Plusieurs hauts responsables de la Fédération internationale de football ont été arrêtés tôt mercredi matin par la police suisse à Zurich. Ils sont soupçonnés d'être impliqués dans des affaires de corruption au cours des vingt dernières années.
C'est un coup de filet sans précédent. Sept membres de la Fédération internationale de football (Fifa) ont été arrêtés dans un hôtel cinq étoiles de Zurich par la police suisse mercredi à l’aube, à la demande des autorités américaines, révèle le New York Times. Sept autres personnes, élus de l'organisation qui gère le football mondial ou responsables de société spécialisés dans le marketing sportif, sont inquiétés. La justice américaine réclame leur extradition vers les Etats-Unis, dans le cadre d’une enquête fédérale pour des faits présumés de corruption.
En début de soirée, mercredi, le président de l'instance, Sepp Blatter, a réagi pour la première fois avec un communiqué indiquant que «c’est un moment difficile pour le football, les supporteurs et la Fifa», et que «de tels comportements n’ont pas leur place dans le football». «Nous nous assurerons que ceux impliqués seront exclus du jeu», a-t-il ajouté. Au même moment, la Fifa annonçait avoir suspendu provisoirement 11 personnes, dont Jeffrey Webb, un de ses vice-présidents, ainsi qu’Eduardo Li, Julio Rocha, Costas Takkas, Jack Warner, Eugenio Figueredo, Rafael Esquivel, José Maria Marin, Nicolás Leoz, Chuck Blazer et Daryll Warner. De son côté, l'UEFA a demandé le report du Congrès de la Fifa et du scrutin présidentiel. Libération fait le point.
QUI EST CONCERNÉ PAR CETTE VAGUE D’ARRESTATION ?
En tout, 14 personnes sont mises en examen dans ce dossier : 9 cadres de la Fifa, 4 responsables de sociétés spécialisés dans le marketing sportif et 1 homme travaillant dans le business des droits télés, soupçonné d'avoir agi comme intermédiaire entre les deux groupes, a annoncé mercredi la justice américaine.
Nine FIFA Officials and Five Corporate Executives Indicted for Racketeering Conspiracy and Corruption http://t.co/7SvYgNmlaN
— Justice Department (@TheJusticeDept) May 27, 2015
Sepp Blatter, à la tête de la puissante fédération depuis 1998 et candidat à un cinquième mandat, n’est pas concerné. La justice américaine donne les noms des membres de l'institution : Jeffrey Webb, Eugenio Figueredo, Eduardo Li, Julio Rocha, Costas Takkas, Rafael Esquivel, José Maria Marin, Jack Warner et Nicolás Leoz. Ils ont tous été interpellés mercredi matin à Zurich à l'exception des deux derniers.
La plupart des personnes interpellées sont des responsables présents ou passés de la Concacaf, la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes - ce qui permet donc leur extradition vers les Etats-Unis. Le siège de la Concacaf, situé à Miami, a d'ailleurs été perquisitionné mercredi. Parmi les personnes arrêtées, on trouve ainsi Jeffrey Web, l’actuel président de la confédération et vice-président du comité exécutif. Le président de la fédération du Costa Rica, Eduardo Li, figure également parmi les responsables interpellés. Tout comme Eugenio Figueredo, ancien président de la Confédération sud-américaine de football (CONMEBOL).
La date de ce coup de filet n’a pas été choisie au hasard. Les enquêteurs ont attendu que les personnes concernées soient réunies à Zurich à l’occasion de leur congrès annuel, prévu en fin de semaine, pour les arrêter et les extrader dans une même opération.
QUE LEUR REPROCHE LA JUSTICE ?
Fraude en ligne, blanchiment d’argent, détournement de fonds, racket : les accusations font état de plusieurs faits qui auraient été commis sur les vingt dernières années, essentiellement au sein de la Concacaf, l’une des six fédérations régionales de la Fifa.
