Madame la Ministre,
Le communiqué officiel du conseil des Ministres, publié mercredi 5 juin 2024, a suscité beaucoup d’enthousiasme et de joie chez les amateurs et passionnés de sport au Sénégal, avec l’annonce, par le Président de la République, de l’entame des travaux pour la redéfinition du cadre juridique global du sport. Cette refonte, visant à rendre ce secteur plus dynamique, moderne et inclusif, suscite, de fait, beaucoup d’espoir. Depuis quelques années, plusieurs disciplines ont été reconnues par le ministère des Sports du Sénégal, mais sans réel cadre légal et sans un accompagnement réel, tant dans la structuration, les ressources humaines et les moyens économiques. Parmi ces différentes disciplines, celle qui attire le plus notre attention est l’esport (contraction en anglais d’electronic sports).
Au Sénégal, les joueurs – Gamers, professionnels ou occasionnels- s’adonnent, ainsi, au Gaming, terme qui signifie le fait de jouer à un jeu vidéo, indépendamment du support – console, PC, téléphone, etc. Cette discipline est à différencier du Betting qui désigne les jeux de hasard, les paris sportifs, entre autres.
On pourrait donc définir l’esport comme étant la pratique compétitive du jeu vidéo. Il se décline, généralement, sous la forme d’un ensemble de tournois organisés par une association, une fédération, un éditeur de jeu ou encore les communautés de joueurs, véritables acteurs de ce sport. Les joueurs peuvent s’affronter en un contre un ou en équipe.
L’esport a gagné en popularité avec la démocratisation de l’Internet multimédia, dans les années 2000, notamment en Asie, aux États Unis et en Europe. Son ascension en Afrique a réellement commencé dans les années 2010.
Au même titre que les jeux d’échecs ou le scrabble, l’esport est victime de critiques remettant en question son statut de “vrai sport”. Cependant, si on se réfère à une définition du sport proposée par Nicolas BESOMBES[1] Maître de conférences en sociologie du sport à l’Institut des Sciences du Sport Santé de Paris, le sport c’est, avant tout, la mise en place d’une performance motrice permettant de l’emporter sur un adversaire donné, quelle que soit la dépense énergétique utilisée, par ailleurs. Il précise, par exemple, que des sports comme le tir au pistolet, le tir à l’arc, ou encore le golf sont très peu exigeants en effort physique et jouent beaucoup plus sur la motricité et la performance. Il convient donc de comprendre que l’esport, qui repose essentiellement sur la motricité, la dextérité, le réflexe et la performance, peut être considéré comme un sport à part entière. Si le débat dans la qualification sociologique de l’esport en sport reste donc toujours d’actualité, il est néanmoins notable que la plupart des esportifs africains pratiquent un sport (football, basket, jogging), ou sont des réguliers des salles de sport, ce qui leur permet de mieux gérer le stress inhérent à la pratique professionnelle du Gaming et d’être en forme pour pouvoir aligner de meilleures performances lors des tournois. En effet, les joueurs d’esport sont tenus, en compétition, de gérer le stress, prendre des décisions rapides et s’adapter à des situations changeantes. Ils développent ainsi leur esprit d’analyse, leur decision-making et, le cas échéant, leur capacité à travailler en équipe pour atteindre un objectif commun. Ces compétences, acquises à travers la pratique de l’esport, peuvent être transposées dans la vie quotidienne et dans le monde professionnel.
Aujourd’hui l’évolution incroyable de l’esport de ces dernières années ne laisse plus aucun doute sur son importance croissante dans le paysage sportif mondial. Au Sénégal, comme dans de nombreux pays d’Afrique, l’esport connaît une popularité grandissante, suscitant l’intérêt de milliers de jeunes et générant un engouement sans précédent.
Face à cette réalité, la prise en compte de ce phénomène par les autorités sénégalaises devient critique, de même que son intégration dans la politique sportive nationale.
