Traitement des brûlures au Sénégal: le grand désert médical

Rédigé par Dakarposte le Mardi 9 Mai 2017 à 14:29 modifié le Mardi 9 Mai 2017 14:32

Au Sénégal, il y a, chaque année, des milliers de brûlés dont des centaines jugés graves. Et pourtant, le pays ne dispose ni  de structures, ni de moyens adaptés, encore moins de personnel qualifié en la matière. De ce fait, la plupart des patients sont presque au couloir de la mort. Des projets de construction de centres spécialisés de traitement existent, mais tardent à être concrétisés.

 

ABSENCE DE MOYENS DE PRISE EN CHARGE

 

Les brûlés au couloir de la mort

Avec un nombre important de brûlés graves par an, le Sénégal ne dispose pas de moyens adéquats pour soigner ses victimes. Le taux de mortalité reste élevé, se situant au-delà de 50% des accidentés. Les projets sont encore à l’état de conception.

Le mercredi 12 avril 2017, un violent incendie s’est déclaré au daaka de Médina Gounass. Au premier jour, le bilan a été de 22 morts et des dizaines de blessés. Le lendemain, une autre victime a succombé à ses blessures. Le décompte macabre s’est poursuivi jusqu’à 30 décès, après une semaine. Un évènement malheureux qui pose en même temps la question des moyens dont dispose le Sénégal pour prendre en charge les brûlés graves ; que ce soit en temps normal ou en cas de catastrophe. Mais également sur l’ampleur du phénomène dans le pays.

Au Sénégal, les brûlures sont des accidents fréquents. Il y a environ 20 000 cas par an dont 700 considérés comme graves, selon Lion’s Club International. Le fléau touche majoritairement les franges de population les plus vulnérables, à savoir les femmes, les personnes âgées et les enfants. Surtout cette dernière catégorie. D’ailleurs, l’organisme révèle que 80% des accidents sont domestiques. Et si le taux de mortalité s’est réduit de 42% à  33% pour l’hôpital Principal ; elle est située entre 50 et 71% de décès dans les autres structures, révèle Lion’s club international. Un chiffre que corroborent les travaux du Dr Mbodji qui, dans sa thèse de troisième cycle (soutenue en 2009), révèle que sur 72 cas pris en charge à Le Dantec, 45 sont finalement décédés, soit un taux de mortalité de 62,5%.

Face aux difficultés, il y a quelques cas d’évacuation à l’étranger, mais c’est une affaire de nantis. Soit le malade lui-même a les moyens de payer, soit c’est son patron qui débourse à  sa place, s’il s’agit d’un employé. Des cas qui se comptent du bout des doigts. Il faut donc se concentrer sur les moyens locaux qui pour l’instant font défaut. Ce qui n’est pas du goût des partenaires. ‘’L’absence absolue de structure adaptée à la prise en charge des brûlés est inconcevable pour un pays qui se veut sur la voie du développement et de l’émergence économique’’, s’indigne Lion’s Club international sur son site.

En fait,  le problème est que le pays ne dispose pas de structure  spécialisée. Les brûlés sont pris en charge dans les services de réanimation qui ne sont pas des lieux indiqués. Il n’y a que deux unités de traitement dans le pays. Une à l’hôpital Principal pour une capacité d’accueil de 2 à 3 lits. Et l’autre à Le Dantec. Du fait de sa vocation (un hôpital militaire qui accueille nécessairement des cas de brûlés issus du terrain des opérations), Principal est en avance sur les autres. Il a plus de moyens matériels et plus d’expérience en la matière (voir interview). La structure a réussi à avoir un endroit pour isoler les brûlés du reste des malades et leur donner un meilleur traitement.

