Trop long, trop cher, trop restrictif, souvent incompréhensible… En Afrique, obtenir un visa pour la France relève encore trop souvent du parcours du combattant. Deux députés de la majorité se sont emparés du sujet et présentent aujourd’hui un rapport visant à faciliter le processus.
« Cette mission est née d’un sentiment de décalage entre l’ambition affichée par l’exécutif et la réalité sur le terrain. » C’est ainsi que débute le rapport d’information présenté ce 12 janvier devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française par deux députés issus des rangs de la majorité : Sira Sylla, élue de Seine-Maritime et spécialiste des sujets touchant les diasporas africaines, et M’jid El Guerrab, député des Français de l’étranger dont la circonscription couvre l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest.
Dans le cadre de leurs fonctions, tous deux affirment être « très souvent » sollicités par des électeurs rencontrant des problèmes de visa : étudiants, Français en couple avec un étranger, entreprises souhaitant faire venir des salariés pour une mission ponctuelle… Des requêtes si nombreuses qu’elles les ont incités à se pencher sur le processus de délivrance des visas, en particulier en Afrique.
" 45 % des demandes de visas formulées par des Algériens sont refusées"
Un problème humain et politique
Le problème est à la fois individuel, humain – familles séparées, étudiants empêchés de fréquenter les universités françaises, opportunités professionnelles gâchées… – et politique, souligne Sira Sylla : « Je travaille tout particulièrement sur le continent et sur la concrétisation des propos tenus par le président de la République lors de son discours de Ouagadougou, lorsqu’il a dit que l’Afrique était une priorité, qu’il fallait parler de mobilité circulaire, d’un partenariat reconstruit… »
La difficulté rencontrée pour obtenir un visa, y compris dans le cadre de dispositifs censés faciliter la circulation comme Campus France ou le système « passeport talent », va clairement à l’encontre des propositions d’Emmanuel Macron, et les deux députés veulent y remédier.
« Ce qui ressort de mes échanges avec les gens de la diaspora, mais aussi avec les habitants du continent, comme ceux de Djibouti, où j’étais hier, c’est une attitude pragmatique. Beaucoup ont le sentiment que la France les a oubliés. Qu’elle vit sur une rente de situation, notamment avec les pays francophones. Alors ils s’en détournent. À Djibouti, les gens m’ont dit clairement : aujourd’hui, notre partenaire, c’est la Chine. »
Durant plusieurs mois, les deux députés ont donc rencontré de nombreux acteurs intervenant dans la délivrance de visas à destination des ressortissants du continent. Ils tirent plusieurs constats de leur enquête.
D’abord, ils observent un réel problème d’équilibrage dans la gestion gouvernementale du système. Aujourd’hui, en France, la politique d’attribution des visas est copilotée par les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur. Or « depuis le mandat de Nicolas Sarkozy », de 2007 à 2012, c’est ce dernier ministère qui a pris l’ascendant, faisant passer les questions de sécurité et de lutte contre l’immigration irrégulière avant toute autre considération. « La sécurité c’est important, admet Sira Sylla, mais il ne faut pas non plus négliger l’attractivité de la France. »
"On ne voit plus, comme avant, ces longues files d’attente devant les consulats"
Deuxième observation : la délégation d’une partie du processus de délivrance à des prestataires privés (qui assurent notamment la collecte des pièces justificatives et la prise de rendez-vous) semble avoir eu un impact positif. « Sans ces prestataires, on n’aurait tout simplement pas pu répondre à la demande dans certains pays. Ils ont fluidifié le processus », assure M’jid El Guerrab.
