L’ambiance est vivante dans un kiosque de jeu logé à la Sicap baobab, lieu de regroupement des parieurs. Sous l’ombre d’un arbre, vieux et jeunes discutent à haute voix. Certains assis sur une natte, d’autres sur un long banc en bois. Les vieux jettent de temps en temps un coup d’œil sur leurs fiches de PMU (Pari mutuel urbain) alors que les plus jeunes, eux, parlent « “Pari foot »”.
“Je suis venu jouer au ‘‘Pari foot »’ pour tenter ma chance. Comme le font beaucoup de gens d’ailleurs. C’est la curiosité qui m’a poussée à jouer à ce jeu parce que je vois la plupart de mes amis y jouer”, nous lance Abdou Karim Samb. Ce jeune de 25 ans, qui joue aujourd’hui depuis deux années, est un habitué du jeu. Il refuse, cependant, de se qualifier comme un accro. “Les pertes sont plus élevées que les gains. Ça fait à peu près deux ans que je joue au ‘‘Pari foot »’. Je ne suis pas accro à ce jeu, c’est juste que ma chance n’a pas encore sonné. Ça ne me fait rien quand je n’y joue pas ».
Des jeunes comme Abdou, il y en a aujourd’hui beaucoup à Dakar où la fièvre du jeu semble s’emparer des plus jeunes : ‘Les jeunes et enfants s’intéressent de plus en plus au ‘‘pari foot »’ à cause du gain. Notre influence pousse les plus petits (moins de 18 ans) à s’intéresser davantage à ce jeu. C’est de notre faute’, dit Abdou Karim. Son camarade de jeu, Boubacar Diatta, lui, indique qu’il ne joue que pour se divertir. Et pourtant, le divertissement ne semble pas être la raison véritable. Car, ayant une fois gagné plus de 20 000 francs CFA après avoir parié 300 francs CFA, il est devenu un parieur régulier. ‘Les jeux de hasard font partie de notre environnement. Je pense que c’est un simple divertissement, du passe-temps. Cela fait cinq, voire six mois, que j’ai commencé à jouer au ‘‘Pari foot »’. J’ai gagné 22.700 francs avec une mise de 300 francs CFA. Je joue seulement les matchs simples. Franchement, je n’y vois pas de danger’.
‘Je mise parfois l’argent des factures d’électricité ou d’eau’
Cependant, la passion peut devenir, subitement, un cauchemar. Car, très vite, ceux qui jouaient pour le plaisir peuvent devenir accros. Et cette réalité, Jean Dasilva l’a vécue. Ce jeune homme de moins d’une trentaine d’années ne peut plus se passer de ce jeu. Il en est devenu presque malade: ‘C’est le manque criard de boulot qui m’a poussé à jouer au pari foot. J’ai commencé à jouer à ce jeu il y a à peine un an. J’avais parié 500 francs et j’ai gagné 177 000 francs CFA’. Et ce sont ces 177 000 francs CFA, qui le plongeront dans le monde des accros du jeu: ‘Je suis devenu accro à ce jeu. D’ailleurs je ne peux plus garder d’argent avec moi à cause de ce jeu. Quand on me donne de l’argent pour payer la facture d’électricité ou de l’eau, je l’investis au pari en espérant gagner. Et si je perds, je me décarcasse pour pouvoir trouver de quoi compléter la somme pour payer la facture. Et quand je n’y joue pas, j’ai des problèmes et j’y pense tout le temps. Un ami m’a donné de l’argent pour que je lui achète un téléphone, je l’ai parié et j’ai perdu. Cela fait trois mois qu’il court après moi. Ce qui me pousse à m’endetter un peu partout. La somme de mes dettes s’élève aux environ quatre-vingt mille francs CFA’, confie-t-il.
Jean le Gérant: ‘Quand ils commencent à y jouer, ils en deviennent accros’
Comme lui, beaucoup d’ados qui affluent dans les salles de pari sont aujourd’hui devenus accros. Ils essaiment dans ces salles où, pourtant, l’accès doit être interdit à ceux qui n’ont pas 18 ans. ‘Je ne permets pas au moins de 18ans de jouer bien avant qu’on ne l’interdise. Parce que c’est trop risqué. Quand ils commencent à y jouer, ils deviennent accros. Ce qui les pousse parfois à voler de l’argent à leurs parents. Certains d’entre eux parient avec l’argent de leur transport. S’ils n’y jouent pas, ils deviennent malades’, signale Jean Marie Carnazo, gérant d’un kiosque de loto à baobab. ‘C’est la situation actuelle du pays qui pousse la majeure partie des gens à jouer de plus en plus au ‘» pari foot’ ». Chacun a l’espoir de gagner quelques choses. Et pour certains jeunes et quelques retraités, c’est la passion qu’ils éprouvent pour le football qui les pousse à y jouer’, explique-t-il.
Quand le jeu n’est plus un simple jeu…
De nombreux spécialistes se sont penchés sur l’influence du jeu sur les jeunes et les adolescents. En effet, l’ONG ‘tel-jeunes’, spécialisée sur les drogues et les dépendances de jeunes, renseigne que ‘le jeune qui consomme pour la première fois de la drogue ou de l’alcool n’envisage pas qu’il puisse un jour devenir dépendant. Il est de même pour les jeux de hasard et d’argent. Ils peuvent devenir progressivement problématiques sans que le joueur soit conscient des risques associés à ses habitudes. Le jeu n’est plus un jeu lorsqu’on ressent constamment le besoin de jouer et qu’il devient difficile de maîtriser ce comportement. Le jeu occupe alors une place de plus en plus importante malgré les conséquences négatives que le jeu a sur la vie personnelle, familiale et sociale’. À partir de là, le jeu prend le dessus.
Là, l’individu joue de plus en plus. Des sommes de plus en plus élevées sont misées. Il devient incapable de respecter les limites qu’il s’était fixées. Il pense constamment à jouer, il devient incapable de résister à la tentation de jouer. Le jeu nuit à ses études, à ses relations avec ses amis et sa famille, les problèmes financiers s’ensuivent, il joue pour regagner l’argent perdu, etc.
Comment s’en sortir
Les spécialistes renseignent que les problèmes liés au jeu comportent trois phases : Les gains au début où le joueur gagne souvent et ça devient de plus en plus excitant pour lui. Puis, vient l’étape des pertes où le joueur commence à perdre et continue de jouer dans l’espoir de compenser ses pertes. Il ment à son entourage, emprunte de l’argent et peut même aller jusqu’à commettre des actes illégaux pour se procurer de l’argent. Le cercle vicieux s’installe. Il devient irritable et s’isole. La dernière étape, c’est celui du désespoir. Le joueur pense encore que gagner sera la solution à son problème. Cependant, ses difficultés financières sont de plus en plus sérieuses et il s’isole davantage. Il est désespéré, ne sait plus comment s’en sortir et n’a plus de contrôle sur ses comportements de jeu. Le jeu prend maintenant toute la place. Le joueur est souvent déprimé et peut avoir des idées noires. À cette étape, certains nient encore leur problème de jeu et d’autres admettent qu’ils ont besoin d’aide.
À ce stade il faut chercher du soutien auprès de personnes de confiance, consulter un professionnel. Ne plus garder le secret sur les problèmes de jeu et les dettes. Il faudra aussi savoir qu’aucune stratégie ne peut avoir raison du hasard, conseillent les spécialistes de ‘tel-jeunes’.
Auteur: Ndeye Fatou Ndiaye - Seneweb.com