USA : émergence d’une nouvelle génération de radicaux noirs

Rédigé par Dakarposte le Dimanche 3 Mai 2015 à 16:37 modifié le Dimanche 3 Mai 2015 16:39

Les meurtres quasi journaliers de jeunes femmes et hommes noirs aux États-Unis, par la police — crise à laquelle les manifestations de groupes comme Black Lives Matter et la rhétorique vide des élites politiques noires n’ont rien changé — ont donné naissance à un nouveau jeune militant noir.

Ce militant, émergeant des rues ensanglantées de villes comme Ferguson, dans le Missouri, comprend que le monstre n’est pas simplement le suprématisme blanc, la pauvreté chronique et les multiples formes du racisme, mais l’énergie destructrice du capitalisme corporatiste. Ce militant a abandonné la politique électorale, les tribunaux et les réformes législatives, il abhorre la presse corporatiste et rejette les leaders noirs établis comme Barack Obama, Jesse Jackson, Al Sharpton et Michael Eric Dyson. Ce militant est persuadé qu’il n’y a que dans les rues et dans les actes de désobéissance civile que le changement est possible. Étant donné le refus de l’État corporatiste de s’attaquer aux souffrances croissantes des pauvres et de la classe des travailleurs, la répression étatique draconienne et l’usage systématique de la violence d’État létale contre les gens de couleur sans défense, je pense que le nouveau radical noir a raison. L’été s’annonce long, chaud et violent.

Les centaines de millions de jeunes démunis du monde entier — aux États-Unis ce groupe est dominé par les couches populaires noire et marron — sont issus du surplus de main-d’œuvre créé par notre système de néo-féodalisme corporatiste. Ces jeunes hommes et femmes ont été rejetés et sont la proie d’un système législatif qui criminalise la pauvreté. Aux États-Unis, ils constituent la majeure partie des 2,3 millions d’êtres humains enfermés dans des cellules de prison. Le mécontent à Ferguson, à Athènes, au Caire, à Madrid et à Ayotzinapa est un seul mécontent. Et la révolte émergente, bien qu’elle se pare de couleurs différentes, parle plusieurs langues et possède plusieurs systèmes de croyances, est unie contre un ennemi commun. Des liens de solidarité et de conscience unissent rapidement les damnés de la terre contre nos maîtres corporatistes.

Le pouvoir corporatiste, qui comprend ce qui arrive, a mis en place des systèmes de contrôle sophistiqués incluant une police militarisée, des campagnes de propagande élaborées visant à nous effrayer et donc à nous rendre passifs, une surveillance totale de chaque citoyen et un système de tribunaux ayant privé les pauvres et tous les dissidents de protection légale. Les masses doivent être maintenues en servitude. Mais les masses, particulièrement les jeunes, comprennent le jeu. Il y a un mot qui désigne ce qui est en train d’émerger des bas-fonds — révolution. Et elle ne viendra jamais assez tôt.

La direction globale de cette révolte n’est pas issue des institutions de privilège, ni des universités élitistes ou d’ambitieux et narcissiques jeunes hommes et jeunes femmes cherchent à faire partie des 1% qui nous dirigent, mais des misérables colonies internes qui hébergent les pauvres et généralement les gens de couleur. Le prochain grand révolutionnaire aux États-Unis ne ressemblera pas à Thomas Jefferson. Il ou elle ressemblera probablement plus à Lupe Fiasco.

T-Dubb-O est un artiste hip-hop de St. Louis. Il est l’un des fondateurs de « Hands Up United », aux côtés de Tef Poe, Tory Russell, Tara Thompson et Rika Tyler. L’organisation a été formée à la suite du meurtre de Michael Brown à Ferguson. Elle a mis en place des alliances étroites avec d’autres organisations radicales au Brésil et ailleurs en Amérique du Sud, en Europe et en Palestine.