Rendre le processus plus juste et plus efficace
Le processus d’obtention d’un visa reste toutefois compliqué dans bien des cas, et demeure souvent trop long. Les députés proposent d’ailleurs de généraliser le dispositif de délivrance des visas en quarante-huit heures. « Cela fonctionne en Asie, souligne M’jid El Guerrab. Pourquoi pas en Afrique ? »
Abordant les sujets un par un, ils ont rédigé une liste de treize propositions afin de rendre le processus plus juste et plus efficace. Certaines portent sur l’accompagnement des étudiants étrangers ou sur le système de garant des demandeurs, d’autres sur la création de visas de circulation évitant la répétition des demandes, sur la simplification des paiements, ou proposant un dialogue avec les pays d’origine afin de réfléchir à la « réadmission » sur leur sol. Ils suggèrent aussi une meilleure communication entre les consulats ou un poids moins écrasant des services du ministère de l’Intérieur.
Des décrets et pas des lois
Mais il ne s’agit que de propositions. Quel avenir peut-on leur prédire ? M’jid El Guerrab détaille le processus : « Nous présentons aujourd’hui le rapport à la commission des Affaires étrangères. S’il est accepté, il deviendra un rapport de la commission et sera publié et diffusé. Parallèlement, nous avons rendez-vous au Quai d’Orsay, où nous allons parler de l’attractivité de la France. Nous espérons que certaines propositions se traduiront pas des décrets. »
Des décrets et pas des lois ? « Ce n’est pas le plus important, note Sira Sylla. Certaines mesures peuvent se régler simplement en modifiant les consignes données aux fonctionnaires et ne nécessitent pas de modification normative. D’autres relèvent du décret et s’il faut aller jusqu’à un texte de loi sur certains points, nous serons bien sûr très heureux de le défendre. »
Le chemin à parcourir reste long, mais il commence aujourd’hui avec la présentation d’un rapport qui aura au moins le mérite de poser la question : est-il normal et acceptable qu’il soit plus difficile d’obtenir un visa français pour les Africains que pour n’importe qui d’autre ?
« Cette mission est née d’un sentiment de décalage entre l’ambition affichée par l’exécutif et la réalité sur le terrain. » C’est ainsi que débute le rapport d’information présenté ce 12 janvier devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française par deux députés issus des rangs de la majorité : Sira Sylla, élue de Seine-Maritime et spécialiste des sujets touchant les diasporas africaines, et M’jid El Guerrab, député des Français de l’étranger dont la circonscription couvre l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest.
Dans le cadre de leurs fonctions, tous deux affirment être « très souvent » sollicités par des électeurs rencontrant des problèmes de visa : étudiants, Français en couple avec un étranger, entreprises souhaitant faire venir des salariés pour une mission ponctuelle… Des requêtes si nombreuses qu’elles les ont incités à se pencher sur le processus de délivrance des visas, en particulier en Afrique.
" 45 % des demandes de visas formulées par des Algériens sont refusées"
Partout, on évoque des délais trop longs, des tarifs élevés et surtout un taux de refus exceptionnellement haut. « L’Afrique subsaharienne représente 15 % de la population mondiale mais seulement 10 % des visas délivrés par la France », notent les deux rapporteurs, qui soulignent que certains pays sont particulièrement mal traités. Ainsi, si le taux moyen de refus de visas est de 16,3 % au niveau mondial, il atteint 45 % pour les demandeurs algériens.
Le problème est à la fois individuel, humain – familles séparées, étudiants empêchés de fréquenter les universités françaises, opportunités professionnelles gâchées… – et politique, souligne Sira Sylla : « Je travaille tout particulièrement sur le continent et sur la concrétisation des propos tenus par le président de la République lors de son discours de Ouagadougou, lorsqu’il a dit que l’Afrique était une priorité, qu’il fallait parler de mobilité circulaire, d’un partenariat reconstruit… »
La difficulté rencontrée pour obtenir un visa, y compris dans le cadre de dispositifs censés faciliter la circulation comme Campus France ou le système « passeport talent », va clairement à l’encontre des propositions d’Emmanuel Macron, et les deux députés veulent y remédier.
