont acquis volontairement, après leur majorité juridique, une nationalité étrangère et qui exercent des fonctions pour lesquelles la qualité de Sénégalais est requise alors qu’elles ont perdu la nationalité sénégalaise selon les dispositions de l’article 18 du Code de la nationalité.
Il reste à examiner la troisième hypothèse. Il s’agit du cas de l’étranger qui a acquis la nationalité sénégalaise. Le Code de la nationalité n’ayant pas prévu de disposition entraînant une perte automatique de la nationalité étrangère, on est effectivement dans une situation de double nationalité qui n’est pas formellement et expressément interdite. Simplement, l’article 16-bis, introduit dans le Code de la nationalité par la loi n° 84-10 du 4 janvier 1984, dispose que « la nationalité sénégalaise acquise par décision de l’autorité publique est incompatible avec le maintien d’une autre allégeance ».
L’hypothèse est juridiquement compréhensible dans la mesure où si un État peut décider des conditions d’attribution, d’acquisition, de renonciation et de perte de sa nationalité, aucun autre État n’a compétence pour légiférer sur la perte de la nationalité d’un État étranger ; ce serait une atteinte inadmissible à la souveraineté nationale. Le seul moyen juridique pour éviter cette double nationalité est, en adoptant les mêmes conditions et procédures que le droit allemand, de subordonner, au moment de sa demande de naturalisation, l’acquisition de la nationalité sénégalaise à la renonciation par le requérant à sa nationalité étrangère, renonciation attestée par un document officiel des autorités du pays étranger. Ce serait alors juridiquement une condition d’acquisition de la nationalité sénégalaise et non une condition de perte d’une nationalité étrangère.
Or donc, une difficulté pourrait surgir dans la mesure où on se retrouve en droit sénégalais dans une situation juridique inconfortable. Le naturalisé n’aurait pas perdu sa nationalité étrangère - à moins que le droit étranger ait prévu cette perte - et, en même temps, celle-ci est incompatible avec sa nouvelle nationalité sénégalaise. Si, après expiration du délai d’incapacité de dix ans, il décidait de se présenter à une élection présidentielle, l’incompatibilité prévue par l’article 16-bis conduirait à des questionnements : sa nationalité étrangère pourrait-elle être invoquée puisque ne pouvant s’en prévaloir au Sénégal ? Devrait-on pouvoir lui opposer sa nationalité étrangère ?
Mais, paradoxalement, le but poursuivi par l’article 28 de la Constitution - et les raisons qui justifient l’exigence qu’il pose - commande de considérer que le maintien de la nationalité étrangère s’oppose à la recevabilité de sa candidature ; encore qu’il faille ajouter que l’accomplissement d’actes ou les comportements incompatibles avec la qualité de Sénégalais ou préjudiciables aux intérêts du Sénégal constituent un motif de déchéance de la nationalité sénégalaise (article 21-3 du Code de la nationalité).
En définitive, la condition constitutionnelle nous semble être un compromis raisonnable et équilibré entre les législations les plus souples, admettant la candidature des plurinationaux, et celles plus sévères, exigeant d’être un national d’origine ou même d’avoir des ascendants nationaux, d’origine ou naturalisés. Fruit d’un consensus politique très large, nous doutons que les raisons qui ont justifié ce large consensus aient évolué au point de devoir le remettre en cause ; surtout qu’une telle remise en cause passerait nécessairement, au plan politique, par un nouveau consensus aussi large et, juridiquement, par une modification de la Constitution et non un simple arrangement politique qui validerait implicitement une violation flagrante de notre Loi fondamentale. Ce point étant admis, il faut toutefois reconnaître que les insuffisances des conditions de mise en œuvre de l’article 28 et de contrôle de son respect sont manifestes et il importe de les combler de manière équilibrée et impersonnelle, sans visée politicienne.
