Il est sans doute très difficile d’être Ministre de la Justice sous nos cieux, c’est-à-dire dans des Etats qui font, encore, l’apprentissage de la démocratie.
Me Sidiki Kaba est en train d’expérimenter cette dure réalité. Sa tâche est d’autant plus difficile qu’il a été pendant des décennies, un défenseur des droits de l’homme. Maintenant qu’il est de l’autre côté, c’est-à-dire du côté des arrestations, poursuites et inquisitions, on imagine bien dans quel dilemme le plonge souvent l’exercice de ses responsabilités.
Cependant, cela ne doit pas l’obliger à oublier cet état de fait : La Constitution sénégalaise consacre le principe de la séparation des pouvoirs. Partant, l’Exécutif dont il est un membre actif, n’est pas le Judiciaire, même si par ailleurs il exerce un pouvoir de tutelle sur le Parquet et assiste aux réunions du Conseil supérieur de la magistrature en tant que vice-président.
Je ne peux pas cependant m’empêcher de penser qu’en aucun cas, le Ministre de la Justice n’intervient dans les dossiers en cours d’instruction. Non seulement le secret de l’instruction est protégé, mais seul le juge d’instruction peut décider de la suite à donner à un dossier en fonction des éléments à charge et à décharge qu’il a à sa disposition. C’est pourquoi, nous ne comprenons pas, comment se fait-il que les dossiers de Cheikh Béthio Thioune et de Thione Seck, qui sont en instruction, puissent faire l’objet de déclaration du Ministre, responsable du Parquet. Ceci est d’autant plus préoccupant qu’il a donné des assurances fermes sur la tenue de leurs procès.
Sans chercher à être l’avocat du diable, nous estimons qu’il appartient à la Justice, en toute indépendance, de décider de la suite à donner à ses affaires.
Du coup, la sortie du Ministre sur cette question pourrait avoir deux significations. Cela pourrait vouloir dire que l’Exécutif contrôle tout le Judiciaire, y compris les Juges d’instruction et les magistrats assis et qui prononcent les sentences. Et que la Chancellerie est aussi juge de la tenue ou non des procès.
Mais cela pourrait également signifier que le Gouvernement ne fera rien pour empêcher la tenue des procès de ces personnalités et que s’il avait un quelconque obstacle à cela, il serait aujourd’hui levé.
Quelle que soit l’hypothèse qui traduit le mieux la vérité des faits, cela signifie que l’Union des magistrats du Sénégal (Ums) n’a pas eu tort de demander plus d’indépendance.
Nous comprenons que le Ministre soit acculé sur une question très sensible par rapport à laquelle les Sénégalais attendaient des réponses du genre de celle qu’il a donnée. Mais nous ne pouvons pas applaudir, même si nous plaidons pour qu’il n’y ait pas d’intouchables dans notre système judiciaire.
Nous estimons que le Ministre aurait pu simplement répondre que les juges, selon leurs propres appréciations, leur ont délivré des libertés provisoires mais que cela ne sera pas une entrave à la tenue de procès si ces mêmes magistrats le jugent nécessaire.
Mais le fait de répondre tout de go que les procès vont se tenir, signifie simplement que la main invisible de l’Etat n’est jamais loin dans certains dossiers. Et c’est cela qui pose problème.
Dakarmatin