Cette modeste contribution s’adresse à Madame la Ministre des Sports et suggère cinq raisons majeures qui motiveraient l’inclusion de l’esport dans la politique sportive du Sénégal :
1. L’esport, le sport du futur : une manne financière pour les joueurs professionnels et l’écosystème sportif local
L’industrie de l’esport connaît une croissance fulgurante, avec un marché mondial estimé à plus de 13 milliards de dollars en 2023 et des projections atteignant 16 milliards de dollars d’ici 2024 . En Afrique, le marché de l’esport est en plein essor, avec un nombre de joueurs estimé à 112 millions et des revenus générés de 1,1 milliard de dollars en 2023. Le Sénégal, avec sa population jeune et connectée, est parfaitement positionné pour tirer parti de ce boom. 50.000 joueurs sénégalais se disent intéressés par l’esport, qu’ils soient pratiquants, amateurs et créateurs de contenu sur un potentiel total de plus de 200.000 fans et consommateurs de jeu vidéo ; le tout, selon une récente étude menée par l’association sénégalaise des gamers SENGAMES.
Pour référence, l’Arabie Saoudite, qui a lancé en 2021 sa « Stratégie Nationale d’Investissement », dans le cadre du plan « Vision 2030 » visant à transformer l’économie du pays, est en train d’injecter plusieurs milliards de dollars dans l’esport d’en faire une filière solide et d’asseoir le Royaume comme un hub esport mondial. Une coupe du monde appelée “Esports World Cup” est prévue en Août 2024 avec près de 12 titres dont les plus populaires sont : EA FC (anciennement FIFA), Fortnite (battle royale: les joueurs s’affrontent en même temps dans une zone et il ne doit en rester qu’un seul) PUBG MOBILE (jeu battle royale compétitif sur smartphone), Tekken ou encore Street Fighter (des jeux de combat). Cette compétition va rassembler les meilleurs clubs esport du monde entier et, par conséquent, les meilleurs joueurs du monde. Ces derniers iront s’affronteront pendant un mois, pour un prize pool global de 60.000.000 de dollars à se partager entre les différents jeux.
2. Le Sénégal, une terre fertile pour l’esport
Le pays regorge de talents passionnés de jeu vidéo et d’esport, prêts à devenir ses fiers ambassadeurs sur la scène internationale. Plusieurs joueurs professionnels sénégalais ont déjà accompli d’énormes prouesses dans cette nouvelle discipline sur le plan continental et même international, en dépit d’un environnement peu adapté à leur développement optimal.
L’association pionnière localement reste l’association sénégalaise des gamers, SENGAMES, un acteur majeur de la scène « esportive » africaine depuis 2011. Elle organise de nombreuses compétitions dans la capitale et dans les régions, permettant aux joueurs de s’affronter et de se perfectionner. SENGAMES est membre de la Fédération Internationale d’Esport[2], l’IESF, qui est une organisation mondiale rassemblant près de 180 pays depuis 2008. Chaque année, l’association organise des qualifications nationales sur différents jeux qui permettent aux joueurs qualifiés de pouvoir voyager à l’étranger pour participer à la coupe du monde IESF et vivre leur passion à fond.
De surcroît, SENGAMES a aidé à la création de la première confédération africaine des sports digitaux[3] ; l’ACDS, qui œuvre pour le développement et la structuration de l’écosystème esport en Afrique. Cette organisation, qui regroupe près de 47 pays africains entre les différentes associations et fédérations qui la composent, a vu le jour en juillet 2023 et tient son siège à Casablanca. Elle va héberger, en Août 2024, la toute première coupe d’Afrique esport au Maroc en partenariat avec l’IESF ; une délégation de SENGAMES fera le déplacement avec des joueurs esports pour y participer.
D’autres structures esport/gaming contribuent au développement de ce sport ; Benene Level est un club esport associatif qui rassemble des passionnés de gaming et qui organise des tournois, à Dakar, sur des titres de jeu comme EA FC ou encore les jeux de combat. De plus, une communauté féminine du nom de Linguere Gaming, qui a vu le jour en 2021, mène des activités dans le but de promouvoir l’esport féminin et de favoriser l’inclusivité. Cet aspect inclusif a d’ailleurs été confirmé par les performances à l’international d’une joueuse du Sénégal Anta Seye Kane qui s’est rendue en 2023 à Nairobi, dans le cadre d’une compétition majeure appelée Swahili Esport Championship ; elle a ainsi participé au tournoi dédié au jeu de combat Tekken 7 et a terminé dans le top 4.
Pour finir, e-Africa Group est un autre club qui mène des activités sur des titres de jeux populaires au Sénégal ; l’un des meilleurs joueurs africains, champion d’Afrique et classé top 4 mondial en 2021 sur le titre eFootball, est d’ailleurs membre de cette structure.