Avant d’exposer nos propositions, il faudrait rappeler que la Constitution ne détermine pas elle-même les modalités d’application permettant d’en garantir le respect absolu. En effet, seul l’article LO.114 du Code électoral impose une déclaration sur l’honneur par laquelle le candidat à l’élection présidentielle atteste que sa candidature est conforme à l’exigence de l’article 28. Au surplus, le candidat n’est tenu par aucun délai de renonciation à sa nationalité étrangère. Il pourrait même le faire au moment du dépôt de sa candidature.
La faiblesse des modalités d’application de la condition et des possibilités de contrôle, ainsi que l’absence d’un délai minimum de renonciation, cachent mal les difficultés qui sont consubstantielles à cette exigence de nationalité exclusive qui ne serait alors qu’une disposition purement cosmétique. En effet, la déclaration sur l’honneur laisse perplexe dès lors que l’on s’interroge sur la procédure de contrôle de sa sincérité et sur les sanctions des éventuelles irrégularités qu’elle comporterait.
En ce qui concerne le contrôle de régularité, c’est une compétence dévolue au Conseil constitutionnel qui, selon l’article LO.118 du Code électoral, peut procéder à toute vérification qu’il juge utile pour s’assurer de la validité des candidatures déposées. Or, il est unanimement admis que la juridiction constitutionnelle ne dispose pas matériellement du temps et des moyens nécessaires pour s’assurer que tous les candidats sont exclusivement de nationalité sénégalaise. Si la preuve de la nationalité sénégalaise peut être apportée par le certificat de nationalité, il n’y a pas, en revanche, de contrôle systématique et approfondi de la détention par les candidats d’une ou de plusieurs nationalités étrangères, un fait négatif que les juristes ont du mal à prouver.
S’il s’agit d’un plurinational, se satisfaire d’une simple déclaration sur l’honneur, sans contrôle d’une renonciation effective aux autres nationalités, nous semble être une solution d’une grande légèreté. Maître Seydou DIAGNE, un des avocats de Monsieur Karim WADE, dévoilait, au début de mois de février 2016, sur le plateau de la chaîne de télévision France 24, la nationalité française du président Abdoulaye WADE en ces termes : « Dire que Karim Wade est français est une lapalissade. Sa mère est française, son père lui-même a la nationalité française ». Que l’on découvre aujourd’hui qu’un ancien chef de l’Etat, en l’occurrence Maître Abdoulaye WADE, a conservé sa nationalité française pendant ses deux mandats présidentiels alors qu’il était censé ne pas pouvoir être candidat, est le signe patent des insuffisances de la législation actuelle en la matière.
Pire, il peut même arriver qu’un candidat ayant perdu sa nationalité sénégalaise en vertu de l’article 18 du Code de la nationalité passe entre les mailles du contrôle en cachant l’acquisition d’une nationalité étrangère et que sa candidature soit acceptée, sans qu’il n’ait demandé à acquérir à nouveau la nationalité sénégalaise et sans qu’il ne satisfasse en outre le délai requis pour pouvoir être investi pour assumer des fonctions ou mandats électifs.
Cette dernière hypothèse devrait mener à une réflexion sur la nature des sanctions à infliger à un candidat suite à une déclaration mensongère au moment du dépôt de la candidature. De ce point de vue, la comparaison entre l’élection présidentielle et les élections législatives est saisissante, tant le Code électoral a pris le soin de préciser la sanction applicable en cas de fausse déclaration d’une personne inéligible à l’Assemblée nationale (article LO.172) ainsi que la procédure en vigueur lorsqu’une liste comprend un candidat inéligible (article LO.174).
Le moment de la découverte d’une fausse déclaration d’un candidat à l’élection présidentielle permet de déterminer les sanctions envisageables. Le doute sur la véracité d’une déclaration relative à la nationalité d’un candidat peut, en effet, survenir entre le moment du dépôt et celui de la publication de la liste des candidats à l’élection. Le cas échéant, la confirmation de la plurinationalité entraîne l’irrecevabilité de la candidature.