‘’Les complications infectieuses sont à 40%’’

Mais malgré tout, ce n’est pas la solution définitive. Car pour arriver à un meilleur résultat, la structure a réduit de moitié le nombre de lits. En d’autres termes, elle accueille moins de patients. Actuellement, elle rejette autant de malades qu’elle en accueille. De 2009 à 2013, 113 brûlés ont été admis contre 95 récusés. Et pourtant, un patient rejeté par Principal n’a presque pas de chance de survie, reconnaît Dr Fall. Dans les autres hôpitaux, le risque est plus grand pour les malades, puisqu’ils sont exposés à des maladies nosocomiales. En 2014, le Docteur Élisabeth Diouf de l’hôpital Aristide Le Dantec faisait l’amer constat.  »Les pansements se font en bloc opératoire à cause du manque de salle de pansement. Les complications infectieuses sont à 40% », regrettait-elle. Malgré tout, la situation au Sénégal reste meilleure que dans les autres pays de la sous-région.

Tout cela veut dire tout simplement que les pays subsahariens n’ont pas de service spécialisé pour la prise en charge adéquate. Et pourtant, ce sont eux qui enregistrent le plus grand nombre de victimes. Les quelques efforts qui sont consentis sont largement insuffisants. À  ce jour, le Sénégal qui est au niveau le plus avancé est à l’étape de projet. L’hôpital Principal veut construire un centre de 13 lits. ‘’Il sera bientôt réalisé’’, espère Dr Mouhamadou Mansour Fall, brûlologue anesthésiste-réanimateur. Quant au Centre hospitalier universitaire de Fann, il a une idée de près d’une décennie qui tarde à se matérialiser (voir ailleurs). Mais même avec la  construction de ces centres, le problème se posera toujours. Car il y a deux défis à relever : la formation du personnel de ces structures, mais surtout la prise en charge pré-hospitalière.

‘’Les patients viennent avec des défaillances d’organes’’

Ce dernier point est un vrai casse-tête pour les médecins en charge des brûlés. La non-maîtrise des interventions et l’absence de moyens dans la périphérie font que les évacuations se font dans de mauvaises conditions. ‘’Les patients viennent avec des défaillances d’organes, ce qui rend beaucoup plus difficile notre tâche de réanimation. Ils sont très souvent transportés dans des conditions  pas idoines, donc non protégés des infections et mal emballés. Ils viennent avec des souffrances surajoutées qui ne devraient pas être s’il y avait une médicalisation des secours’’, se plaignait Dr Fall dans une interview accordée au journal Le Quotidien. A titre illustratif, sur les 45 décès des 72 cas de l’hôpital Le Dantec relevés dans la thèse de M. Mbodj, les 40 l’ont été durant les 24 premières heures. Soit 88% de morts durant le premier jour. Ce qui confirme l’absence ou l’inefficacité des premiers soins.

Il urge donc pour le Sénégal de former son personnel, notamment ceux qui sont dans les régions. Il est également indispensable, au-delà de la formation, que les médecins se parlent à travers un réseau pour faciliter les choses. Un projet dans ce sens est déjà en gestation, si l’on en croit Dr Fall. ‘’De cette façon, la régulation médicale sera plus facile, nos médecins présenteront de meilleurs profils car, éventuellement, ils viendront de la capitale, dans les unités de traitement de brûlures. De la périphérie jusqu’à Dakar, il y aura une hiérarchisation des interventions pour une meilleure prise en charge médicale pour cette catégorie de patients traumatisés’’, se projette-t-il.

Et pour limiter les cas, le médecin invite l’Etat à la prise en charge primaire. C’est-à-dire la sensibilisation de la population pour limiter les cas d’accidents. Il y a également le niveau secondaire qui constitue le déploiement des moyens permettant de faire face en cas de sinistre. ‘’C’est effectivement en agissant à ces deux niveaux primaire et secondaire qu’on aura de moins en moins de brûlés. A chaque niveau de l’échelle de la pyramide sanitaire au Sénégal, les médecins seront outillés pour pouvoir éventuellement dialoguer avec des spécialistes du Sénégal et de l’extérieur’’, espère-t-il.

 

 

MORTALITÉ ÉLEVÉE DES BRÛLÉS

L’équation des infections

La gravité d’une brûlure est fonction de l’âge de la victime, de l’étendue et de la profondeur des dégâts. Mais ce sont surtout les infections, principales causes des décès, qui constituent la grande équation.