 « Je pense honnêtement que ça va être pire que l’an dernier, cet été », m’a dit T-Dubb-O lorsque je l’ai rencontré lui et Tyler à l’université de Princeton, où ils s’étaient rendus pour discuter avec les étudiants. « Les gens sont devenus plus radicaux », explique-t-il. « Ils ont pris conscience du pouvoir qu’ils détiennent. Ils ne craignent plus la police ni l’État. Mais d’un autre côté on a une police et une force militaire qui s’entraînent depuis un an à gérer ce type de circonstances. Donc je pense honnêtement que cet été va être pire. Encore plus de violence de la part de la police, sauf que cette fois-ci en face il n’y aura pas un groupe de gens qui restera assis et qui laissera les choses se passer — il y aura des gens qui vont réellement riposter au lieu de rester de simples paisibles manifestants. Actuellement tout le monde est sur les nerfs. Vous voyez, c’est la même situation qu’avant Mike Brown. Les gens n’ont pas de travail, la criminalité partout, la drogue partout, et la police prédatrice. Ce sont les mêmes circonstances, y a pas photo. »

« Dans ma ville, chaque jour, la police arrête quelqu’un, harcèle quelqu’un, l’extorque », explique-t-il. « Car c’est ça en réalité — de l’extorsion légale. Quand un gouvernement obtient 30 à 40 % de son budget annuel grâce aux contraventions, aux amendes, à l’emprisonnement, c’est de l’extorsion. C’est la même chose que ce que la mafia faisait dans les années 20. Donc on ne se laisse pas faire, on riposte. On ne peut retourner à nos vies normales. Nous sommes suivis, harcelés, nous recevons des menaces de mort, nos téléphones sont sur écoute, nous sommes surveillés sur les médias sociaux, ils piratent nos boites mails, nos comptes sur les médias sociaux, nous sommes tous fichés au FBI. Ils savent qui nous sommes actuellement. Donc vous voyez ça n’est pas un jeu, donc soit on continue à faire avec l’impossibilité de vivre comme une personne normale, à rêver, et attendre une opportunité, soit on se lève et on fait quelque chose. Et on a décidé de faire quelque chose. »

Tyler explique qu’elle a été propulsée dans ce mouvement à la vue du corps de Michael Brown, que la police de Ferguson avait laissé gire dans la rue pendant plus de quatre heures.

« Je suis allé à Canfield [la rue où Brown a été tué] », m’a-t-elle dit quand nous avons discuté. « J’ai vu le corps. J’ai vu le sang. Je me suis effondrée. Et depuis lors je suis tous les jours sur le terrain [en tant qu’activiste]. »

« Ils ont laissé [Brown] dans la rue pendant 4h30 au soleil sur le béton, juste pour l’exhiber », explique-t-elle. « Ça m’a fait penser à un lynchage des temps modernes. Parce que, vous savez, ils lynchaient les esclaves et puis les exhibaient. Et grosso modo ça sert à nous démontrer que ce système n’est pas construit pour nous. Ça m’a fait me réveiller encore un peu plus. »

Les forces de l’ordre lors des émeutes à Ferguson
Les forces de l’ordre lors des émeutes à Ferguson
« Imaginez juste une prison de débiteurs gérés par une collusion des autorités municipales, de la police, et des juges de tribunaux, qui traiteraient notre communauté comme un distributeur de monnaie », explique Tyler. « Parce que c’est exactement ce qu’ils ont fait. Ferguson est dans le comté de St. Louis. C’est 21 000 personnes vivant dans 8100 foyers. Donc c’est une petite ville. 67 % des résidents sont afro-américains. 22 % vivent sous le seuil de pauvreté. Un total de 2,6 millions de dollars [ont été payés en amendes aux autorités municipales, aux tribunaux et à la police] en 2013. La cour municipale de Ferguson a géré 24 532 mandats et 12 018 affaires. C’est à peu près trois mandats par foyer. Une affaire et demie pour chaque foyer. Vous n’arrivez pas à 321 $ d’amendes et de frais et à trois mandats par foyer avec un taux de crime moyen. Vous arrivez à des nombres comme ça avec des conneries racistes, avec des arrestations pour n’importe quoi, et avec un harcèlement constant sous-jacent impliquant arrestations au volant, convocations à la cour, d’importantes amendes et la menace de prison pour défaut de paiement. »