On peut raisonnablement croire que lorsque le Conseil constitutionnel a un doute sur le respect de l’article 28 par un candidat, il devrait, en vertu de l’article LO.118 précité, faire procéder à des vérifications dans les délais très courts dont il dispose, puisque l’article 29 de la Constitution prévoit que les candidatures doivent être déposées 30 jours francs au moins et 60 jours au plus avant le premier tour et que, selon l’article 30, repris par l’article LO.119 du Code électoral, la liste des candidats doit être arrêtée et publiée 29 jours avant le premier tour ; ce qui veut dire en pratique que si des candidatures sont déposées 30 jours avant le premier tour, le Conseil ne dispose que de 24 heures pour procéder à d’éventuelles vérifications supplémentaires sur la nationalité !
La difficulté supplémentaire, devant le juge, est celle du mode de preuve. Que la preuve pèse sur le candidat, et le fait négatif en cause serait impossible à établir de façon absolue ; qu’elle pèse en revanche sur le Conseil constitutionnel ou sur les candidats concurrents, et alors, l’on peut imaginer qu’il leur serait bien difficile d’étayer matériellement leurs soupçons dans le cas où l’État étranger concerné n’aurait prévu aucune procédure formelle de renonciation.
Il peut aussi arriver que la plurinationalité d’un candidat soit découverte après la publication de la liste des candidats, mais avant l’élection. La question est alors de savoir si le Conseil constitutionnel qui a déjà rendu sa décision de validation peut y revenir. L’admettre obligerait à procéder à une nouvelle publication et à réfléchir sur le délai constitutionnel séparant la publication de la liste définitive et le premier tour du scrutin.
Enfin, il peut arriver que la dissimulation sur la nationalité d’un candidat soit découverte après le premier tour du scrutin – et alors qu’il est qualifié au second tour - ou après qu’il a été élu, voire après qu’il a quitté le pouvoir. Pour insolite qu’elle soit, une telle hypothèse est parfaitement possible au regard des modalités d’application peu rigoureuses, des mécanismes et du délai du contrôle accordés au Conseil constitutionnel. Le plus surprenant, c’est que rien n’a été prévu ni dans la Constitution, ni dans le Code électoral, pour sanctionner l’auteur de la fausse déclaration.
Entre les deux tours, faudrait-il écarter le candidat fautif et considérer que le candidat arrivé en troisième position doit être admis à participer au second tour ou déclarer l’ensemble de l’élection invalide ? Si la constatation de l’inéligibilité est faite postérieurement à l’élection, que faut-il faire ? Ces questions se posent alors que le Conseil constitutionnel a déjà rendu une décision définitive de validation des candidatures, décision non susceptible de recours.
Toutes les sanctions envisageables contre un président de la République qui aurait commis, es qualité, certains actes jugés graves, nous semblent devoir être écartées parce qu’il n’avait pas la qualité de président de la République au moment de sa fausse déclaration de candidature. Les réponses à ces questions ne sont pas simples, particulièrement lorsqu’un délai plus ou moins long a couru entre l’élection et la découverte du caractère frauduleux de la candidature de la personne en cause.
Toutes les difficultés soulevées démontrent que la mise en œuvre d’une disposition aussi importante de la Constitution ne peut s’accommoder d’incertitudes juridiques et politiques aussi nombreuses.
La nationalité exclusive du candidat à l’élection présidentielle est donc une question pertinente posée qu’il convient de résoudre à tout prix. Il en est de même de la candidature d’une personne qui a déjà eu à renoncer à sa nationalité sénégalaise pour l’acquérir à nouveau : peut-elle être autorisée à être candidat à la présidence de la République ? À mon avis, non.
Deux types de propositions peuvent contribuer à éviter les difficultés d’application de l’article 28, en ayant pleinement conscience qu’aucune proposition ne fait complètement disparaître les risques inhérents à l’exigence dudit article ; en l’occurrence, il n’y a pas une solution parfaite, mais il y en a une qui induit moins de risques et d’incertitudes.
