Depuis une dizaine d'années se développe quasiment partout dans le monde, une réforme des Administrations publiques qui consiste à s'inspirer des méthodes de gestion du secteur privé : budget par objectifs, gestion axée sur les résultats, recherche de l'efficacité et de l'économie et non plus seulement respect de la régularité, évaluation des actions et des politiques publiques, volonté de transparence, responsabilisation des fonctionnaires, etc.
Certes on pourrait s'étonner que l'entreprise privée, avec tous ses défauts de fonctionnement que la crise vient de révéler, puisse servir de modèle à l'administration.
Mais le gaspillage des deniers publics et la dette croissante de tous les Etats qui en est la conséquence, a également été souligné par l'actualité. Loin des querelles idéologiques, la nécessité pour l'Etat de dépenser moins et mieux, ne fait de doute pour personne, quel que soit le régime politique. Les méthodes dont on va parler, même si elles sont issues d'une philosophie libérale et anglo-saxonne, sont appliquées aujourd'hui en Chine comme en Russie, en Afrique comme au Moyen Orient, sans aucune réticence. Ne parle-t-on pas d'ailleurs pour les désigner, des « normes et pratiques internationalement reconnues » ? De quoi s'agit-il ?
C'est d'ailleurs d'une crise financière américaine que ces principes de gestion nouveaux sont issus.
Fin des années 80, la faillite des caisses d'épargne américaines révèle une vérité première : les comptes des entreprises ne traduisent pas ou trop tard la qualité ou plutôt la mauvaise qualité d'une gestion. La comptabilité ne prémunit pas contre les risques. Il faut des contrôles en amont sur la procédure de décision (décision making process) et un contrôle suivi de la gestion.
Cela va s'appeler le contrôle interne. En réalité il s'agit beaucoup moins de contrôler que de maîtriser la gestion afin de réaliser les objectifs de l'entreprise avec le minimum de risque. « Control » en Anglais signifie en effet surtout maîtrise comme dans les expressions « contrôle de la situation »ou « contrôle du ballon » et il convient de doter la gestion des instruments internes qui vont permettre cette maîtrise.
Lorsqu'à la fin des années 90, la Commission Européenne, suite aussi à un scandale, décide d'abandonner le contrôle financier à la française (visa a priori avant tout engagement de dépense) pour passer au contrôle interne inspiré du COSO, c'est donc une véritable révolution administrative qu'elle s'impose d'abord à elle même. Très vite pourtant, le nouveau mode de gestion publique sera une des conditions mise à l'entrée des nouveaux Etats Membres dans l'Union, et sous le nom de PIFC (Public Internal Financial Control), s'imposera comme un des acquis européens pour tous les pays membres.
Puis, très vite, ce nouveau mode de management public sera également adopté par tous les grands bailleurs de fonds : Banque Mondiale, FMI, USAid, PNUD, etc, comme condition imposée aux bénéficiaires de leurs aides, mais son efficacité, en tous cas par rapport à l'ancien système, fait que de grands pays indépendants, comme la Russie ou la Chine, cherchent aussi à l'implanter.
Le « contrôle interne » défini par le COSO en 1992 a immédiatement été reconnu par l'Institut des Auditeurs Internes (IIA) comme étant désormais la base de « l'audit interne », discipline un peu plus ancienne et pour laquelle existent des normes très précises. Les entreprises privées, au moins les plus importantes, cotées en Bourse par exemple, doivent donc satisfaire à une double exigence : établir un système de contrôle interne c'est à dire implanter les instruments nécessaires à la maîtrise des risques inhérents à leur gestion, et posséder en leur sein un service d'audit interne indépendant dont le rôle est d'évaluer et d'améliorer ce système de façon régulière et systématique.
Le Contrôle Interne est donc l'ensemble des moyens, de quelque nature qu'ils soient, mis en oeuvre par un manager pour atteindre ses objectifs. Ce qui supposent d'abord et avant tout que de tels objectifs soient fixés, dans le cadre d'une stratégie générale déclinée à chaque échelon. Les contrôles proprement dits, ou le contrôle de gestion, n'en sont qu'une partie et au moins aussi importants sont par exemple l'établissement de procédures, la formation professionnelle, l'agencement d'une gouvernance adaptée ou la gestion des ressources humaines.