« Ce qui ressort de mes échanges avec les gens de la diaspora, mais aussi avec les habitants du continent, comme ceux de Djibouti, où j’étais hier, c’est une attitude pragmatique. Beaucoup ont le sentiment que la France les a oubliés. Qu’elle vit sur une rente de situation, notamment avec les pays francophones. Alors ils s’en détournent. À Djibouti, les gens m’ont dit clairement : aujourd’hui, notre partenaire, c’est la Chine. »
Durant plusieurs mois, les deux députés ont donc rencontré de nombreux acteurs intervenant dans la délivrance de visas à destination des ressortissants du continent. Ils tirent plusieurs constats de leur enquête.
D’abord, ils observent un réel problème d’équilibrage dans la gestion gouvernementale du système. Aujourd’hui, en France, la politique d’attribution des visas est copilotée par les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur. Or « depuis le mandat de Nicolas Sarkozy », de 2007 à 2012, c’est ce dernier ministère qui a pris l’ascendant, faisant passer les questions de sécurité et de lutte contre l’immigration irrégulière avant toute autre considération. « La sécurité c’est important, admet Sira Sylla, mais il ne faut pas non plus négliger l’attractivité de la France. »
"On ne voit plus, comme avant, ces longues files d’attente devant les consulats"
Deuxième observation : la délégation d’une partie du processus de délivrance à des prestataires privés (qui assurent notamment la collecte des pièces justificatives et la prise de rendez-vous) semble avoir eu un impact positif. « Sans ces prestataires, on n’aurait tout simplement pas pu répondre à la demande dans certains pays. Ils ont fluidifié le processus », assure M’jid El Guerrab.
« J’étais sceptique au départ, rebondit Sira Sylla. Confier une mission qui relève du régalien à des acteurs privés, cela me posait problème. Mais j’ai été agréablement surprise. On ne voit plus, comme avant, ces longues files d’attente devant les consulats, les gens sont mieux accueillis, mieux respectés. »
Le processus d’obtention d’un visa reste toutefois compliqué dans bien des cas, et demeure souvent trop long. Les députés proposent d’ailleurs de généraliser le dispositif de délivrance des visas en quarante-huit heures. « Cela fonctionne en Asie, souligne M’jid El Guerrab. Pourquoi pas en Afrique ? »
Abordant les sujets un par un, ils ont rédigé une liste de treize propositions afin de rendre le processus plus juste et plus efficace. Certaines portent sur l’accompagnement des étudiants étrangers ou sur le système de garant des demandeurs, d’autres sur la création de visas de circulation évitant la répétition des demandes, sur la simplification des paiements, ou proposant un dialogue avec les pays d’origine afin de réfléchir à la « réadmission » sur leur sol. Ils suggèrent aussi une meilleure communication entre les consulats ou un poids moins écrasant des services du ministère de l’Intérieur.
La proposition la plus urgente est placée en tête de liste : faire bénéficier les familles momentanément séparées par la pandémie de Covid d’une dérogation leur permettant de se retrouver.
Mais il ne s’agit que de propositions. Quel avenir peut-on leur prédire ? M’jid El Guerrab détaille le processus : « Nous présentons aujourd’hui le rapport à la commission des Affaires étrangères. S’il est accepté, il deviendra un rapport de la commission et sera publié et diffusé. Parallèlement, nous avons rendez-vous au Quai d’Orsay, où nous allons parler de l’attractivité de la France. Nous espérons que certaines propositions se traduiront pas des décrets. »
Des décrets et pas des lois ? « Ce n’est pas le plus important, note Sira Sylla. Certaines mesures peuvent se régler simplement en modifiant les consignes données aux fonctionnaires et ne nécessitent pas de modification normative. D’autres relèvent du décret et s’il faut aller jusqu’à un texte de loi sur certains points, nous serons bien sûr très heureux de le défendre. »
Le chemin à parcourir reste long, mais il commence aujourd’hui avec la présentation d’un rapport qui aura au moins le mérite de poser la question : est-il normal et acceptable qu’il soit plus difficile d’obtenir un visa français pour les Africains que pour n’importe qui d’autre ?