Lettre à mon frère Ousmane Sonko
Cher Ousmane
Cher Jeune frère,
J’essaie de te joindre depuis plusieurs semaines pour te manifester mon soutien. J’ai encore essayé le matin de ton audition ratée. En vain ! Je t’ai laissé un SMS. Peut-être que tu l’as eu. Mais je comprends. Tu es tellement pris dans la nasse des inconséquences qui te sont imposées, que tu n’as plus le temps…
Tu viens d’être radié de la fonction publique. Demain matin, tu te réveilleras groggy. Ce ne sera pas une faiblesse, mais une réaction naturelle, physiologique. Ce n’est pas une chute. C’est une nouvelle impulsion. Tu vas devoir écrire ton destin que je sais grand. Tellement grand que tu n’as pas le droit au doute. Ceux qui te connaissent et les sénégalais qui te découvrent et t’apprécient ne devront jamais te voir la tête basse. Ils savent que tu disposes des ressorts suffisants pour rebondir et faire face à ton destin. Tu es jeune Ousmane ! Tellement jeune….
J’ai la conviction que tu ne te bats pas pour toi-même. Tu te bats pour ton peuple, ta nation. Un béat égoïsme t’aurait confiné dans le confort douillet des grandes régies financières, forclos de la précarité sénégalaise ambiante. Ton engagement politique jure d’avec la dictature de l’immédiat. Ni poste, ni strapontin, ni lambris dorés. Un ascétisme politique basé sur la confiance en l’avenir et un espoir de voir ton peuple acquérir la maturité de pouvoir se réinventer et d’établir un bon ordre de ses priorités. Tu es certes utile aujourd’hui. Mais tu seras incontournable demain.
Merci Ousmane, de porter la méritocratie républicaine en bandoulière et de nous rappeler à tous, à nous même comme aux autres, que l’on peut s’élever au rang des meilleurs par la force du poignet…et de l’intellect. Si ton brio intellectuel dérange, c’est qu’il y en a de suffisamment « débrouillards » pour décider que les derniers seront les premiers…le temps d’un pouvoir énivrant. Certains d’entre eux sont pourtant le fruit de la méritocratie. Mais ils ont oublié le difficile chemin. D’autres qui sifflent à l’oreille du chef, certainement moins outillés et moins méritocrates, n’auront d’autres intérêts que d’inverser la pyramide. Tes camarades d’école, du lycée et de l’université seront abasourdis par cette méthodique déconstruction programmée d’un projet de vie dont tu t’es donné les moyens de la réalisation.
Ils ont fini par nous habituer, à notre corps défendant, à renverser la charge de la preuve si chère à nos traditions démocratiques, pour diriger les récalcitrants vers l’abattoir. Avant-hier, ils ont demandé à certains de prouver l’existence d’une fortune imaginaire. Hier encore, ils demandaient à un adversaire potentiel de prouver l’origine de fonds qui auraient servi à acquérir des immeubles et des sociétés …qui ne lui appartenaient pas. Aujourd’hui, c’est à ton tour. Il aurait fallu que tu déconnectes toi-même tes déclarations de ton statut de fonctionnaire. Travail trop laborieux qu’ils savent eux-mêmes ne pas pouvoir faire. Ils t’ont demandé l’impossible. Une aporie. C’était couru d’avance ! Comme d’habitude !
Le Sénégal que nous voulons sera un conglomérat de talents, de convictions, de pépites, de patriotes, d’ascètes politiques et d’avant-gardistes, dont le terreau commun et fertile ira au-delà de nos structures partisanes classiques. L’impulsion sera celle de républicains qui oseront réinventer notre pays. Notre ambition commune pour le Sénégal doit nous insuffler, à nous tous, la puissance du don de soi et le sacerdoce du bien-être collectif.
Très jeunes et assoiffés de savoir, nous avons appris, ensemble, de notre illustre professeur Babacar Kanté, que notre seule vraie honte serait d’être trouvés sur notre propre terrain et d’y être battus. Tu as échappé à cette honte, cher inspecteur. Il nous a appris à être des hommes d’honneur, travaillant à se parer d’un réel brio intellectuel fortement imprégné des règles d’éthique et d’équité nécessaires à la consolidation de notre jeune administration. Tu n’as pas failli sur ce terrain, cher inspecteur. Babacar Kanté nous a aussi appris à toujours avoir un plan B. J’espère que tu n’as pas négligé cette dernière leçon.
Tu ne souffriras pas personnellement de cette décision que tu attendais. Mais ta famille en souffrira. Beaucoup de sénégalais en souffriront. Et ma modeste personne en est meurtrie.
Vas jeune homme ! Nous ne te haïssons point ! Ton pays compte sur toi ! Les sénégalais, je l’espère, n’oublieront pas.
The Best Is Yet To Come!
Que Dieu te garde !
Ton frère Dr El Hadji Abdourahmane DIOUF