L'Audit Interne n'est pas non plus un contrôle mais l'évaluation par un expert professionnel (généralement une équipe pluridisciplinaire), de l'efficacité du système de contrôle interne mis en place et son amélioration par des recommandations. L'auditeur n'est nullement un inspecteur, tout au contraire, c'est un conseil et un ami à l'écoute (auditer = écouter) des problèmes qui lui sont confiés pour les résoudre, en commun et en accord avec le manager.
Ces deux exigences, Contrôle interne(CI) et Audit interne (AI), on l'a bien compris, concernent en premier lieu la gestion, le fonctionnement de l'entreprise et l'atteinte de ses objectifs, les risques qu'il faut éviter ou limiter. Les systèmes comptables quant à eux sont validés de façon traditionnelle par le Commissariat aux Comptes, appelé justement audit externe. La nouvelle doctrine établit donc une symétrie entre les systèmes comptables évalués par l'audit externe et les systèmes de contrôle de la gestion nouvellement créés, évalués par l'audit interne. Des développements plus récents ont créé enfin des moyens de lutter contre la fraude dans les entreprises(LCF). Le tout (CI + AI + LCF) semble constituer les éléments cohérent d'un management plus efficace et plus sûr.
Transposé au secteur public administratif (pour les entreprises publiques il a été adopté tel quel), que donne ce nouveau système de gestion, ce nouvel ensemble de « standards » à prétention universelle ?
Ainsi aboutit-on à trois « métiers » différents, dont deux sont nouveaux et constituent pour l’Administration une vraie « révolution » : le CI et l’AI.
L'Administration en effet, ailleurs que dans les pays anglo-saxons, est de type centralisé (modèle français, ou héritage des monarchies, des empires ou encore des dictatures). Elle repose sur le respect de la loi et des règlements, sanctionnés par des Inspections et des contrôles externes. Ce type d'administration publique ne ressemble donc guère à une entreprise. La transposition n’est donc pas évidente. L'idée que c'est au gestionnaire, donc quasiment à chaque service, d'établir sous sa responsabilité un système d'auto-contrôle interne et de maîtrise de son propre fonctionnement, comprenant un système de CI et un service d’AI, lui est totalement étrangère et constitue un bouleversement, technique mais surtout des mentalités et des comportements.
C'est pourtant bien de cela qu'il s'agit, c'est la réforme qui est en cours un peu partout dans le monde et elle comporte de nombreux autres corollaires.
On a compris que comme pour l'entreprise, l'Administration, donc en pratique chaque unité administrative, chaque centre de gestion doit se fixer ou se voir fixer, des objectifs à atteindre. La Loi de Finances n'est plus ainsi l'autorisation de faire certaines dépenses mais l'obligation d'obtenir certains résultats dans le cadre de moyens mis à la disposition d'unités de gestion responsables. En France, cette révolution budgétaire a donné lieu à la fameuse Loi Organique sur les Lois de Finances, LOLF, appliquée au Budget depuis 2006. Pour une masse de crédits donnés, et avec certaines latitudes au niveau du gestionnaire, il sera constaté les résultats obtenus. La priorité n'est plus sur la régularité (surtout quand elle est formelle) mais sur l'efficacité et sur l'économie des moyens mis en oeuvre pour la réalisation des objectifs, plus couramment sur ce qu'on appelle la « performance ».
Au niveau du contrôle, et en conséquence, tout devient donc différent !
Le fameux contrôle a priori ou visa, délivré par un fonctionnaire des Finances avant l'engagement de toute dépense par un fonctionnaire « dépensier », ou « ordonnateur », est appelé à disparaître. Ce dernier devient responsable a posteriori sur les résultats obtenus des sommes qu'il a engagées.
Le contrôle du comptable évolue à son tour vers le même objectif de bonne dépense et la traditionnelle séparation entre les deux se change en collaboration. Le contrôle a posteriori ou externe, celui des inspections, se transforme en audit du fonctionnement des services et en évaluation des résultats obtenus.
Une organisation spécialisée dans la lutte contre la fraude peut également s'établir à partir d'elles, à condition d'être nettement distinguée de l'audit. Enfin le contrôle externe, celui de la Cour des Comptes, devient une véritable certification comptable, à l'image du travail des commissaires aux comptes pour une entreprise privée.