“Par exemple”, continue-t-elle, « j’ai été arrêtée. J’avais tourné à gauche [illégalement], et ma voiture a été fouillée. J’ai rencontré trois officiers différents, deux détectives. J’ai reçu une amende. J’ai reçu une amende parce que je n’avais pas mon permis sur moi. Donc j’ai eu une contravention pour ne pas avoir eu mon permis sur moi, et une autre pour avoir tourné dans le mauvais sens. Je ne me suis pas rendue au tribunal car j’étais hors de la ville à ce moment-là. Cependant, je les avais appelés et leur avais dit que je ne viendrai pas  et que mon avocat s’occuperait de l’affaire. J’ai reçu un courrier qui m’expliquait que je n’étais pas venue au tribunal, et qu’ils avaient un mandat d’arrêt contre moi. Ils menaçaient de me retirer mon permis et de le suspendre parce que je ne m’étais pas rendue au tribunal. Voilà le genre de choses qui se passent à St. Louis en ce moment. Vous pouvez avoir une contravention parce que vous traversez la rue, ou parce que vous n’avez pas tondu votre pelouse, et vous voilà prisonnier de ce système dans lequel ils vous enferment, dans lequel ils vous oppriment, et vous maintiennent opprimés. »

« J’ai été arrêtée quand j’étais enceinte, j’étais à 37 semaines et j’ai été arrêtée dans le comté de St. Charles par quatre officiers blancs », explique-t-elle. « Ils m’ont mise en garde à vue alors que j’avais ce ventre énorme. Et je leur disais que j’étais enceinte. J’ai eu une contravention pour m’être garée au mauvais endroit. Ils m’ont mis une contravention que je n’ai jamais payée alors ils m’ont arrêtée. Il y a eu ce mandat pour mon arrestation. J’étais en cellule, enceinte, j’ai accouché une semaine plus tôt parce que j’étais stressée et que je n’en pouvais plus d’être en cellule ».

« Personne ne devrait avoir à traverser ça », explique T-Dubb-O, « que ce soit aux États-Unis, en Palestine, au Mexique, au Brésil ou au Canada. Personne ne devrait avoir à subir cela. Vous voyez un groupe de jeunes [à Ferguson], ils ont entre 12 et 28 ou 29 ans, et se sont opposés à la plus importante puissance militaire de ce monde. C’est grosso modo ce qui s’est passé… ce n’est pas ce qui est expliqué, mais c’est ce que c’était. C’était des tanks à tous les coins de rue, nos téléphones sur écoute, ils nous suivaient. Tous les jours nous étions sur le terrain et nous pensions que nous allions mourir. Un moment ils ont dit qu’ils allaient nous tuer. « On ne tirera pas des balles en caoutchouc ce soir, on tirera à balles réelles ». C’est le genre de choses que vous ne voyez pas dans les infos. C’était juste parce que nous étions fatigués d’être traités comme des sous-humains. Juste pour l’opportunité de marcher dans les rues et de vivre et respirer et de faire ce que tous les autres font. C’est en gros ce pourquoi on se battait. Vous voyez, un tel niveau d’oppression, c’est dur à imaginer, et à croire que c’est réellement le cas aux États-Unis, particulièrement au milieu des États-Unis. Mais c’est la vérité, et vous avez des jeunes qui sont jugés sur le quartier dont ils viennent et sur la couleur de leur peau, et à qui on refuse certaines opportunités ».

