Si le plan initial d’investissement avait été respecté, les souscripteurs au projet Cité Keur Gorgui seraient aujourd’hui tout près de passer de locataires à propriétaires des appartements et villas qu’ils occupent. Ils devront prendre leur mal en patience. La SICAP, promotrice du projet, a longtemps pataugé dans les difficultés avant de commencer, fin 2014, à apercevoir le bout du tunnel pour boucler le chantier qui trainait.
Sur le site, l'on s’attelle à la construction des routes secondaires, à l’aménagement des espaces verts, à l’installation des lampadaires, entre autres travaux destinés à rendre le quartier digne d’une "vitrine de la capitale sénégalaise". Tel que l’imaginait le pouvoir d’Abdoulaye Wade lorsqu’en 2003, il retirait le projet des mains de promoteurs immobiliers marocains, pour non respect du cahier des charges, pour le confier à la SICAP.
Pour www.SenePlus.Com, Massaër Ndiaye, le directeur financier et comptable de la SICAP depuis décembre 2014, retrace l’histoire de la cité Keur Gorgui. De l’affectation du site à l’adoption du plan de relance des travaux en passant par le faux bond de la BOAD, qui devait conduire l’emprunt obligataire envisagé initialement pour financer le projet, les impayés de l’État, la colère des banques…, il lève le voile sur l’un des plus grands scandales immobiliers de l’ère Wade. Un mystère que www.SenePlus.Com a tenté de percer dans une enquête exclusive publiée dimanche 2 août.
À L’ORIGINE, DES MAROCAINS
"La SICAP appartient à 90% à l’État du Sénégal. Elle reçoit des orientations des autorités publiques. Elle est sous tutelle technique du ministère chargé de l’Urbanisme et sous tutelle financière du ministère de l’Économie, des Finances et du Plan. Donc, la politique menée par le régime en place impacte sur l’orientation des activités de la SICAP.
En 2004, la SICAP a eu, par voie d’échange avec l’État, affectation d’une partie du site de la Pyrotechnie. Elle a pris possession du site et le titre foncier a été établi à son nom. Pour le mettre en valeur, nous avons fait l’ensemble des études. L’armée a fait un démantèlement du site. La SICAP était avec d’autres promoteurs immobiliers affectataires, mais la partie la plus importante lui revenait.
Le site a été d’abord attribué à des Marocains en 2002-2003. Ces derniers devaient apporter des financements extérieurs, mais avaient entrepris des démarches pour trouver des financements locaux. Ce qui n’avait pas agréé les autorités de l’époque, qui ont finalement repris le site pour l’affecter à la SICAP et à d’autres promoteurs immobiliers. L’autorité avait vu que le site était assez bien situé et devait servir de vitrine pour montrer le savoir-faire des promoteurs immobiliers locaux. Il a fallu démanteler- ce qui était assez coûteux- et ensuite faire les VRD (Voieries et réseaux divers).
LE FAUX BOND DE LA BOAD
"Le coût du projet était assez important. Pour pouvoir le réaliser, la SICAP a fait appel à la BOAD pour lever un emprunt obligataire. Nous avions obtenu l’accord de principe de la BOAD, qui a fait plusieurs missions sur le Sénégal. On avait presque l’assurance que l’emprunt serait levé pour un montant de 15 milliards de francs Cfa. Finalement, pour une question de garantie, la BOAD n’a pas agréé la place du Sénégal. Elle s’est montrée réticente alors que nous avions commencé à dérouler le projet. Finalement, nous avons dû recourir au système bancaire local.
La particularité pour Keur Gorgui, c’est que les banques étaient déjà partantes dans l’optique que la SICAP allait lever l’emprunt obligataire et les rembourser sur une période courte.
Lorsque la BOAD s’est désistée, le schéma a été un peu faussé. Il a fallu renégocier avec les banques pour rééchelonner la période de remboursements des prêts. C’est ce qui nous amené à la situation difficile que nous connaissons aujourd’hui. Les banques, c’était BHS- tête de file-, BIS, BSIC, ECOBANK et CBAO. ECOBANK a été remboursée presque dès le début. C’est pourquoi elle ne faisait plus partie du pool de banques. Les autres ont été compréhensives et ont rééchelonné.
L’ÉTAT, LES BANQUES ET LA PASSIVETÉ DE LA SICAP
"Nos clients, qui avaient souscrit à ce programme, ont dix ans à payer. Mais entretemps, avant la fin de la commercialisation des logements, l’État a pris trois immeubles qu’il a occupés en location "simple". Ce qui a faussé le schéma de commercialisation. Après une occupation de deux ans, l’État a manifesté la volonté d’acheter. L’option-vente devait être au comptant, mais l’État avait budgétisé sur trois ans. C’était en 2008. Depuis, la dette n’est pas apurée. Les banques ont été confortées par l’engagement de l’État à payer sur trois ans. Elles ont aménagé le rééchelonnement sur la foi de l’engagement donné par l’État.
L’État n’ayant pas pu honorer ses engagements dans les délais convenus, nous nous sommes retrouvés en difficultés face aux banques. C’est ainsi que les remboursements ont connu des impayés. Les banques se sont d’abord montrées compréhensives, mais par la suite on a connu quelques signes d’impatience, notamment du côté de la CBAO, qui a initié une action. Cette action nous a pris un peu au dépourvu parce que la SICAP n’a jamais été confrontée à cette situation.
À l’époque les responsables de la société n’ont pas eu tellement de réactivité par rapport à la situation. Ils n’ont pas adopté la démarche qu’il fallait, c’est-à-dire aller vers les banques pour trouver des solutions, quitte à saisir l’autorité, à savoir le ministère des Finances. La banque a été un peu dépitée par ce manque de réaction et, donc, à poursuivi sa procédure.