S'y ajoute une fonction plus politique, au service du Parlement, d'évaluation des politiques publiques, qui est aussi entrain de voir le jour en France, alors qu'elle existe depuis longtemps dans les pays anglo-saxons.
Presque quinze ans d'expérience pour implanter ce système dans diverses parties du monde, m'ont en montré les difficultés.
La plus générale, si ce n'est même la plus importante, est la résistance parfois inconsciente, parfois volontaire, des mentalités, des habitudes et des comportements. On a dit que si le peuple juif était resté si longtemps dans le désert, c'est que pour entrer dans la terre de la liberté, il fallait que tous ceux qui avaient été esclaves, y compris Moïse, soient morts. Et effectivement si le nouveau système peine auprès de la technostructure existante, l'adhésion enthousiaste des jeunes à suivre les nouvelles formations, est un gage encourageant pour l'avenir. Cependant, c'est vrai, il faudra du temps et une volonté politique forte (Moïse !).
D'une façon plus technique, il faut souligner que si les pays anglo-saxons n'ont que très peu de difficultés à développer la nouvelle gestion publique, il n'en va pas de même pour la plupart des autres types d'administrations dans le monde. Les premiers ont une structure administrative qui évolue depuis longtemps déjà vers la responsabilisation et l'autonomie dans le cadre d' « agences », tandis que les autres restent sur un schéma fortement centralisé où la puissance publique, l'imperium, demeure par nature très différente dans sa morale et dans ses moyens, de la gestion privée.
Prenons le problème de la responsabilité managériale qui est au coeur du nouveau système. Dans l'entreprise, les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés à chacun, déterminent des primes plus ou moins importantes ou justifient le renvoie. Mais que faire devant des fonctionnaires protégés par un statut ? Les pays anglo-saxons ont pu sans problème développer la contractualisation, voire supprimer le statut de la fonction publique. La France tente de développer une rémunération au mérite qui n'ira pas très loin et donne au mot responsabilité, ce qui n'est pas si mal, le sens d'obligation de rendre des comptes (accountability en Anglais).Quand cette obligation doit se faire devant le Parlement, et on y vient, on peut dire que la NGP renforce la démocratie.
Mais quid des pays émergents ? Car, non seulement ils sont centralisés à l'excès (« tout remonte ») mais leurs fonctionnaires sont médiocrement payés et sujets aux tentations. La transparence démocratique y est rare et l'arbitraire fréquent. Dans ces conditions, la nouvelle gestion publique peut-elle y être autre chose qu'un discours des gouvernants, sans réelle portée pratique ?
Sans méconnaître l'ampleur des phénomènes de corruption et d'arbitraire, nous ne sommes pas de cet avis. La NGP ouvre au contraire pour ces pays une voie réaliste d'amélioration. En luttant contre les gaspillages, les investissements inutiles voire inexistants (les « éléphants blancs »), en s'attachant à l'audit des résultats, ce qu'ils sont parfaitement capables de faire, on dévie l'impossible combat contre la corruption et l'arbitraire vers un contrôle de l'efficience et vers l'évaluation de la plus ou moindre grande pertinence des dépenses par rapport aux priorités et aux besoins. La plupart des régimes, dans leur intérêt bien compris, peuvent accepter cela. Les progrès que nous avons par exemple constaté en Afrique et au Maghreb sont indéniables.
Gérer l'Etat au plus près d'une entreprise, n'est ni une prise de position idéologique, ni un voeu pieux. C'est avant tout une question de bon sens, qu'aucun régime politique ne peut vraiment refuser. Qui peut sérieusement contester, surtout dans les temps difficiles qui sont les nôtres, qu'il n'est pas possible de faire n'importe quoi avec l'argent des contribuables ou celui des donneurs et qu'un minimum de règles qui inspirent la gestion privée doit s'imposer à l'Etat.
Que ces règles demandent à être adaptées plutôt qu'adoptées, est certain car tous les pays ne présentent pas la même structure administrative, le même stade de développement et le même environnement culturel.