3. SOLO Esport, un club qui porte haut les couleurs du Sénégal
Ce club professionnel, créé en 2020, a permis au Sénégal de remporter des titres continentaux et mondiaux sur différentes disciplines. Pape Ismaïla GUÈYE, alias Verix, joueur professionnel de Solo Esport, a été sacré champion du Monde sur le jeu de combat Guilty Gear Strive en 2023 à Los Angeles, une première historique pour un joueur africain, avec, à la clé, une somme avoisinant les 50.000 dollars. Mamadou Moustapha THIAM alias Dexx Junior, a quant à lui, remporté le titre de champion FIFA 23 à la prestigieuse compétition Eligue 1 Tour qui rassemble près de 8 pays dans le monde dont le Brésil, les USA, l’Arabie Saoudite, etc. À cela s’ajoutent deux titres de champion d’Afrique remportés par Papa Amsata Niang alias Hamza, joueur professionnel sur la série Mortal Kombat et l’équipe de Solo Esport sur le jeu PUBG MOBILE en 2023 champion D’Afrique au Nigéria lors de la compétition Gamr X Africa.
Le club accompagne une quinzaine de joueurs professionnels dont 4 sont rémunérés mensuellement. Solo Esport organise des événements et collabore avec des marques comme la Société Générale, Orange, Samsung, Dolima, mais aussi la Ville de Dakar, sur des projets destinés à démocratiser l’esport au Sénégal et lutter contre le décrochage scolaire à travers des formations et des workshops qui permettent aux jeunes de concrétiser leur ambition de s’accomplir à travers les différents métiers de la galaxie esport.
4. L’esport, un vecteur d’éducation et d’opportunités : un investissement pour l’avenir
L’esport va bien au-delà du simple divertissement. Il offre aux jeunes une opportunité de développer des compétences essentielles telles que la stratégie, la réflexion critique, le travail d’équipe et la communication. Ces compétences, précieuses dans le monde professionnel, peuvent être acquises et perfectionnées à travers la pratique de l’esport. De plus, l’industrie de l’esport génère de nombreux emplois dans divers secteurs tels que le marketing, la communication, le développement, la création de contenu , l’événementiel, etc. Comme dans les autres sports, seule une petite population, bien accompagnée et encadrée, deviendra professionnelle. Il est néanmoins notable que la filière esport est composée de métiers divers qui vont bien au-delà de la seule pratique ; travailler à sensibiliser les jeunes sur ces différents débouchés devient primordial. Une intégration dans les programmes scolaire et universitaire favoriserait donc une meilleure compréhension du sport. Dans beaucoup de pays, l’esport est enseigné dans les universités et les écoles de formation sous la forme de modules alliant théorie, pratique, ainsi que d’autres matières permettant aux futurs professionnels d’être mieux outillés physiquement et mentalement. Plusieurs clubs esport universitaires se forment et des compétitions sont organisées dans le but de révéler des talents, mais également d’initier la jeunesse à la découverte des aspects professionnels et techniques de l’esport.
En 2022, l’association SENGAMES a collaboré avec le fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3FPT) dans le cadre d’une série de masterclass où des professionnels de l’esport et du gaming ont été mobilisés sur plusieurs jours pour animer des sessions de travail avec des jeunes apprenants, afin de leur faire découvrir les métiers de l’esport. L’objectif, dans un futur proche, est de faire de l’association un centre de formation certifiant dans le domaine.
L’intégration de l’esport dans la politique sportive permettrait de préparer les jeunes sénégalais à ces opportunités d’avenir et donc de favoriser leur insertion professionnelle.
5. L’esport sera bientôt une discipline olympique aux JO !
L’esport est en passe de devenir une discipline olympique officielle, le Comité International Olympique (CIO) ayant créé une commission chargée d’étudier la possibilité d’intégrer l’esport aux Jeux. En juin 2023, un premier événement esport, l’Esport Olympics Week, a été organisé à Singapour afin d’évaluer le potentiel et l’audience de cette nouvelle discipline. À la surprise générale, les jeux mis en avant étaient différents de ce qu’attendait le public, le CIO a fait un focus sur les jeux virtuels d’échecs sur smartphone, sur du tennis virtuel, du cyclisme, qui ne sont, en réalité, que des adaptations plus ou moins fidèles d’épreuves déjà présentes aux JO. Dans le même temps, seuls trois jeux, dans le pur esprit du gaming, ont été proposés : Fortnite, un jeu de battle royale[4] mais avec un mode adapté au tir, NBA 2K, jeu de basket avec le mode 5 joueurs et Street Fighter, un jeu de combat populaire placé en exhibition.
