Vive la démocratie!

Rédigé par Dakarposte le Lundi 28 Novembre 2016 à 09:19 modifié le Lundi 28 Novembre 2016 09:21

On connaît désormais le candidat de la Droite et du Centre à la présidentielle de mai prochain en France. Surprenant vainqueur du 1er tour, le 20 novembre dernier, François Fillon, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a remis ça face à son grand rival et maire de Bordeaux, Alain Juppé, ce 27 novembre.

Ces primaires ont peut-être révélé le nom du prochain Président de la France, vu les difficultés de la Gauche, le faible taux d’opinions favorables à Hollande et la peur que suscite l’extrême droite. Aussi, le résultat est-il important. Mais la façon dont elles se sont déroulées ne l’est pas moins.

Ouvertes, transparentes et régulières, elles me confortent personnellement dans l’idée que la célèbre formule de Churchill est à prendre avec des pincettes. Non ! La démocratie n’est pas « le meilleur des systèmes à l’exception de tous les autres ». Elle est tout simplement le meilleur des systèmes, à condition qu’elle fonctionne correctement. Et c’est manifestement le cas avec ces primaires inédites de la Droite et du Centre.

Ils étaient sept au départ à briguer les suffrages des militants-électeurs. En l’occurrence, Alain Juppé, François Fillon, Nicolas Sarkozy, Bruno Le Maire, Nathalie Kosciusko-Morizet, Jean-Frédéric Poisson et Jean-François Copé. Chacun d’eux a joué sa carte à fond, exposant et défendant sa vision de la France pour rallier le maximum de suffrages à son nom. Aprement disputé, le 1er tour verra Fillon pointer en tête avec 44,1 % des voix, reléguant le favori des sondages Alain Juppé à 16 points (28,6 %) et éliminant surtout Nicolas Sarkozy avec à peine 20,7 % des voix. Qui l’eut cru ?

On a donc eu droit à une de ces surprises dont la démocratie a le secret. Et ce fut aussi le cas récemment aux Etats-Unis avec l’élection inattendue de Donald Trump. Toutefois, de tels dénouements ne semblent possibles qu’en Occident où la démocratie fonctionne à plein régime. Ils sont, en revanche, inimaginables sous nos tropiques où règne la « démocrature ». Entendez une démocratie en version tropicale, plus formelle que réelle et souvent entachée par la propension à la dictature. Bref, une démocratie en trompe-l’œil qui convient hélas aussi bien au camp du pouvoir qu’à l’opposition qui fustige certes son attitude, mais ne fait rien en revanche pour promouvoir la démocratie en son sein.

La grosse désillusion qu’ont connue tour à tour Hillary Clinton et Alain Juppé, après avoir été les favoris des sondages, est donc inimaginable sous nos cieux. Tout comme la mésaventure de Sarkozy qui, en dépit de son statut d’ancien Président, a essuyé un sévère camouflet. Or, peut-on imaginer Abdou Diouf ou Abdoulaye Wade, deux de nos anciens chefs d’Etat encore en vie, se faire battre à plate couture à des primaires organisées par leurs familles politiques respectives.  Bien sûr que non.

« Notre victoire découle de cette vague qui a brisé tous les scénario écrits d’avance », s’est même exclamé hier soir François Fillon dès les premiers résultats qui l’ont donné vainqueur de ces primaires avec plus de 66% des suffrages. Que c’est beau de voir la démocratie s’exercer pleinement et déjouer ainsi tous les pronostics !

Dommage qu’on en soit pas encore là malgré toute la rhétorique qu’on nous sert sur notre prétendue démocratie. Le principe même de la tenue de primaires pour désigner un candidat à une élection présidentielle n’est pas dans nos habitudes. Le Parti socialiste s’y est essayé en 2006, mais sans succès.