Mais l'effort doctrinal que nous avons brièvement présenté (contrôle interne, audit interne, audit externe, exercés selon des normes internationalement reconnues), montre la force d'un courant de modernisation de l'Administration, auquel aucun pays ne peut désormais se soustraire.
Certes on pourrait s'étonner que l'entreprise privée, avec tous ses défauts de fonctionnement que la crise vient de révéler, puisse servir de modèle à l'administration.
Mais le gaspillage des deniers publics et la dette croissante de tous les Etats qui en est la conséquence, a également été souligné par l'actualité. Loin des querelles idéologiques, la nécessité pour l'Etat de dépenser moins et mieux, ne fait de doute pour personne, quel que soit le régime politique. Les méthodes dont on va parler, même si elles sont issues d'une philosophie libérale et anglo-saxonne, sont appliquées aujourd'hui en Chine comme en Russie, en Afrique comme au Moyen Orient, sans aucune réticence. Ne parle-t-on pas d'ailleurs pour les désigner, des « normes et pratiques internationalement reconnues » ? De quoi s'agit-il ?
C'est d'ailleurs d'une crise financière américaine que ces principes de gestion nouveaux sont issus.
Fin des années 80, la faillite des caisses d'épargne américaines révèle une vérité première : les comptes des entreprises ne traduisent pas ou trop tard la qualité ou plutôt la mauvaise qualité d'une gestion. La comptabilité ne prémunit pas contre les risques. Il faut des contrôles en amont sur la procédure de décision (décision making process) et un contrôle suivi de la gestion.
Cela va s'appeler le contrôle interne. En réalité il s'agit beaucoup moins de contrôler que de maîtriser la gestion afin de réaliser les objectifs de l'entreprise avec le minimum de risque. « Control » en Anglais signifie en effet surtout maîtrise comme dans les expressions « contrôle de la situation »ou « contrôle du ballon » et il convient de doter la gestion des instruments internes qui vont permettre cette maîtrise.
Lorsqu'à la fin des années 90, la Commission Européenne, suite aussi à un scandale, décide d'abandonner le contrôle financier à la française (visa a priori avant tout engagement de dépense) pour passer au contrôle interne inspiré du COSO, c'est donc une véritable révolution administrative qu'elle s'impose d'abord à elle même. Très vite pourtant, le nouveau mode de gestion publique sera une des conditions mise à l'entrée des nouveaux Etats Membres dans l'Union, et sous le nom de PIFC (Public Internal Financial Control), s'imposera comme un des acquis européens pour tous les pays membres.
Puis, très vite, ce nouveau mode de management public sera également adopté par tous les grands bailleurs de fonds : Banque Mondiale, FMI, USAid, PNUD, etc, comme condition imposée aux bénéficiaires de leurs aides, mais son efficacité, en tous cas par rapport à l'ancien système, fait que de grands pays indépendants, comme la Russie ou la Chine, cherchent aussi à l'implanter.
Le « contrôle interne » défini par le COSO en 1992 a immédiatement été reconnu par l'Institut des Auditeurs Internes (IIA) comme étant désormais la base de « l'audit interne », discipline un peu plus ancienne et pour laquelle existent des normes très précises. Les entreprises privées, au moins les plus importantes, cotées en Bourse par exemple, doivent donc satisfaire à une double exigence : établir un système de contrôle interne c'est à dire implanter les instruments nécessaires à la maîtrise des risques inhérents à leur gestion, et posséder en leur sein un service d'audit interne indépendant dont le rôle est d'évaluer et d'améliorer ce système de façon régulière et systématique.
Le Contrôle Interne est donc l'ensemble des moyens, de quelque nature qu'ils soient, mis en oeuvre par un manager pour atteindre ses objectifs. Ce qui supposent d'abord et avant tout que de tels objectifs soient fixés, dans le cadre d'une stratégie générale déclinée à chaque échelon. Les contrôles proprement dits, ou le contrôle de gestion, n'en sont qu'une partie et au moins aussi importants sont par exemple l'établissement de procédures, la formation professionnelle, l'agencement d'une gouvernance adaptée ou la gestion des ressources humaines.
