Leurs échanges verbaux enflamment le débat public depuis un moment. Sur fond de déballages, de piques, de répliques, d’interpellations, de précisions ou d’acerbes rappels, la guéguerre qui sévit entre Abdoul Mbaye, Aminata Touré et Mahamad Dionne, commence à prendre des proportions sérieuses.
Par lettres interposées, sur les réseaux sociaux ou dans la presse, la guerre des mots fait rage. Aminata Touré et Mohamed Dionne ne font pas de cadeau à Abdoul Mbaye. Et vice-versa. Le fils de Kéba Mbaye qui arbore désormais un boubou d’opposant au pouvoir en place, tire à boulets rouges sur le camp dont il fut pourtant le premier chef du gouvernement. Ce que Mimi Touré et Mohamed Dionne ne peuvent digérer.
Les louanges avant la guerre
C’est entre Aminata Touré et Abdoul Mbaye que les passes d’armes débutent. Et pourtant, malgré quelques rumeurs de frictions dans leurs rapports lors de leur cohabitation dans le gouvernement du 3 avril 2012, la cérémonie de passation de services entre le fils de Kéba Mbaye et l’ancienne fonctionnaire de l’ONU fut empreinte d’une grande courtoisie. « C’est l’occasion pour moi de saluer mon prédécesseur et de lui rendre hommage pour le très bon travail qu’il a accompli jusqu’ici.
Et je le prends témoin pour continuer cette course », disait Mimi Touré, sur les marches du palais, tout juste après sa nomination à la Primature. Mais, Abdoul Mbaye, de son côté, n’avait visiblement pas digéré son limogeage. Il s’emmure dans un lourd silence durant quelques mois, avant de revenir, le couteau entre les dents, en octobre 2014.
Les premières salves
« C’est un procès risqué sans doute pour ceux qui l’ont souhaité et peut-être aussi pour ceux qui l’ont organisé », a-t-il tonné 13 mois après son limogeage, à propos du Procès Habré. La charge était claire. La réplique de Mimi, alors Premier ministre, ne se fera pas attendre : « Je ne l’ai jamais entendu le dire en Conseil des ministres. Il était quand même Premier ministre quand j’étais ministre de la Justice.
L’organisation du procès, c’est la décision du président de la République. Le ministre de la Justice ne peut pas se lever et organiser un procès aussi important sans l’instruction du Président de la République. Il faut que les gens aient le courage de ce qu’ils disent » décoche-t-elle. Ce sera le point de départ de l’épisode Mimi-Abdoul.
La guerre totale
Quelques jours plus tard, le débat vole un cran plus bas entre les deux personnalités publiques. Abdoul Mbaye hausse le ton et ne trie plus ses mots : « Ce que je constate, c’est que le procédé (de Mimi Touré) n’est pas élégant. Il consiste à fabriquer du mensonge, à le mettre dans ma bouche, à dire ce qu’on veut en dire en se présentant comme procureur.
Non, je n’ai jamais dit que nous n’aurions pas dû organiser le procès Habré. C’est totalement faux », peste-t-il dans un entretien paru dans « Enquête ». Le fils de Kéba Mbaye endiable le rythme de ses attaques. Il recadre le régime sur l’envoi des troupes en Arabie, bat campagne pour le « Non » en mars 2016, fustige la tenue du référendum, la modification de la Constitution « une énième fois, dans la précipitation » et s’indigne de la non-tenue de la promesse de réduction du mandat présidentiel. « Aujourd’hui, la révision du mandat du Président de la République est en très grande partie vidée de sa substance, ou du moins, de ce qui faisait du référendum une œuvre urgente. La prochaine élection présidentielle se tenant en février 2019, rien ne peut justifier la tenue dans la précipitation d’un référendum avec autant de points, engloutissant plusieurs milliards de nos ressources rares » , déclara Abdoul Mbaye.
Mohamed Dionne entre dans la danse
Cette fois, ce n’est pas Mimi Touré qui lui répondra. Le ton de la réplique sera plus viril. « Le Président Macky Sall, après la nécessaire phase de consolidation de l’État de droit longuement malmené par son prédécesseur, a mis en place la Cnri par décret n° 2013-730 du 28 mai 2013, contresigné par le Premier ministre d’alors, monsieur Abdoul Mbaye. L’article 3 du même décret le disait clairement : “‘les réformes proposées peuvent trouver leur traduction dans une modification de la Constitution, des lois organiques et des lois ordinaires”’.