LE BOUT DU TUNNEL
"Heureusement aujourd’hui nous avons trouvé une solution. La banque n’irait jamais jusqu’à saisir les immeubles de la SICAP. Nous avons toujours considéré que c’était juste un appel du pied pour pousser la SICAP à réagir, à venir à la table de négociations avec des solutions. Ce qui a été fait avec la nouvelle direction. Quand le nouveau directeur général (Ibrahima Sall, Ndlr) est venu, il a eu le temps de jeter un coup d’œil sur le dossier. Entretemps il y a eu des changements au niveau du staff. La nouvelle équipe a réorienté les démarches de la société, notamment vis-à-vis des banques. Nous avons trouvé une solution avec la CBAO et la BIS, qui s’était "greffée" dans la procédure de la CBAO. BIS n’avait pas initié une action à part, elle avait rejoint la CBAO puisque l’hypothèque concernait le même titre.
Aujourd’hui BIS a donné une main levée. Nous avons envoyé un courrier à la CBAO pour obtenir la radiation du commandement valant saisie. Donc, dès réception du courrier la banque devrait faire les diligences nécessaires pour radier cette procédure là. C’est un problème qui est résolu et derrière nous.
Sur le site les travaux sont en cours avec le début de la construction des routes secondaires. Il faut dire que le chantier est resté en léthargie pendant très longtemps. C’est pratiquement à la fin de 2014 qu’on a pris le taureau par les cornes en disant qu’il faut que ce chantier soit entièrement terminé. Les espaces verts sont prévus, l’électrification est en cours avec l’installation des lampadaires, l’aménagement du rond pont principal, etc. Nous avons fait prendre aux entrepreneurs des engagements fermes pour la fin à temps des travaux. De son côté la SICAP s’est engagée à payer les entrepreneurs dès la fin des travaux. Tout ça est bien calé, avec un monitoring sous la supervision du nouveau directeur technique.
RECOUVREMENT
"L’impayé de la clientèle impacte sur les possibilités de remboursement de la SICAP. Le client ne reçoit une mise en demeure de payer qu’au bout de trois mois d’impayés. Et à Keur Gorgui, trois mois d’impayés peuvent aller jusqu’à 1,2 million sinon plus- puisqu’il y a des clients qui paient 800 000 francs Cfa par mois. Cela, pour vous montrer l’impact que peuvent avoir les impayés à Keur Gorgui. Certes ces clients sont en défaillance vis-à-vis de la SICAP, mais un locataire on ne peut pas l’expulser manu militari. Il y a toute une procédure, qui peut aller jusqu’à un an avant son dénouement. Il faut dire que nous avons une certaine tolérance vis-à-vis des clients qui sont en défaillance. Nous cherchons autant que possible à lui aménager des solutions pour pouvoir s’acquitter de sa dette.
Parmi les clients en défaillance, il y a ceux qui ont pris des villas et devaient payer au comptant. Ils ont donné des avances et fixé des échéanciers qu’ils n’ont pas pu respecter. Il faut également préciser que vu la durée des travaux, l’achat au comptant ne l’était que de nom pour une grande partie. Nous ne pouvions pas exiger des clients qu’ils paient tout de suite alors que le produit n’était pas tout à fait disponible. Mais aujourd’hui, le produit est disponible, le quartier est habitable. Donc nous avons eu à faire des relances. Il y a eu des réactions, mais pas du côté de tous les clients. Aujourd’hui nous avons déroulé un programme de recouvrement qui, à terme, devrait permettre de récupérer les arriérés qui sont à Keur Gorgui pour les réinjecter dans les encours dus aux banques.
PLAN DE RELANCE
"Nous avons lancé à la fin de l’année 2014 un plan stratégique de développement pour relancer les activités de la société. Il y a eu une parenthèse malheureuse, entre 2000 et 2012, où la SICAP n’a pratiquement reçu aucune affectation de terre de la part de l’État. À part Keur Gorgui, qui était un projet phare, nous n’avons pas reçu de terrain pour le social. La SICAP est restée dans son coin pendant de longs moments à gérer des difficultés. Mais avec la nouvelle équipe mise en place par le nouveau directeur général, nous avons lancé un plan stratégique de développement qui, à terme, devrait aboutir à la construction de près de 40 000 unités d’habitation. L’essentiel des projets à l’heure actuelle, c’est sur Diass. La SICAP avait acquis le site avant qu’on ne parle de l’aéroport. C’est en 2005 que la SICAP avait acheté le site de Diass, qui fait 50 hectares. Nous avons également des sites sur le Lac Rose pour 70 hectares, sur Bambolor pour 30 hectares, et nous attendons des affectations de l’État. Actuellement dans le circuit administratif, il y a un document appelé «contrat de performances et moyens». Dans ce cadre, l’État et la SICAP ont pris des engagements réciproques. Pour l’État il s’agit essentiellement de l’affectation de terrains pour des programmes de logements sociaux que la SICAP devra construire. Il y a un certain nombre de sites qui ont été identifiés et qui font pratiquement 700 hectares aux alentours de Dakar. Nous avions notre programme stratégique de développement, pour relancer les activités de la SICAP, surtout dans le domaine social, moyen standing et grand standing, mais par la suite l’État est venu avec le Plan Sénégal émergent, qui a un volet Habitat très important.
Pour la cité Keur Gorgui, il y a une deuxième phase qui était prévue avec un certain nombre d’immeubles, notamment des plateaux de bureaux et de commerces. Nous avons presque bouclé les études techniques, les financements sont presque bouclés également. Normalement dans six mois à un an, on devrait débuter les travaux pour ces espaces de bureaux et commerces."