L'Audit Interne n'est pas non plus un contrôle mais l'évaluation par un expert professionnel (généralement une équipe pluridisciplinaire), de l'efficacité du système de contrôle interne mis en place et son amélioration par des recommandations. L'auditeur n'est nullement un inspecteur, tout au contraire, c'est un conseil et un ami à l'écoute (auditer = écouter) des problèmes qui lui sont confiés pour les résoudre, en commun et en accord avec le manager.
Ces deux exigences, Contrôle interne(CI) et Audit interne (AI), on l'a bien compris, concernent en premier lieu la gestion, le fonctionnement de l'entreprise et l'atteinte de ses objectifs, les risques qu'il faut éviter ou limiter. Les systèmes comptables quant à eux sont validés de façon traditionnelle par le Commissariat aux Comptes, appelé justement audit externe. La nouvelle doctrine établit donc une symétrie entre les systèmes comptables évalués par l'audit externe et les systèmes de contrôle de la gestion nouvellement créés, évalués par l'audit interne. Des développements plus récents ont créé enfin des moyens de lutter contre la fraude dans les entreprises(LCF). Le tout (CI + AI + LCF) semble constituer les éléments cohérent d'un management plus efficace et plus sûr.
Transposé au secteur public administratif (pour les entreprises publiques il a été adopté tel quel), que donne ce nouveau système de gestion, ce nouvel ensemble de « standards » à prétention universelle ?
Ainsi aboutit-on à trois « métiers » différents, dont deux sont nouveaux et constituent pour l’Administration une vraie « révolution » : le CI et l’AI.
L'Administration en effet, ailleurs que dans les pays anglo-saxons, est de type centralisé (modèle français, ou héritage des monarchies, des empires ou encore des dictatures). Elle repose sur le respect de la loi et des règlements, sanctionnés par des Inspections et des contrôles externes. Ce type d'administration publique ne ressemble donc guère à une entreprise. La transposition n’est donc pas évidente. L'idée que c'est au gestionnaire, donc quasiment à chaque service, d'établir sous sa responsabilité un système d'auto-contrôle interne et de maîtrise de son propre fonctionnement, comprenant un système de CI et un service d’AI, lui est totalement étrangère et constitue un bouleversement, technique mais surtout des mentalités et des comportements.
C'est pourtant bien de cela qu'il s'agit, c'est la réforme qui est en cours un peu partout dans le monde et elle comporte de nombreux autres corollaires.
On a compris que comme pour l'entreprise, l'Administration, donc en pratique chaque unité administrative, chaque centre de gestion doit se fixer ou se voir fixer, des objectifs à atteindre. La Loi de Finances n'est plus ainsi l'autorisation de faire certaines dépenses mais l'obligation d'obtenir certains résultats dans le cadre de moyens mis à la disposition d'unités de gestion responsables. En France, cette révolution budgétaire a donné lieu à la fameuse Loi Organique sur les Lois de Finances, LOLF, appliquée au Budget depuis 2006. Pour une masse de crédits donnés, et avec certaines latitudes au niveau du gestionnaire, il sera constaté les résultats obtenus. La priorité n'est plus sur la régularité (surtout quand elle est formelle) mais sur l'efficacité et sur l'économie des moyens mis en oeuvre pour la réalisation des objectifs, plus couramment sur ce qu'on appelle la « performance ».
Au niveau du contrôle, et en conséquence, tout devient donc différent !
Le fameux contrôle a priori ou visa, délivré par un fonctionnaire des Finances avant l'engagement de toute dépense par un fonctionnaire « dépensier », ou « ordonnateur », est appelé à disparaître. Ce dernier devient responsable a posteriori sur les résultats obtenus des sommes qu'il a engagées.
Le contrôle du comptable évolue à son tour vers le même objectif de bonne dépense et la traditionnelle séparation entre les deux se change en collaboration. Le contrôle a posteriori ou externe, celui des inspections, se transforme en audit du fonctionnement des services et en évaluation des résultats obtenus.
Une organisation spécialisée dans la lutte contre la fraude peut également s'établir à partir d'elles, à condition d'être nettement distinguée de l'audit. Enfin le contrôle externe, celui de la Cour des Comptes, devient une véritable certification comptable, à l'image du travail des commissaires aux comptes pour une entreprise privée.