À l’approche des Jeux Olympiques de la Jeunesse, prévus en 2026, le Sénégal, avec ses brillants accomplissements en esport, pourrait se positionner comme un acteur majeur dans cette nouvelle discipline olympique en Afrique, en organisant une compétition esport dédiée aux jeunes de moins de 16 ans, en parallèle des jeux officiels. Le comité d’organisation des jeux (COJOJ) a déjà collaboré avec l’association SENGAMES dans le cadre de la rédaction d’un livre blanc sur le sport au Sénégal, dans lequel un paragraphe a été consacré à l’esport. Il est aujourd’hui nécessaire de lancer un partenariat pour la tenue d’une compétition sur des jeux vidéo soigneusement sélectionnés afin d’enrichir l’expérience des jeunes athlètes pendant les JOJ2026.
Face à la montée en puissance de cette nouvelle discipline sportive qu’est l’esport, les attentes des acteurs vis-à-vis des autorités sénégalaises sont multiples. Il est vrai que l’esport a été reconnu par l’Etat du Sénégal, en l’occurrence le ministère de tutelle, en 2022 comme un sport, mais il convient de souligner que la mise en place du comité de promotion de cette discipline ne s’est pas faite dans les règles de l’art.
Un comité a été nommé par arrêté sans l’inclusion des acteurs majeurs du Sénégal : SENGAMES, SOLO Esport, Benene Level etc. Ce comité a plus travaillé à freiner l’élan dynamique des acteurs présents depuis des années plutôt que de définir un cadre légal et d’encourager l’organisation d’événements esport ; on se rappelle des lettres envoyées à la préfecture de Dakar pour s’opposer à la tenue d’un Festival de jeu vidéo organisé par l’association SENGAMES, des articles visant à discréditer les partenaires de ladite association et des tentatives de récupération suite aux nombreuses victoires du club SOLO Esport lors des compétitions internationales.
Face à la nouvelle dynamique de son Excellence le Président Bassirou Diomaye FAYE symbolisé par le “Jub Jubbal Jubanti”, il est important de refonder ce comité afin de réparer les innombrables injustices commises et d’y intégrer les acteurs qui pourront mener à bien les missions assignées.
Quelques propositions pour une réforme optimale de l’esport au Sénégal :
– Modifier l’Arrêté portant nomination du Comité de Promotion de l’esport et changer l’équipe du comité pour faire adhérer l’association SENGAMES, le club Solo Esport et Benene Level, ainsi que les autres associations et structures qui mènent des activités concrètes et documentées ;
– Changer les différentes missions assignées à ce comité de promotion de l’esport, dans une démarche de co-construction intégrant tous les acteurs de la filière ;
– Considérer l’intégration de l’esport dans le nouveau code du sport sénégalais avec la création d’une charte d’Éthique, de règles et règlements à respecter dans le cadre de l’organisation d’une compétition esportive au Sénégal, mais aussi pour la protection des joueurs ;
– Encourager l’organisation de compétitions nationales et continentales au Sénégal ;
– Aider à l’introduction de l’esport dans les programmes sportifs des écoles et universités, ce qui facilitera la mise en place de clubs esport dans les divers établissements ;
– Permettre au nouveau comité de promotion de pouvoir muer rapidement en Fédération et d’entamer une collaboration plus large avec les autres entités sportives, ainsi que les entreprises privées et publiques du pays afin de créer des synergies.
L’esport est très prometteur au Sénégal, Madame la Ministre et mérite une oreille attentive ; il a besoin d’être suivi, apprécié, encadré et surtout assaini. Il existe plusieurs profils de personnes compétentes et expérimentées qui ont une grande expérience dans ce domaine et qui détiennent des références saluées par le monde entier qui ne ménageront aucun effort pour dynamiser ce secteur.
Vous souhaitant plein succès dans le cadre de vos nouvelles fonctions, je vous prie d’agréer mes salutations les plus respectueuses.
