Ce débat, soulevé il y a près de deux ans par d’éminents juristes avait été vite étouffé par le camp présidentiel qui le jugeait infondé et prématuré.
Actuellement, le même scénario semble se répéter, car après les inquiétudes nourries par certains membres de l’opposition sur un probable projet de troisième candidature du Président fraîchement réélu, des voix se sont encore élevées dans l’exécutif pour tenter de rejeter cette hypothèse. La présente contribution a pour objet de démontrer que la révision constitutionnelle de 2016 en ouvert une brèche permettant une troisième candidature de l’actuel président en 2024. Cette hypothèse que le pouvoir feint de rejeter pour le moment est, en réalité, juridiquement défendable.
Mais, auparavant, il serait intéressant de revenir sur les arguments avancés par la partie présidentielle pour écarter la thèse d’une troisième candidature.
« Il faut s’en référer à la Constitution, vous vous rendrez compte que les marges de manœuvre pour interpréter sont très minces, pratiquement inexistantes. » déclarait M. Seydou GUEYE, porte-parole du gouvernement et du parti présidentiel dans un entretien avec APANEWS le 12 mars 2019 avant d’ajouter : « Le problème qu’on avait connu par le passé, le président Macky Sall y a apporté une réponse en limitant le nombre de mandats, en fixant la durée du mandat du président de la République et en verrouillant un peu la Constitution pour que ces dispositions relatives à l’élection du président de la République soient pratiquement intangibles ».
Son collègue Ismaila Madior FALL, ministre de la justice affirmait le 12 octobre 2017 «La Constitution du Sénégal est très claire sur la question du mandat du président de la République et ne laisse place à aucune interprétation sur la possibilité d’un troisième mandat.
L’article 27 de la Constitution dispose: ‘’Le chef de l’État est élu pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs». Après l’élection du 24 février, il est devenu plus nuancé dans un entretien avec le journal l’Enquête du 11 mars 2019: « moi je pense que la Constitution est claire.
C’est d’abord la Constitution qui a été piégée car le prétendu projet de diminution de la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans, a subrepticement ouvert une brèche qui peut permettre à l’actuel président de briguer un troisième mandat. Il faut rappeler que la clause limitative du nombre de mandats à deux, a été pour la première fois instituée en 1970, avant d’être remise en cause plusieurs fois.
Cet article régit donc, dans son premier alinéa la fixation de la durée du mandat à 5 ans et dans son deuxième alinéa, la limitation des mandats à deux.
Toutefois, il importe de préciser que pour une bonne interprétation de l’alinéa 2 qui prévoit le nombre de mandats, il est indispensable de le relier à l’alinéa 1 qui prévoit la durée du mandat présidentiel, car l’article 27 doit être compris dans son ensemble, dans son indivisibilité.
En effet, au sens de cet article, le quinquennat allant de pair avec la limitation des mandats, l’exigence de limiter la durée du mandat à 5 ans doit coïncider avec la nécessité de ne pas pouvoir l’exercer plus de deux fois consécutives.
Or, il est incontestable que la durée du mandat que le président Macky SALL est sur le point de terminer, est de 7 ans. N’ayant donc pas encore exercé un mandat de 5 ans prévu à l’alinéa 1, son septennat sera hors du champ d’application de l’alinéa 2 de l’article 27 précisant que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »
Ainsi que l’a soutenu le Professeur J.M. NZOUANKEU dans sa contribution du 12 octobre 2017, « l’élection de 2019 n’est pas le renouvellement de celle de 2012. C’est une élection nouvelle. C’est la première élection d’un nouveau cycle institué par l’article 27 de la Constitution. Si le mandat exercé de 2012 à 2019 était considéré comme le premier mandat au sens de l’article 27, une élection du Président de la République devait être organisée en 2017 au cinquième anniversaire de la date de l’élection du Président Macky SALL. S’il n’y a pas eu d’élection en 2017, c’est parce que le mandat en cours n’était pas compris dans le décompte de l’article 27 de la Constitution. »
« la disposition transitoire prévue à l’article 27 dans la rédaction que lui donne l’article 6 du projet et aux termes de laquelle, « Cette disposition s’applique au mandat en cours » doit être suppriméeEn effet, dans son avis consultatif du 12 février 2016, le Conseil Constitutionnel a retenu que « le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle ». Il a, par ailleurs, précisé dans le dispositif que « la disposition transitoire prévue à l’article 27 dans la rédaction que lui donne l’article 6 du projet et aux termes de laquelle, « Cette disposition s’applique au mandat en cours » doit être supprimée ; elle n’est conforme ni à l’esprit de la Constitution, ni à la pratique constitutionnelle, la loi nouvelle sur la durée du mandat du Président de la République ne pouvant s’appliquer au mandat en cours ».