A l’époque, trois candidats avaient souhaité conduire les troupes socialistes à la présidentielle du 25 février 2007, en l’occurrence Ousmane Tanor Dieng, Mamadou Diop et Robert Sagna. Mais, après avoir reçu les dossiers de candidature, le Conseil d’orientation avait privilégié la recherche du consensus plutôt que le vote. C’est ainsi que l’ancien Maire de Dakar Mamadou Diop avait fini par lâcher du lest alors que son collègue de Ziguinchor, Robert Sagna, préférait bouder. Ils avaient donc fini par laisser la voie libre à Ousmane Tanor Dieng, alors Premier Secrétaire, comme le voulaient le Conseil d’orientation et les sages du parti. Et l’expérience tourna court.

Bis repetita à l’occasion de l’élection du Secrétaire général du Parti socialiste en mai 2014. Voulant en découdre à la régulière avec Ousmane Tanor Dieng, Aïssata Tall Sall verra le Secrétaire à la vie politique, Khalifa Sall, mettre un coup d’arrêt à la compétition au nom, disait-il, de « l’intérêt supérieur du parti ».

Toutefois, le Parti socialiste n’est pas la seule formation politique du pays à se montrer allergique à la compétition interne. Pour preuve, cet ersatz d’élection primaire ayant conduit au choix de Karim Wade comme candidat du Pds à la prochaine présidentielle. On a eu droit à un vrai cinéma, un scénario écrit d’avance sous la dictée du Secrétaire général national, Me Abdoulaye Wade. Le Bureau politique du 21 mars 2015 s’était ainsi transformé, à sa demande, en congrès extraordinaire et 257 délégués sur 268 avaient porté leur choix sur Wade fils. Mais pour sauver les apparences, 8 candidats s’étaient déclarés dont Serigne Mbacké Ndiaye, Aïda Ndiongue et Habib Sy qui se retireront tous les trois au profit de Karim Wade. 
Quant aux autres candidats (Amadou Kane Diallo, Mountaga Guéye, et Ahmadou Seydi), ils ne faisaient franchement pas le poids. En somme, il s’est agi de prétendues « primaires » orchestrées par le Pape du Sopi qui espérait ainsi tirer d’affaire son fils à la veille de son verdict devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei).

Ces primaires-là qui ont eu lieu chez nous n’ont donc rien à voir avec les celles qui viennent d’être bouclées en France et dont l’exemplarité appelle au moins quatre autres observations.

Primo : le choix du candidat de la Droite a donné lieu à plusieurs débats télévisés dont trois entre les sept candidats du 1er tour et un dernier entre les deux qualifiés du second tour. Lequel débat a d’ailleurs battu tous les records d’audience avec rien moins que 8,4 millions de téléspectateurs. C’est donc en connaissance de cause que les électeurs ont choisi leur candidat préféré. Contrairement à ce qui se passe ici où, faute de débat, on se livre à des attaques personnelles plutôt qu’à la confrontation des idées et des programmes.

Deuxio : ces primaires ont été si transparentes que les perdants ont non seulement vite reconnu leur défaite, mais ont aussitôt exprimé leur soutien à l’un des qualifiés du second tour sans aucun marchandage contrairement à ce qu’on voit sous nos tropiques. Tertio : après que la Droite et le Centre ont placé la barre très haut,  la Gauche se fait un point d’honneur de ne pas faire moins.  "Cet exercice nous oblige, à gauche, à réussir notre primaire", dixit Manuel Valls qui n’exclut pas de se présenter face à François Hollande dont il est le chef du Gouvernement. Lequel Hollande, bien qu’étant le chef de l’Etat sortant, pourrait d’ailleurs passer par ces primaires pour briguer l’investiture du Parti socialiste. Alors qu’il faut être vraiment fou pour imaginer un seul instant Macky Sall passer par des primaires pour valider sa candidature à sa propre succession.

Quatro : quelle belle image pour boucler ces primaires que cette poignée de main symbolique entre Fillon et Juppé au siège de la Haute Autorité !

Il faut donc se rendre à l’évidence : comparée à ce qu’on a vu de ces primaires de la Droite et du Centre en France, notre démocratie est juste formelle et a encore un long chemin devant elle.  
Cheikh Amidou Kane
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