La brûlure est une pathologie compliquée, du fait des considérations à prendre en compte pour un traitement efficace. Si la brûlure légère est moins problématique, celle qui est de grande ampleur, par contre, demande une certaine expertise. ‘’La brûlure est dite grave lorsqu’elle engage le pronostic vital et/ou fonctionnel par son étendue, sa profondeur, sa topographie, les circonstances de survenue et l’agent vulnérant’’, explique El Hadji Macodou Mbodji, dans sa thèse soutenue le 30 décembre 2009 à la Faculté de médecine de Dakar.

En fait, les cas de brûlés sont divisés en quatre catégories. Il y a d’abord la brûlure au premier degré. Elle est la moins grave parmi toutes les autres et constitue moins de danger pour le patient. Son pronostic vital n’est pas engagé et ‘’la cicatrisation spontanée se fait en deux à trois jours, sans séquelle’’. Il y a ensuite le deuxième degré superficiel un peu plus grave, mais qui n’atteint pas le derme, mais affecte la membrane basale.

Puis vient le deuxième degré profond, assez critique, puisqu’il y a ‘’une destruction quasi totale de l’épiderme dont il ne reste que les annexes dans l’épaisseur d’un derme qui est partiellement lésé’’, relève le Tunisien Kamel Ben Mahmoud Baccar dans sa thèse soutenue le  25 juillet 2001. Enfin, arrive le troisième degré, le plus grave. Il y a là une destruction du derme, sans possibilité de régénération spontanée. Il faut donc compter sur des méthodes artificielles pour refaire la peau.

Toutes ces considérations dépendent de la température et du temps d’exposition. Les lésions cutanées apparaissent à partir de 44°C. Mais à partir de 60°, intervient la coagulation immédiate des protéines, avec mort cellulaire.  Par ailleurs, les endroits touchés participent également à la gravité ou non de la situation. Il existe des zones sensibles telles que la face, le thorax, l’abdomen, les parties génitales et les membres. ‘’Les brûlures localisées à la face sont à l’origine d’un œdème monstrueux qui est d’autant plus grave que la brûlure atteint le plancher buccal. Cet œdème peut devenir obstructif et entraîner l’asphyxie chez le patient. Ce risque est plus grand lors des brûlures circulaires du cou’’, souligne M. Mbodji dans son travail.

Quant aux membres, lorsque les brûlures sont profondes et circulaires, il se produit un effet de garrot qui réduit la circulation sanguine, entraînant une baisse de l’oxygénation des tissus de l’organe en dessous. L’âge de la victime est aussi un facteur décisif. ‘’Un patient d’âge mûr qui a plus de 20% de surface cutanée brûlée rentre dans le cadre de la gravité. Plus de 10% de surface cutanée brûlée, si c’est un âge extrême de la vie, c’est-à-dire un enfant âgé de moins de 10 ans ou une personne âgée de plus de 60 ou 65 ans, il rentre dans le cadre de la gravité’’, explique Dr Mouhamadou Mansour Fall, brûlologue anesthésiste-réanimateur à l’hôpital Principal de Dakar.

Les conséquences  de la brûlure

Cependant, ce sont surtout les infections qui compliquent la tâche. ‘’Elle représente  la principale cause de mortalité chez les grands brûlés et le principal facteur de morbidité. L’origine de l’infection est liée à une rupture de la barrière cutanée, une translocation de germe et une dépression immunitaire’’, fait remarquer Mbodji dans sa thèse.

À court terme, le brûlé peut connaître une insuffisance rénale aigue précoce secondaire. Il y a aussi des risques de maladies respiratoires liés à une atteinte du poumon due à des lésions de celui-ci, ou bien suite à une inhalation de fumée ou à la résorption de certains liquides. À moyen et court terme, il faut redouter la dénutrition qui ‘’contribue à l’accentuation du  déficit immunitaire et empêche le processus de cicatrisation de la peau’’.

S’y ajoutent les infections, les complications sur le plan fonctionnel (comme la perturbation du fonctionnement normal du cou, de la bouche, des paupières, des membres), l’aspect esthétique, sans oublier le risque de cancérisation. D’où la nécessité d’agir vite.
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