Le Sénégal dans l’émoi
La question à la fois alarmante et inquiétante de l’immigration clandestine, ne laisse pas insensible la population sénégalaise dans son intégralité, qui se trouve encore sous le choc, après avoir visualisé les vidéos qui ont fait le tour de la toile.
Par Bineta BÂ
Parmi les préoccupations les plus actuelles des Sénégalais, se trouvent en bonne place celles relatives à l’immigration clandestine. Les Africains en général, et les Sénégalais en particulier, peinent à trouver une solution idoine, voire pérenne pour mettre un terme à ce cauchemar meurtrier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le quotidien Tribune a fait une descente dans la rue, pour recueillir la température émotionnelle des Sénégalais.
Zeyna Bop rencontrée dans la banlieue de la capitale, plus précisément à Diamaguène Sicap Mbao nous livre son sentiment : «Je pense que l’immigration clandestine est due au niveau de pauvreté très élevé. Les jeunes, hommes comme femmes, veulent aller en Europe, tout en espérant y trouver du travail. Ils veulent aider leur famille, pour lutter contre ce fléau. Il faut que nos dirigeants forment les jeunes aux métiers d’avenir, et en même temps penser à la mise en place d’entreprises où ils peuvent gagner dignement leur vie», explique-t-elle.
La réaction de notre précédente interlocutrice est presque similaire à celle de Mouhamadou Lamine Ndiaye : «C’est désolant, mais ce n’est pas la première fois que cela arrive ; c’est le nombre qui a changé, une soixantaine. Ce à quoi nous assistons actuellement, n’est rien d’autre que la résultante d’une mauvaise politique migratoire et d’une politique de développement inefficace des pays africains de départ. Ce qui me choque le plus, ce sont les réactions de nos dirigeants. Je suis choqué que notre président de la République n’a réagi qu’avec un tweet», s’indigne-t-il, avant de poursuivre : «Et je ne doute guère de la prochaine annonce de mesures, mais ce ne sera que du remix pour emprunter le jargon musical», se désole-t-il.
En attendant, une solution définitive, nombreuses sont les personnes qui portent le deuil, n’ayant même pas pu, en guise de consolation, se recueillir sur la tombe de leurs êtres chers perdus.
Comment s’organise les « voyages suicides » ?
La question relative à l’immigration clandestine inquiète plus d’un. C’est la raison pour laquelle la rédaction de Tribune a essayé d’approcher un parent de victime pour mieux comprendre comment se passent ces voyages irréguliers.
Alors qu’on croyait avoir démantelé l’état d’esprit de ces voyageurs irréguliers, survient soudain le naufrage que Florence Kim (porte-parole de l’organisation internationale des migrations en Afrique de l’Ouest -Oim) qualifie «de pire naufrage de cette année par voie atlantique».
Bossé Thiore, habitante d’un des villages impactés – Thiallane – dans la commune de Bassoul, explique le circuit qui existe autour de ce voyage illégal : «Nous qui habitons dans ces villages, et qui avons des frères pêcheurs connaissons bien l’immigration clandestine. Au début, les gens se rendaient au Maroc pour rallier l’Espagne, la distance était plus courte ; mais maintenant que le contrôle est devenu strict dans ce pays, ces jeunes migrants ont essayé de contourner ce problème et trouver une autre solution», affirme-t-elle, avec son visage devenu triste à l’entame de ses propos.
Avec beaucoup de mal elle réussit à poursuivre : «Comme lors de ce voyage, ils ont été en Gambie, plus précisément à Bara, lieu de départ. Mais comme vous l’avez constaté, ce ne sont pas juste les jeunes d’une seule localité qui ont péri dans ce drame. La mort de jeunes venant de la région de Kaolack a aussi été annoncée».
Sur les mécanismes de dissuasion de la part des familles, d’un ton désespéré, elle répond : «Vous ne pouvez avoir le moindre soupçon : ils ne communiquent à personne leur voyage, car ne voulant pas être dissuadés. La communication se fait dans un langage codé – « combat amneu », i.e., « il y a combat » -, les profanes ne peuvent pas comprendre. L’information passe et ceux qui veulent y aller se partagent toutes les informations. Rares sont ceux qui informent leurs familles. C’est toujours après les drames que nous avons les informations en détails».