Baba Dioum
Président de l’association sénégalaise des Gamers SENGAMES
Membre du Comité exécutif de la Confédération Africaine des Sports Digitaux ACDS
Adresse email : baba.dioum@sengames.sn
Le communiqué officiel du conseil des Ministres, publié mercredi 5 juin 2024, a suscité beaucoup d’enthousiasme et de joie chez les amateurs et passionnés de sport au Sénégal, avec l’annonce, par le Président de la République, de l’entame des travaux pour la redéfinition du cadre juridique global du sport. Cette refonte, visant à rendre ce secteur plus dynamique, moderne et inclusif, suscite, de fait, beaucoup d’espoir. Depuis quelques années, plusieurs disciplines ont été reconnues par le ministère des Sports du Sénégal, mais sans réel cadre légal et sans un accompagnement réel, tant dans la structuration, les ressources humaines et les moyens économiques. Parmi ces différentes disciplines, celle qui attire le plus notre attention est l’esport (contraction en anglais d’electronic sports).
Au Sénégal, les joueurs – Gamers, professionnels ou occasionnels- s’adonnent, ainsi, au Gaming, terme qui signifie le fait de jouer à un jeu vidéo, indépendamment du support – console, PC, téléphone, etc. Cette discipline est à différencier du Betting qui désigne les jeux de hasard, les paris sportifs, entre autres.
On pourrait donc définir l’esport comme étant la pratique compétitive du jeu vidéo. Il se décline, généralement, sous la forme d’un ensemble de tournois organisés par une association, une fédération, un éditeur de jeu ou encore les communautés de joueurs, véritables acteurs de ce sport. Les joueurs peuvent s’affronter en un contre un ou en équipe.
L’esport a gagné en popularité avec la démocratisation de l’Internet multimédia, dans les années 2000, notamment en Asie, aux États Unis et en Europe. Son ascension en Afrique a réellement commencé dans les années 2010.
Au même titre que les jeux d’échecs ou le scrabble, l’esport est victime de critiques remettant en question son statut de “vrai sport”. Cependant, si on se réfère à une définition du sport proposée par Nicolas BESOMBES[1] Maître de conférences en sociologie du sport à l’Institut des Sciences du Sport Santé de Paris, le sport c’est, avant tout, la mise en place d’une performance motrice permettant de l’emporter sur un adversaire donné, quelle que soit la dépense énergétique utilisée, par ailleurs. Il précise, par exemple, que des sports comme le tir au pistolet, le tir à l’arc, ou encore le golf sont très peu exigeants en effort physique et jouent beaucoup plus sur la motricité et la performance. Il convient donc de comprendre que l’esport, qui repose essentiellement sur la motricité, la dextérité, le réflexe et la performance, peut être considéré comme un sport à part entière. Si le débat dans la qualification sociologique de l’esport en sport reste donc toujours d’actualité, il est néanmoins notable que la plupart des esportifs africains pratiquent un sport (football, basket, jogging), ou sont des réguliers des salles de sport, ce qui leur permet de mieux gérer le stress inhérent à la pratique professionnelle du Gaming et d’être en forme pour pouvoir aligner de meilleures performances lors des tournois. En effet, les joueurs d’esport sont tenus, en compétition, de gérer le stress, prendre des décisions rapides et s’adapter à des situations changeantes. Ils développent ainsi leur esprit d’analyse, leur decision-making et, le cas échéant, leur capacité à travailler en équipe pour atteindre un objectif commun. Ces compétences, acquises à travers la pratique de l’esport, peuvent être transposées dans la vie quotidienne et dans le monde professionnel.
Aujourd’hui l’évolution incroyable de l’esport de ces dernières années ne laisse plus aucun doute sur son importance croissante dans le paysage sportif mondial. Au Sénégal, comme dans de nombreux pays d’Afrique, l’esport connaît une popularité grandissante, suscitant l’intérêt de milliers de jeunes et générant un engouement sans précédent.
Face à cette réalité, la prise en compte de ce phénomène par les autorités sénégalaises devient critique, de même que son intégration dans la politique sportive nationale.