« À St. Louis si vous avez été arrêté et si vous faites face à une inculpation pour méfait ou délit, on vous refuse les bourses Pell pour aller à l’université », explique-t-il. « Donc si vous ne pouvez pas vous payer l’université vous êtes coincé. Si vous êtes en probation et que vous essayez d’avoir un emploi, c’est un état le droit au travail, ils ont le droit de refuser de vous embaucher à cause de votre passé. Ils n’ont pas à vous donner l’opportunité de travailler. Et où vous rejettent-ils, dans le même système qui vous a mis dans la position où vous êtes, et où vous avez fait cette première erreur. Tout est configuré comme ça. »

Manifestants à Ferguson
Manifestants à Ferguson
“J’ai été attaqué au gaz lacrymogène six fois », explique Tyler. « On m’a fait sortir de la voiture, j’ai eu différents flingues pointés vers ma tête. On m’a tiré dessus avec des balles en caoutchouc, des balles réelles, des balles-bois, des projectiles en sachet, des canons assourdissants, et tout ce que vous pouvez imaginer. J’ai affronté la police militarisée, et ils utilisaient différentes choses comme la règle des cinq secondes, je me faisais arrêter si je restais immobile pendant plus de cinq secondes. Je me faisais arrêter si je ne marchais pas plus que cinq secondes. Différentes choses comme ça. Ils ne portent pas leur badge. Ils ne disent pas qui ils sont. Ils ne sont pas du tout transparents. Ils nous harcèlent. Des femmes ont été pieds et poings liés, battues. J’ai été arrêté juste parce que je me tenais sur le trottoir, et que je les enregistrais. »

Après le meurtre de Brown et les émeutes à Ferguson, T-Dubb-O a été invité avec d’autres leaders de communautés à rencontrer le président Barack Obama à la Maison-Blanche. Le président, explique-t-il, a parlé à l’aide de « clichés » à propos de crimes noir-contre-noir, de la nécessité de rester à l’école, de travailler dur et de l’importance de voter.

“Il m’a demandé si j’avais voté pour lui », m’a-t-il dit, « je lui ai répondu que non. Je n’avais pas voté pour lui aux deux occasions, parce que je ne voulais pas voter pour lui juste parce qu’il était noir. Je considérais que ç’aurait été très superficiel de ma part. Parce qu’il n’a jamais parlé honnêtement et dit qu’il allait faire quelque chose pour ma communauté par rapport aux problèmes auxquels nous faisons face quotidiennement, alors pourquoi aurais-je voté pour quelqu’un comme ça, qu’il soit blanc, noir, mâle, femelle, etc. ? »

En tant que président il est la preuve que le système fonctionne, c’est ce qu’a dit Obama à T-Dubb-O. L’artiste hip-hop explique que cette déclaration montre à quel point Obama est déconnecté de la réalité à laquelle font face les gens pauvres de couleur.

“Quand vous avez un garçon de 11 ans dont la mère ou le père est célibataire et cumule deux ou trois emplois juste pour ramener de la nourriture, qui doit se lever le matin à 5h30 pour prendre les transports en commun pour aller à l’école », explique T-Dubb-O, « tout, autour de lui, est damnation. Vous ne pouvez pas attendre d’un enfant de 11 ans qu’il ait la capacité mentale d’un adulte, et qu’il prenne les décisions matures lui permettant d’éviter tous les ennuis. Donc je me fiche du crime noir-contre-noir. Je me fiche du cliché conventionnel selon lequel en travaillant dur, on peut tout faire, on peut tout accomplir, parce que c’est des conneries. Et excusez mon langage, mais je ne peux pas dire à un petit garçon de ma rue, de mon quartier, où il y a eu plus de 100 meurtres l’an passé, qu’il peut devenir astronaute s’il le veut, car ça n’est pas possible. »

« Je pense que D.C. est un exemple parfait de ce que sont les États-Unis », explique-t-il. « Vous avez cette grande maison blanche qui représente le gouvernement, qui a été construite par des esclaves, qui est magnifique, avec des pelouses manucurées, et juste devant la porte vous avez 50 SDF qui dorment dans un parc. Juste devant les grilles de la Maison-Blanche. Ça décrit parfaitement les États-Unis ».