L’on s’étonne donc naturellement que le Premier ministre d’alors du Président Macky Sall, ayant lui-même contresigné le décret portant création de la Cnri, le 28 mai 2013, puisse venir aujourd’hui justifier ses “‘raisons de voter non”’ au référendum (ce qui est du reste son droit en tant que citoyen), quand il proclame de façon péremptoire : “‘Parce que la Constitution de mon pays ne mérite pas d’être modifiée une énième foi”’. S’il était si convaincu de sa posture de “‘touches pas à ma constitution”’, il aurait dû tout simplement démissionner le 28 mai 2013 afin que “‘sa”’ constitution demeure en l’état », lui balança l’actuel Premier ministre dans une lettre ouverte au ton encore plus caustique. Mais, la virulence des piques d’Abdoul Mbaye grimpe d’un cran.
L’arme fatale des dossiers sensibles
En début 2016, ayant mis en place sa formation politique, l’ancien banquier revient à la charge. Il cible les dossiers les plus sensibles. Abdoul Mbaye demande au chef de l’État de dire s’il avait connaissance de la relation entre Petro-Tim Ltd et son frère Aliou Sall avant l’adoption des projets de décrets qui approuvent le Contrat de Recherche et de Partage de Production d’hydrocarbures conclus entre l’État du Sénégal, Petrosen et Petrotim Limited pour les blocs de Saint Louis offshore profond et Cayar Offshore Profond. Dénonçant l’« opacité de la gestion des richesses nationales », il demande aussi la publication de toutes les clauses, sans exception, des Mou, décrets et contrats d’exploration et de production de pétrole et de gaz déjà signés ou en voie de l’être, afin de respecter les règles de transparence dans la gouvernance des ressources naturelles.
Mais aussi des éclairages sur le contrat entre le Sénégal et la société de Bictogo. Une avalanche de répliques s’abattra sur lui. Parmi elles, celle de Mimi Touré : « Un certain ex-champion de l’éthique à l’origine de cette cabale avortée, récemment rattrapé par son passé de faussaire, ferait mieux de préparer ses nombreux dossiers judiciaires plutôt que de chercher des compagnons d’infortune. Il est à déplorer qu’une personnalité qui a servi l’État à son plus haut sommet n’ait que l’affabulation et la calomnie comme stratégie politique pour se signaler à l’opinion ».
Mimi et Dionne en bouclier de Macky
Le Premier Ministre, Mohamed Dionne vient en renfort. Il lui signifiera que « le fonctionnement quotidien des institutions ne permet pas à chaque citoyen, individuellement pris, ou à chaque parti politique, d’interpeller de manière intempestive, parfois fantaisiste, le Gouvernement ou le Président de la République dont les communications, messages et interventions obéissent à un protocole républicain bien établi (…). Si votre objectif est d’accéder à l’information du citoyen, que vous contactiez les responsables du Comité national de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives afin de disposer de toutes ces données ; un comité dont la création a été actée par vous-même, en tant que premier ministre du premier gouvernement du Président Macky Sall ». Abdoul Mbaye de revenir à la charge : « Au lieu de se défendre et de répondre aux questions posées, voilà qu’ils cherchent à me rendre complice !!! Il y a meilleure façon de se défendre que de n’avoir comme argument “de toute façon il était au courant”. Cela ressemble déjà fort à un aveu. Non ! Ni moi ni la plupart des membres du Gouvernement n’étions informés de faits intentionnellement cachés au moment de la présentation des projets de décrets concernés. C’est aussi simple que cela. Tous ces écrits qui viennent en renfort à ceux qui ont masqué l’information, ne sont que vaines contorsions qui n’éviteront pas l’éclatement de la vérité au grand jour, et le jugement par les citoyens honnêtes », peste-t-il.
Le Plus important ?
Aujourd’hui, la guéguerre qui sévit entre Abdoul Mbaye, Mimi Touré et Mohamed Dionne est loin de connaitre son épilogue. Mais, dans les débats, surgissent de nombreux dossiers, à l’image de l’affaire Bictogo et les contrats pétroliers, qui méritent un éclairage de la part du chef de l’État. Après tout, édifier sincèrement et très clairement les Sénégalais sur ces dossiers à très gros impact financier n’est-il pas plus important que les polémiques politiciennes entretenues depuis près de deux années ?
Auteur: Youssouf SANE - Seneweb.com