Sur la question du coût financier, la dame de soutenir : «la participation s’élève à 200.000 Cfa, voire 250.000 Cfa. La mise collective servira à acheter à manger, du carburant etc.».
Très mal en point, des yeux écarquillés par la phobie ou le traumatisme, encore. La jeune dame de rajouter : «Nous avons perdu beaucoup de nos fils, amis, parents dans l’immigration clandestine, et ce qui choque le plus notre interlocutrice, la mort de cette femme qui fait partie de ce décompte du naufrage et habitante de son village.
Par ailleurs, elle interpelle les autorités étatiques, pour trouver une solution afin que la mer ne puisse plus noyer les enfants du pays.
Les solutions seraient-elles vaines ?
L’immigration irrégulière a fait couler beaucoup d’encre et de salive ces dernières années. Des tentatives de trouver solution se dessinent par-ci, par –là, surtout du côté des Européens, qui se sont beaucoup investis dans la lutte contre la migration clandestine. Contrairement aux dirigeants africains ! Selon certains observateurs, le résultat est bien loin des attentes.
La question inquiétante, de l’immigration clandestine, ne laisse pas indifférente l’Europe dans son intégralité. Un sentiment de menace ou une sensibilité par rapport aux nombres de morts l’explique beaucoup. Dans tous les cas, des solutions venant d’eux restent inscrites dans les agendas aux pages sombres de l’Afrique dans cette ère d’immigration clandestine.
La visite de Nicolas Sarkozy en terre sénégalaise, alors ministre de l’Intérieur à cette époque, en est la parfaite illustration. Avec son homologue le ministre Ousmane Ngom, ils posaient les jalons d’un avenir assez prometteur pour mettre véritablement un terme à l’immigration illégale subie. Un accord sur lequel revient Tribune et où on peut lire dans ces grandes lignes que «le gouvernement sénégalais s’engage à collaborer avec Paris pour faciliter l’expulsion de ses ressortissants en situation irrégulière. Parallèlement, la France devait verser, dans un premier temps, une somme de 2,5 millions d’euros pour aider les rapatriés à se réinsérer grâce à des micro-projets, notamment dans le secteur de agriculture».
Le pays colonisateur n’était pas le seul à s’engager dans cette voie pour endiguer la migration clandestine sur soin sol. L’Espagne à son tour va souscrire et signer avec le gouvernement d’Abdoulaye Wade une entente de ce type qui attribue une somme de 20 million d’euros au Sénégal pour lutter contre l’immigration clandestine. D’ailleurs bon nombre d’opposants sénégalais demandaient une transparence sur l’utilisation de ces fonds.
L’histoire est encore loin de son épilogue, dans cette dynamique d’éradication de ce fléau et le combat continue. Notamment à travers le mécanisme Frontex (Agence européenne de garde-frontières et de gardes côtes), permettant au pays européens de surveiller leurs frontières, de réduire l’arrivée de convois d’immigrants irréguliers, de lutter contre la clandestinité et la criminalité transfrontalière, et assurer la protection et la sauvegarde des migrants en péril en mer. C’est ainsi que 6000 migrants illégaux sénégalais avaient été interceptés par le Frontex en 2017, nous rappelle le secrétaire exécutif de l’organisation, Fabrice Leggeri.
Dans cette lutte, l’Organisation internationale pour les migrations (Oim) en Afrique de l’Ouest, accomplit un travail remarquable. Lors de sa visite à Dakar, le Premier ministre français, Édouard Philippe, a lui aussi abordé la question importante de l’immigration clandestine, récemment dans la capitale du pays de la Téranga. Le naufrage de vendredi dernier aux larges des côtes mauritaniennes relance le lancinant débat sur le phénomène migratoire. Tous les dossiers sont remis sur la table.