SERIGNE MOR MBAYE, PSYCHOLOGUE: "Les mamans, les familles doivent bénéficier d’une assistance psychologique d’urgence d’au moins six mois…"

Rédigé par Dakarposte le Samedi 28 Mai 2022 à 15:52

Après avoir perdu leurs nourrissons, un suivi psychologique d’au moins six mois s’avère nécessaire pour les parents des onze bébés décédés avant-hier à l’hôpital Mame El Hadji Abdou Aziz Sy de Tivaouane. A défaut, ces mères risquent de s’installer dans un état de stress post-traumatique, avec des symptômes, des états dépressifs et des souffrances bien souvent invisibles. Cette assistance doit, selon le psychologue Serigne Mor Mbaye, être étendue au personnel médical en charge de ces bébés calcinés.


Un rêve brisé. Un espoir réduit en cendres. Un sourire transformé en larme. Pour les mamans des onze nourrissons décédés au service néonatal de l’hôpital Mame El Hadji Abdou Aziz Sy de Tivaouane, le cauchemar ne fait que commencer. Et les tranchées post-partum (douleurs post-partum) n’arrangeront pas les choses. Sinon, accentuer leur souffrance. C’est parce que théoriquement, elles ne devront pas s’estomper avant la 2e semaine. D’ici là, chaque contracture laissera couler une larme. Elles rappelleront, les unes après les autres, ce drame. Cette soirée funeste vécue dans la nuit du 25 au 26 mai 2021. A la douleur physique de l’enfantement, s’ajoute désormais cette cuisante souffrance psychologique.
Serigne Mor Mbaye l’affirme avec certitude. «Des familles, des mamans traumatisées vont s’installer dans un épisode de stress post traumatique. Les mamans étaient déjà traumatisées par la santé de leurs enfants confiés à l’institution sanitaire. On peut parler d’un double traumatisme…», dit le psychologue. Un suivi psychologique est alors impératif. Il doit même être étendu au personnel du service néonatal. «Dans une société normale, ces mamans doivent bénéficier d’une assistance psychologique d’urgence. Elles doivent être prises en charge pendant au moins six mois. Cette assistance doit d’ailleurs être étendue au personnel médical en charge de ces bébés calcinés. Être témoins de l’horreur peut nous faire basculer dans un traumatisme secondaire», ajoute Serigne Mor Mbaye. A défaut, ces mères risquent de s’installer dans un état de stress post traumatique avec des symptômes, des états dépressifs et des souffrances bien souvent invisibles. «Leur vie sera ainsi dévastée, comme beaucoup de Sénégalais qu’on n’assiste pas lorsqu’ils ont été exposés à l’horreur. Ces Sénégalais dont on soigne le corps, mais laisse l’esprit. Il faudrait alors des spécialistes, des psychologues, des assistants sociaux formés qui puissent assurer la prise en charge psychosociale de ces femmes de façon durable. Une bonne écoute active et une communication est déjà une bonne chose. 
Cela pourrait leur permettre de comprendre ce qui peut advenir de leur état psychique, dans les jours et mois à venir, dans leur prochaine maternité. Parce que déjà, leur projet de maternité est complètement affecté. Elles sont dans la peur et l’angoisse», poursuit le spécialiste. Le décès de ces onze bébés n’est que la dernière en date. Le 06 mai dernier, Diary, âgée d’une dizaine de jours, a rendu l’âme à l’hôpital régional de Kaolack. Déclarée morte dans un premier temps et envoyée à la morgue alors qu’elle était encore vivante, l’enfant a été ramenée en service de Néonatologie. Les tentatives des blouses blanches de la maintenir en vie ont été vaines. La petite est décédée après plusieurs heures passées en réanimation.Le07 avril 2021, la parturiente Astou Sokhna, mourait en couches dans l’indifférence totale et par «négligence», dans les locaux de l’hôpitalAmadou Sakhir Mbaye de Louga. Un an auparavant, le 25 avril 2021, quatre autres nouveau nés avaient succombé dans les mêmes circonstances à Linguère. Les drames s’accumulent au sein des hôpitaux sénégalais. Cette succession de tragédie ne fera-t-elle pas perdre aux femmes en couches leur confiance aux hôpitaux sénégalais ? Serigne Mor Mbaye : «Ce drame va créer un climat de méfiance qui existe d’ailleurs déjà vis à- vis des institutions sanitaires.Les gens auront peur d’accéder aux institutions sanitaires. Déjà, ils ont assez de raisons en termes de pauvreté économique. Il s’y rajoute cette situation d’horreur, il y aura une défiance et méfiance vis-à-vis de l’offre de service.» Dans ces catastrophes, le psychologue cloue au pilori l’investissement au plan technique et la qualité du recrutement du personnel. «Tout est politisé.Le Sénégal a les ressources du point de vue de la hiérarchie médicale. Mais quand il s’agit du personnel subalterne, on recrute à tire-larigot du personnel qui n’est pas bien formé, qui n’a pas le sens de la responsabilité», dit Serigne Mor Mbaye. Selon qui, ces catastrophes installent les populations dans un deuil interminable depuis plus de deux décennies. «Chaque jour son lot de catastrophes, de morts etc. Nous sommes tous en dépression masquée… La violence irrigue toute la société», condamne-t-il.






AIDA COUMBA DIOP (l'OBS)
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