S'y ajoute une fonction plus politique, au service du Parlement, d'évaluation des politiques publiques, qui est aussi entrain de voir le jour en France, alors qu'elle existe depuis longtemps dans les pays anglo-saxons.
Presque quinze ans d'expérience pour implanter ce système dans diverses parties du monde, m'ont en montré les difficultés.
La plus générale, si ce n'est même la plus importante, est la résistance parfois inconsciente, parfois volontaire, des mentalités, des habitudes et des comportements. On a dit que si le peuple juif était resté si longtemps dans le désert, c'est que pour entrer dans la terre de la liberté, il fallait que tous ceux qui avaient été esclaves, y compris Moïse, soient morts. Et effectivement si le nouveau système peine auprès de la technostructure existante, l'adhésion enthousiaste des jeunes à suivre les nouvelles formations, est un gage encourageant pour l'avenir. Cependant, c'est vrai, il faudra du temps et une volonté politique forte (Moïse !).
D'une façon plus technique, il faut souligner que si les pays anglo-saxons n'ont que très peu de difficultés à développer la nouvelle gestion publique, il n'en va pas de même pour la plupart des autres types d'administrations dans le monde. Les premiers ont une structure administrative qui évolue depuis longtemps déjà vers la responsabilisation et l'autonomie dans le cadre d' « agences », tandis que les autres restent sur un schéma fortement centralisé où la puissance publique, l'imperium, demeure par nature très différente dans sa morale et dans ses moyens, de la gestion privée.
Prenons le problème de la responsabilité managériale qui est au coeur du nouveau système. Dans l'entreprise, les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés à chacun, déterminent des primes plus ou moins importantes ou justifient le renvoie. Mais que faire devant des fonctionnaires protégés par un statut ? Les pays anglo-saxons ont pu sans problème développer la contractualisation, voire supprimer le statut de la fonction publique. La France tente de développer une rémunération au mérite qui n'ira pas très loin et donne au mot responsabilité, ce qui n'est pas si mal, le sens d'obligation de rendre des comptes (accountability en Anglais).Quand cette obligation doit se faire devant le Parlement, et on y vient, on peut dire que la NGP renforce la démocratie.
Mais quid des pays émergents ? Car, non seulement ils sont centralisés à l'excès (« tout remonte ») mais leurs fonctionnaires sont médiocrement payés et sujets aux tentations. La transparence démocratique y est rare et l'arbitraire fréquent. Dans ces conditions, la nouvelle gestion publique peut-elle y être autre chose qu'un discours des gouvernants, sans réelle portée pratique ?
Sans méconnaître l'ampleur des phénomènes de corruption et d'arbitraire, nous ne sommes pas de cet avis. La NGP ouvre au contraire pour ces pays une voie réaliste d'amélioration. En luttant contre les gaspillages, les investissements inutiles voire inexistants (les « éléphants blancs »), en s'attachant à l'audit des résultats, ce qu'ils sont parfaitement capables de faire, on dévie l'impossible combat contre la corruption et l'arbitraire vers un contrôle de l'efficience et vers l'évaluation de la plus ou moindre grande pertinence des dépenses par rapport aux priorités et aux besoins. La plupart des régimes, dans leur intérêt bien compris, peuvent accepter cela. Les progrès que nous avons par exemple constaté en Afrique et au Maghreb sont indéniables.
Gérer l'Etat au plus près d'une entreprise, n'est ni une prise de position idéologique, ni un voeu pieux. C'est avant tout une question de bon sens, qu'aucun régime politique ne peut vraiment refuser. Qui peut sérieusement contester, surtout dans les temps difficiles qui sont les nôtres, qu'il n'est pas possible de faire n'importe quoi avec l'argent des contribuables ou celui des donneurs et qu'un minimum de règles qui inspirent la gestion privée doit s'imposer à l'Etat.
Que ces règles demandent à être adaptées plutôt qu'adoptées, est certain car tous les pays ne présentent pas la même structure administrative, le même stade de développement et le même environnement culturel.
Mais l'effort doctrinal que nous avons brièvement présenté (contrôle interne, audit interne, audit externe, exercés selon des normes internationalement reconnues), montre la force d'un courant de modernisation de l'Administration, auquel aucun pays ne peut désormais se soustraire.