Par conséquent, les sept sages, saisis d’une demande consultative ou d’un contentieux lié à une troisième candidature du président SALL, ne pourront en toute logique, que confirmer leur jurisprudence. Il ne fait donc l’ombre d’aucun doute que les dispositions de l’article 27 de la Constitution combinées à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel ouvrent un grand boulevard pour la recevabilité d’une candidature du président Macky SALL en 2024. Tout le monde doit en être conscient dès à présent.
Si telle était l’intention présidentielle, plusieurs questions ne resteraient pas jusqu’à présent sans réponses :
1. Pourquoi, contrairement à la promesse faite lors du référendum de 2016, le président Macky SALL n’a pas tiré les leçons de la douloureuse et dramatique période préélectorale de 2011 à 2012, en évitant toute controverse constitutionnelle liée à une éventuelle troisième candidature ?
2. Pourquoi, lorsque le débat sur la possibilité d’une troisième candidature a été soulevé par d’éminents juristes comme les Professeurs Babacar Guéye et Jacques Mariel Nzouankeu, le Président de la République et ses partisans, bien que conscients des failles contenues dans l’article 27 de la Constitution, n’ont pas définitivement mis fin à la polémique en faisant adopter par l’Assemblée Nationale, des dispositions transitoires précisant que le mandat en cours fait partie du décompte des deux mandats prévus par l’article 27 ?
3. Pourquoi enfin, dans leurs interventions sur cette question, les responsables et les autres juristes de la mouvance présidentielle, se bornent à donner leur interprétation de la Constitution au lieu d’affirmer clairement la volonté du chef de l’Etat de ne plus briguer un autre mandat.
En définitive, si nous avons décidé d’intervenir dans ce débat, ce n’est pas pour participer dans une querelle juridique. Mais, c’est surtout pour donner un signal d’alarme et prévenir la résurgence des dangers vécus en 2011 et en 2012 et qui peuvent encore porter atteinte à la paix sociale et mettre en péril la démocratie et la République.
En effet, la stratégie perverse déroulée depuis des années et qui a abouti récemment à une large victoire électorale peut évidemment renforcer les velléités de se maintenir au pouvoir surtout que les sénégalais ont semblé banaliser depuis 2000, les multiples abjurations «wakh wakhet » de nos dirigeants.
Pourquoi agiter maintenant la question d’une troisième candidature alors que l’actuel président n’a même pas encore débuté son deuxième mandat ?
En notre sens, le débat est loin d’être prématuré, au contraire ! En effet, la question n’est pas de savoir si les sénégalais accepteront ou non le moment venu une troisième candidature; mais c’est surtout de sortir pour une fois de l’impasse de la politique politicienne avec un président qui ne pensera plus dès le début de son mandat, à vaincre ses adversaires et remporter la prochaine élection.
Car il reste évident que si l’éventualité d’une troisième candidature n’est pas définitivement écartée, le prochain quinquennat sera encore miné par la mal gouvernance, l’instrumentalisation de la justice, le clientélisme, l’accaparement des médias de service public, la gabegie etc.
Comment alors mettre fin aux incertitudes ?
Pour mettre définitivement un terme au débat, le Président de la République à qui appartient seul cette prérogative, doit dès à présent, saisir le Conseil Constitutionnel pour avis sur cette question.
-Si le Conseil Constitutionnel est d’avis que l’actuel président ne peut pas se représenter pour un troisième mandat, le débat sera définitivement clos.
-Si en revanche, il est d’avis contraire, il faudra trouver au plus vite, une solution politique pour que tout le monde soit convaincu que les manœuvres politiciennes ne pourront pas remettre en cause la sacralité conférée par les Sénégalais à la clause limitative des mandats à deux.
Ibrahima Hamidou DEME,
Président du Mouvement « Ensemble ».