Cette modeste contribution s’adresse à Madame la Ministre des Sports et suggère cinq raisons majeures qui motiveraient l’inclusion de l’esport dans la politique sportive du Sénégal :
1. L’esport, le sport du futur : une manne financière pour les joueurs professionnels et l’écosystème sportif local
L’industrie de l’esport connaît une croissance fulgurante, avec un marché mondial estimé à plus de 13 milliards de dollars en 2023 et des projections atteignant 16 milliards de dollars d’ici 2024 . En Afrique, le marché de l’esport est en plein essor, avec un nombre de joueurs estimé à 112 millions et des revenus générés de 1,1 milliard de dollars en 2023. Le Sénégal, avec sa population jeune et connectée, est parfaitement positionné pour tirer parti de ce boom. 50.000 joueurs sénégalais se disent intéressés par l’esport, qu’ils soient pratiquants, amateurs et créateurs de contenu sur un potentiel total de plus de 200.000 fans et consommateurs de jeu vidéo ; le tout, selon une récente étude menée par l’association sénégalaise des gamers SENGAMES.
Pour référence, l’Arabie Saoudite, qui a lancé en 2021 sa « Stratégie Nationale d’Investissement », dans le cadre du plan « Vision 2030 » visant à transformer l’économie du pays, est en train d’injecter plusieurs milliards de dollars dans l’esport d’en faire une filière solide et d’asseoir le Royaume comme un hub esport mondial. Une coupe du monde appelée “Esports World Cup” est prévue en Août 2024 avec près de 12 titres dont les plus populaires sont : EA FC (anciennement FIFA), Fortnite (battle royale: les joueurs s’affrontent en même temps dans une zone et il ne doit en rester qu’un seul) PUBG MOBILE (jeu battle royale compétitif sur smartphone), Tekken ou encore Street Fighter (des jeux de combat). Cette compétition va rassembler les meilleurs clubs esport du monde entier et, par conséquent, les meilleurs joueurs du monde. Ces derniers iront s’affronteront pendant un mois, pour un prize pool global de 60.000.000 de dollars à se partager entre les différents jeux.
2. Le Sénégal, une terre fertile pour l’esport
Le pays regorge de talents passionnés de jeu vidéo et d’esport, prêts à devenir ses fiers ambassadeurs sur la scène internationale. Plusieurs joueurs professionnels sénégalais ont déjà accompli d’énormes prouesses dans cette nouvelle discipline sur le plan continental et même international, en dépit d’un environnement peu adapté à leur développement optimal.
L’association pionnière localement reste l’association sénégalaise des gamers, SENGAMES, un acteur majeur de la scène « esportive » africaine depuis 2011. Elle organise de nombreuses compétitions dans la capitale et dans les régions, permettant aux joueurs de s’affronter et de se perfectionner. SENGAMES est membre de la Fédération Internationale d’Esport[2], l’IESF, qui est une organisation mondiale rassemblant près de 180 pays depuis 2008. Chaque année, l’association organise des qualifications nationales sur différents jeux qui permettent aux joueurs qualifiés de pouvoir voyager à l’étranger pour participer à la coupe du monde IESF et vivre leur passion à fond.
De surcroît, SENGAMES a aidé à la création de la première confédération africaine des sports digitaux[3] ; l’ACDS, qui œuvre pour le développement et la structuration de l’écosystème esport en Afrique. Cette organisation, qui regroupe près de 47 pays africains entre les différentes associations et fédérations qui la composent, a vu le jour en juillet 2023 et tient son siège à Casablanca. Elle va héberger, en Août 2024, la toute première coupe d’Afrique esport au Maroc en partenariat avec l’IESF ; une délégation de SENGAMES fera le déplacement avec des joueurs esports pour y participer.
D’autres structures esport/gaming contribuent au développement de ce sport ; Benene Level est un club esport associatif qui rassemble des passionnés de gaming et qui organise des tournois, à Dakar, sur des titres de jeu comme EA FC ou encore les jeux de combat. De plus, une communauté féminine du nom de Linguere Gaming, qui a vu le jour en 2021, mène des activités dans le but de promouvoir l’esport féminin et de favoriser l’inclusivité. Cet aspect inclusif a d’ailleurs été confirmé par les performances à l’international d’une joueuse du Sénégal Anta Seye Kane qui s’est rendue en 2023 à Nairobi, dans le cadre d’une compétition majeure appelée Swahili Esport Championship ; elle a ainsi participé au tournoi dédié au jeu de combat Tekken 7 et a terminé dans le top 4.
Pour finir, e-Africa Group est un autre club qui mène des activités sur des titres de jeux populaires au Sénégal ; l’un des meilleurs joueurs africains, champion d’Afrique et classé top 4 mondial en 2021 sur le titre eFootball, est d’ailleurs membre de cette structure.