D’une part, il faudrait renforcer le contrôle de la régularité au fond de la déclaration sur l’honneur prévue par le Code électoral et, d’autre part, prévoir un délai suffisant et raisonnable pour que les futurs candidats puissent, à l’avance, accomplir toutes les formalités nécessaires pour se conformer à l’exigence constitutionnelle.
Concernant le contrôle de la régularité au fond de la déclaration de candidature, il nous semble raisonnable d’exiger qu’elle comporte plus d’informations, notamment sur les nationalités que chaque candidat a pu détenir. Le cas échéant, une preuve officielle de renonciation peut être requise. Le candidat doit pouvoir produire un document émanant de l’État étranger et qui attesterait que la renonciation a été constatée ou autorisée.
Une mesure supplémentaire consisterait à rendre obligatoire la publication de la déclaration et d’ouvrir un droit d’opposition, devant le Conseil constitutionnel, à tout électeur qui aurait connaissance de la plurinationalité d’un candidat. Une évolution de notre législation devrait conduire à allonger le délai plancher de dépôt des candidatures à l’élection présidentielle, à organiser ce contentieux tout en l’enfermant dans des délais raisonnables qui ne retarderaient pas la tenue du scrutin.
En ce qui concerne le délai requis pour renoncer à toute autre nationalité, nous pensons que les propositions dont nous avons connaissance ne sont pas satisfaisantes. L’une préconise que la renonciation intervienne cinq ans avant l’élection. Bien que ce délai ait du sens parce qu’équivalent à un temps électoral bien défini, la durée du mandat présidentiel - il s’agirait donc d’un délai non fixé pour des raisons circonstancielles -, il est manifestement trop long, dans le contexte actuel, parce qu’il pourrait être interprété comme une volonté d’exclure de potentiels candidats et de changer ainsi les règles du jeu à un moment non opportun, dans la mesure où le délai nous séparant de l’élection présidentielle de février 2019 est inférieur à cinq ans.
Même si on peut se demander pourquoi ceux qui font au ministre Benoit Sambou, chargé des élections de l’APR et porteur de cette proposition devant la Commission technique de revue du Code électoral, le procès d’intention de vouloir écarter de potentiels candidats, n’ont pas eu la même réaction lorsqu’il s’est agi de fixer un âge plafond de 75 ans pour le candidat à l’élection présidentielle, âge plafond qui, logiquement, écarterait de potentiels candidats en 2019.
Voilà pourquoi, nous réitérons la proposition que nous avions faite en 2011 à la Commission technique chargée de la revue du Code électoral de fixer un délai de deux ans avant l’élection. Il serait suffisant pour que tout plurinational puisse disposer de suffisamment de temps pour se conformer à l’article 28 et préparer éventuellement les éléments de preuve de la renonciation à toutes les nationalités étrangères dont il bénéficierait. Il présenterait l’avantage supplémentaire d’éviter tout soupçon ou toute accusation d’instrumentalisation de la loi électorale au détriment de potentiels candidats.
Si une telle réforme était introduite dans le Code électoral avant la fin de l’année 2016, tous les candidats probables qui seraient susceptibles de tomber sous le coup de l’article 28 pourraient au moins, avant février 2017, s’y conformer en renonçant à leurs autres nationalités deux ans avant et participer ainsi à l’élection présidentielle de février 2019.
Une alternative serait de fixer le délai à cinq ans correspondant à la durée du mandat présidentiel, mais de prévoir une disposition transitoire qui ramènerait ce délai à deux ans pour l’élection présidentielle de 2019.
L’autre proposition concernant le moment de la renonciation préconise de satisfaire la condition de l’article 28 après l’élection et avant la prestation de serment. Outre le fait qu’elle nous semble tardive et que la conservation de la plurinationalité par un candidat laisse subsister les risques évoqués sur la souveraineté et la sécurité de notre pays, une telle solution passerait par une modification de la Constitution dans la mesure où l’article 28 vise expressément « le candidat » et non le président élu.
Par Serigne Mbaye THIAM
Secrétaire national aux élections du Parti socialiste
Ministre de l’Éducation nationale