« La différence entre nous et ces leaders c’est qu’on fait pas ça pour la célébrité, on ne le fait pas pour des gains politiques, on ne le fait pas pour l’argent », explique-t-il, parlant de Obama, de Sharpton, Jackson, de Dyson et des autres leaders noirs de l’establishment. « On le fait parce que chacun des jours qu’on a vécus on nous a refusé les droits humains normaux, et qu’on aurait pu perdre la vie. On ne pense pas que ces leaders représentent correctement notre communauté. Parce qu’ils ne font plus partie de notre communauté, ils ne parlent plus pour la communauté, et honnêtement ils font très peu pour elle. Ils font quelques petites choses, parce qu’ils savent qu’ils y sont bien obligés, en tant que 501(c)3s [exempts de taxes fédérales, référence au 501c], mais ils ne parlent pas pour les gens. »

Baltimore, 27 avril 2015, lors des émeutes faisant suite à la mort de Freddie Gray
Baltimore, 27 avril 2015, lors des émeutes faisant suite à la mort de Freddie Gray
Jackson et Sharpton ont été apostrophés par les foules à Ferguson, qui leur demandaient de partir, avec leurs équipes de CNN. Tyler décrit CNN et les autres grands médias, qui répètent résolument les versions officielles comme « pire que les politiciens, pire que la police ».

« Donc les gens à Ferguson sont genre « fuck Al Sharpton, et fuck  Jesse Jackson », mais vraiment », explique Tyler. « Et c’est vraiment le moins qu’on puisse dire, véritablement, parce qu’ils ont été cooptés, pour commencer. Ils avaient leur propre mouvement. Ils ont été cooptés. Leurs mouvements ont été détruits. Maintenant ils veulent devenir les nouveaux leaders et essayer de rentrer dans notre mouvement et de diriger, entre autres, mais c’est une génération totalement différente. Eux ils défilent en costume-cravate et chantent « Kumbaya » et autres trucs du genre. Mais ce sont des gens comme lui qui sont dehors », explique-t-elle, en désignant T-Dubb-O, « torse nu, tatoué, comme les Bloods, les Crips, ou quoi que ce soit, dans la rue juste en colère, parce qu’ils ont été énervés et que ça les touche profondément. »

« Jesse Jackson est venu, d’ailleurs nous étions au milieu d’une prière pour la mère de Michael Brown, nous étions au site mémorial à Canfield  Apartments, là où il a été tué et laissé dans la rue pendant 4h30 », explique Tyler. « Tout le monde avait la tête baissée et il arrive et commence à hurler « pas de justice, pas de paix » au milieu de la prière. Donc instantanément la communauté a été super énervée — genre, mais qui c’est ce type ? J’ai finalement reconnu son visage. Je suis allé vers lui, parce que les gars étaient prêts à le frapper. Parce que tu ne dois pas venir ici, alors que la mère est en deuil, qu’on est tous bouleversés, et déranger notre prière. Et lui il est là « pas de justice, pas de paix ! », avec son porte-voix, sa pancarte etc., juste pour une opération photo. Donc je suis allé le voir et je lui ai dit qu’il ferait probablement mieux de partir, parce qu’ils étaient vraiment énervés et qu’ils allaient le virer de là. Et lui il était là « pas de justice, pas de paix ! » Il continuait à chanter. Donc je me suis écarté, et les gars lui ont dit quelque chose comme « Hey frère, si tu ne t’en vas pas on va te faire partir ». Et lui il a répondu, « voilà ce qui ne va pas avec nous ! », et « division générationnelle ! » et des choses comme ça. Et vous savez, la communauté n’a pas apprécié, alors il a eu peur, lui et les gens avec qui il est venu, avec son meilleur costume et tout, et tous les autres étaient torses nus, ou en débardeur, ou habillés normalement. Et il est venu avec un cameraman et tout, comme si c’était une frénésie médiatique, ou une sorte de manifestation, quelque chose à filmer. Et donc les gens étaient très énervés et il est parti instantanément, et il n’est pas revenu depuis. »