3. SOLO Esport, un club qui porte haut les couleurs du Sénégal
Ce club professionnel, créé en 2020, a permis au Sénégal de remporter des titres continentaux et mondiaux sur différentes disciplines. Pape Ismaïla GUÈYE, alias Verix, joueur professionnel de Solo Esport, a été sacré champion du Monde sur le jeu de combat Guilty Gear Strive en 2023 à Los Angeles, une première historique pour un joueur africain, avec, à la clé, une somme avoisinant les 50.000 dollars. Mamadou Moustapha THIAM alias Dexx Junior, a quant à lui, remporté le titre de champion FIFA 23 à la prestigieuse compétition Eligue 1 Tour qui rassemble près de 8 pays dans le monde dont le Brésil, les USA, l’Arabie Saoudite, etc. À cela s’ajoutent deux titres de champion d’Afrique remportés par Papa Amsata Niang alias Hamza, joueur professionnel sur la série Mortal Kombat et l’équipe de Solo Esport sur le jeu PUBG MOBILE en 2023 champion D’Afrique au Nigéria lors de la compétition Gamr X Africa.
Le club accompagne une quinzaine de joueurs professionnels dont 4 sont rémunérés mensuellement. Solo Esport organise des événements et collabore avec des marques comme la Société Générale, Orange, Samsung, Dolima, mais aussi la Ville de Dakar, sur des projets destinés à démocratiser l’esport au Sénégal et lutter contre le décrochage scolaire à travers des formations et des workshops qui permettent aux jeunes de concrétiser leur ambition de s’accomplir à travers les différents métiers de la galaxie esport.
4. L’esport, un vecteur d’éducation et d’opportunités : un investissement pour l’avenir
L’esport va bien au-delà du simple divertissement. Il offre aux jeunes une opportunité de développer des compétences essentielles telles que la stratégie, la réflexion critique, le travail d’équipe et la communication. Ces compétences, précieuses dans le monde professionnel, peuvent être acquises et perfectionnées à travers la pratique de l’esport. De plus, l’industrie de l’esport génère de nombreux emplois dans divers secteurs tels que le marketing, la communication, le développement, la création de contenu , l’événementiel, etc. Comme dans les autres sports, seule une petite population, bien accompagnée et encadrée, deviendra professionnelle. Il est néanmoins notable que la filière esport est composée de métiers divers qui vont bien au-delà de la seule pratique ; travailler à sensibiliser les jeunes sur ces différents débouchés devient primordial. Une intégration dans les programmes scolaire et universitaire favoriserait donc une meilleure compréhension du sport. Dans beaucoup de pays, l’esport est enseigné dans les universités et les écoles de formation sous la forme de modules alliant théorie, pratique, ainsi que d’autres matières permettant aux futurs professionnels d’être mieux outillés physiquement et mentalement. Plusieurs clubs esport universitaires se forment et des compétitions sont organisées dans le but de révéler des talents, mais également d’initier la jeunesse à la découverte des aspects professionnels et techniques de l’esport.
En 2022, l’association SENGAMES a collaboré avec le fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3FPT) dans le cadre d’une série de masterclass où des professionnels de l’esport et du gaming ont été mobilisés sur plusieurs jours pour animer des sessions de travail avec des jeunes apprenants, afin de leur faire découvrir les métiers de l’esport. L’objectif, dans un futur proche, est de faire de l’association un centre de formation certifiant dans le domaine.
L’intégration de l’esport dans la politique sportive permettrait de préparer les jeunes sénégalais à ces opportunités d’avenir et donc de favoriser leur insertion professionnelle.
5. L’esport sera bientôt une discipline olympique aux JO !
L’esport est en passe de devenir une discipline olympique officielle, le Comité International Olympique (CIO) ayant créé une commission chargée d’étudier la possibilité d’intégrer l’esport aux Jeux. En juin 2023, un premier événement esport, l’Esport Olympics Week, a été organisé à Singapour afin d’évaluer le potentiel et l’audience de cette nouvelle discipline. À la surprise générale, les jeux mis en avant étaient différents de ce qu’attendait le public, le CIO a fait un focus sur les jeux virtuels d’échecs sur smartphone, sur du tennis virtuel, du cyclisme, qui ne sont, en réalité, que des adaptations plus ou moins fidèles d’épreuves déjà présentes aux JO. Dans le même temps, seuls trois jeux, dans le pur esprit du gaming, ont été proposés : Fortnite, un jeu de battle royale[4] mais avec un mode adapté au tir, NBA 2K, jeu de basket avec le mode 5 joueurs et Street Fighter, un jeu de combat populaire placé en exhibition.