« Toutes les organisations nationales auxquelles vous pouvez penser sont à St. Louis, Missouri », explique T-Dubb-O. « Nous avons Urban League. Nous avons la NAACP. Nous avons toutes ces organisations différentes. Et pourtant ces deux dernières décennies nous avons toujours eu l’un des trois taux de meurtre le plus élevé, l’un des trois taux de crimes les plus élevés. Le niveau de pauvreté est dément, le chômage, vous avez tous ces énoncés de mission sur les sites disant faites ci faites ça, mais ces programmes ne sont pas disponibles dans notre ville. Ils ont des bureaux ici. Ils reçoivent des subventions. Mais ils ne font rien du tout. Et les communautés s’aperçoivent de ça maintenant. Donc un moment va arriver où toutes ces 501(c)3s, et toutes les organisations, vont devoir réellement être actives dans les communautés qu’elles représentent. »

Les jeunes activistes de Ferguson ne respectent que les quelques leaders noirs qui n’essaient pas de parler pour le mouvement ou d’utiliser les émeutes comme un fonds de commerce pour faire leur promotion. Parmi ceux qu’ils admirent il y a Cornel West.

« Il était une sorte de grand frère ou de père pour le mouvement », explique Tyler en parlant de West. « Au lieu de se mettre en avant, il m’emmenait toujours avec lui. Il nous mettait toujours en avant. Ils essayaient toujours de le mettre lui devant la caméra, et lui emmenait toujours quelqu’un avec lui. Il disait « voilà les gens, voilà les nouveaux leaders du monde, et c’est à eux que vous devez vous adresser ». Il est très transparent. Il met toujours en avant et souligne notre nom. »

Les activistes se préparent pour de plus amples émeutes. Et ils se préparent à plus de répression étatique et de violence.

« En ce qui concerne la politique », explique T-Dubb-O, « ça va se jouer selon une des deux issues possibles. Actuellement on a une opportunité qui se referme très rapidement, où nous pouvons soit recréer nous-mêmes un système qui soit réellement juste pour tous les gens, ou bien ils vont recréer un système dans lequel on sera plus jamais capables de les faire trembler comme on l’a fait à Ferguson. »

« On ne sait pas à quoi ça va ressembler, honnêtement », dit-il des émeutes à venir. « C’est légal de tuer un homme noir dans ce pays. Juste depuis Mike Brown, 11 personnes ont été tuées par la police à St. Louis seulement, dont une femme qui a été violée puis pendue en prison. Mais aucun des autres meurtres n’a eu droit à une couverture médiatique nationale. Il y a eu deux affrontements avec la police hier. Donc, on ne sait pas à quoi ça va ressembler. On sait qu’on est motivé. Qu’on va continuer le combat. Il va falloir une révolution totale pour changer les choses. Le pire du pire serait une guerre civile. Voilà à quoi je pense en ce moment. »

« Je ne les vois pas reculer », dit-il de l’État et des forces de sécurité. « Ça ne les dérange pas de tuer des gens. Ça ne les dérange pas de balancer des lacrymos sur des bébés, des femmes enceintes, des personnes âgées. Ça ne leur pose aucun problème. Et nos politiciens sont juste là, les bras croisés. »

« Tant que les autorités actuelles sont en charge, l’oppression n’ira nulle part », explique-t-il. « Il va vraiment falloir que les gens s’unissent dans le monde entier, pas juste aux États-Unis, pas juste à St. Louis, pas juste dans une ville ou un état particulier. Il va falloir que les gens s’identifient et se reconnaissent dans les luttes des autres à travers le monde, internationalement, et décident que trop c’est trop. C’est le seul moyen de faire disparaître l’oppression. »

Chris Hedges
Cheikh Amidou Kane
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