À l’approche des Jeux Olympiques de la Jeunesse, prévus en 2026, le Sénégal, avec ses brillants accomplissements en esport, pourrait se positionner comme un acteur majeur dans cette nouvelle discipline olympique en Afrique, en organisant une compétition esport dédiée aux jeunes de moins de 16 ans, en parallèle des jeux officiels. Le comité d’organisation des jeux (COJOJ) a déjà collaboré avec l’association SENGAMES dans le cadre de la rédaction d’un livre blanc sur le sport au Sénégal, dans lequel un paragraphe a été consacré à l’esport. Il est aujourd’hui nécessaire de lancer un partenariat pour la tenue d’une compétition sur des jeux vidéo soigneusement sélectionnés afin d’enrichir l’expérience des jeunes athlètes pendant les JOJ2026.
Face à la montée en puissance de cette nouvelle discipline sportive qu’est l’esport, les attentes des acteurs vis-à-vis des autorités sénégalaises sont multiples. Il est vrai que l’esport a été reconnu par l’Etat du Sénégal, en l’occurrence le ministère de tutelle, en 2022 comme un sport, mais il convient de souligner que la mise en place du comité de promotion de cette discipline ne s’est pas faite dans les règles de l’art.
Un comité a été nommé par arrêté sans l’inclusion des acteurs majeurs du Sénégal : SENGAMES, SOLO Esport, Benene Level etc. Ce comité a plus travaillé à freiner l’élan dynamique des acteurs présents depuis des années plutôt que de définir un cadre légal et d’encourager l’organisation d’événements esport ; on se rappelle des lettres envoyées à la préfecture de Dakar pour s’opposer à la tenue d’un Festival de jeu vidéo organisé par l’association SENGAMES, des articles visant à discréditer les partenaires de ladite association et des tentatives de récupération suite aux nombreuses victoires du club SOLO Esport lors des compétitions internationales.
Face à la nouvelle dynamique de son Excellence le Président Bassirou Diomaye FAYE symbolisé par le “Jub Jubbal Jubanti”, il est important de refonder ce comité afin de réparer les innombrables injustices commises et d’y intégrer les acteurs qui pourront mener à bien les missions assignées.
Quelques propositions pour une réforme optimale de l’esport au Sénégal :
– Modifier l’Arrêté portant nomination du Comité de Promotion de l’esport et changer l’équipe du comité pour faire adhérer l’association SENGAMES, le club Solo Esport et Benene Level, ainsi que les autres associations et structures qui mènent des activités concrètes et documentées ;
– Changer les différentes missions assignées à ce comité de promotion de l’esport, dans une démarche de co-construction intégrant tous les acteurs de la filière ;
– Considérer l’intégration de l’esport dans le nouveau code du sport sénégalais avec la création d’une charte d’Éthique, de règles et règlements à respecter dans le cadre de l’organisation d’une compétition esportive au Sénégal, mais aussi pour la protection des joueurs ;
– Encourager l’organisation de compétitions nationales et continentales au Sénégal ;
– Aider à l’introduction de l’esport dans les programmes sportifs des écoles et universités, ce qui facilitera la mise en place de clubs esport dans les divers établissements ;
– Permettre au nouveau comité de promotion de pouvoir muer rapidement en Fédération et d’entamer une collaboration plus large avec les autres entités sportives, ainsi que les entreprises privées et publiques du pays afin de créer des synergies.
L’esport est très prometteur au Sénégal, Madame la Ministre et mérite une oreille attentive ; il a besoin d’être suivi, apprécié, encadré et surtout assaini. Il existe plusieurs profils de personnes compétentes et expérimentées qui ont une grande expérience dans ce domaine et qui détiennent des références saluées par le monde entier qui ne ménageront aucun effort pour dynamiser ce secteur.
Vous souhaitant plein succès dans le cadre de vos nouvelles fonctions, je vous prie d’agréer mes salutations les plus respectueuses.
Baba Dioum
Président de l’association sénégalaise des Gamers SENGAMES
Membre du Comité exécutif de la Confédération Africaine des Sports Digitaux ACDS
Adresse email : baba.dioum@sengames.sn