Les accusations portent notamment sur des pots-de-vin et des commissions versés à des délégués Fifa en échange de droits de retransmission télé des compétitions. Le tout pour un montant de plusieurs dizaines de millions de dollars. «La corruption était institutionnalisée», selon un enquêteur suisse, qui s’est dit «surpris de la période sur laquelle elle a duré et de l’étendue des secteurs de la Fifa concernés». Les inculpations exactes devraient être rendues publiques dans la journée de mercredi par le tribunal fédéral de Brooklyn, à New York.
Dans la foulée de l'annonce de ce coup de filet, on apprenait que la justice suisse avait lancé depuis le mois de mars une enquête sur les conditions d'attribution des Coupes du monde 2018 (à la Russie) et 2022 (au Qatar). Des soupçons de corruption planent sur le Mondial 2022 depuis que l'organisation en a été confiée au Qatar en 2010.
Cet après-midi, la ministre américaine de la Justice à New York a déclaré que l’attribution de la Coupe du monde de football 2010 à l’Afrique du Sud était «corrompue». «La Coupe du monde 2010 (...) a été attribuée à l’Afrique du Sud, pour la première fois le tournoi se tenait sur le continent africain», a expliqué Loretta Lynch. «Mais même pour cet événement historique, des dirigeants de la Fifa et d’autres ont corrompu le processus en utilisant des pots-de-vin pour influencer la décision d’attribution», a-t-elle déploré.
Dominic Chimhavi, porte-parole de la Fédération sud-africaine de football, a signalé qu'«il ne s’agit que d’accusations», ajoutant que «personne n’est sous le coup d’une enquête ici», a-t-il ajouté, sans davantage de commentaires sur les déclarations de la ministre américaine.
POURQUOI LA JUSTICE AMÉRICAINE S’EST-ELLE SAISIE DE L’AFFAIRE ?
Les Etats-Unis sont directement impliqués, notamment dans l’attribution suspecte des droits télévisés, les chaînes américaines étant celles qui versent le plus d’argent. Les commissions auraient été négociées sur le territoire américain, et des paiements auraient transité par des banques américaines.
Le FBI suit l'affaire depuis déjà plusieurs années. En 2011, Chuck Blazer, alors membre du comité exécutif de la Fifa et sous la menace d’une enquête pour évasion fiscale, avait été contraint de collaborer avec la police judiciaire américaine. L’homme, qui a quitté la Fifa en 2013 après des accusations de corruption, a livré plusieurs enregistrements de conversations avec des hauts responsables de la fédération. Le dossier figure aujourd’hui en haut de la pile de la justice américaine, la nouvelle ministre de la Justice, Loretta Lynch, étant celle qui a lancé l’enquête à l’époque où elle était procureure générale de Brooklyn.
QUELLE EST LA PROCHAINE ÉTAPE ?
Les sept interpellés ont été placés en détention et devraient être entendus dès mercredi par la police suisse sur les faits qui leur sont reprochés. Ceux qui accepteront leur extradition feront l’objet d’une procédure simplifiée. L’OFJ (Office fédéral de la Justice) pourra alors approuver sans délai la demande d’extradition vers les Etats-Unis et l’exécuter. Dans le cas contraire, les Etats-Unis devront «faire parvenir une demande formelle d’extradition à la Suisse dans le délai de 40 jours prévu par le traité d’extradition en vigueur», précise l’OFJ dans un communiqué.
Mercredi après-midi, le procureur fédéral de Brooklyn Kelly Currie déclarait : «c’est le début de notre effort, pas la fin». A ses côtés, la ministre américaine de la justice Loretta Lynch a accusé les inculpés d’avoir «corrompu les affaires du football mondial pour servir leurs intérêts et pour s’enrichir personnellement», ajoutant que la prochaine étape dans ce dossier était une demande d’extradition des accusés vers les Etats-Unis pour y être jugés.
«C’est la Coupe du monde de la fraude. Aujourd’hui nous avons sorti le carton rouge», a lancé Richard Weber, un responsable du fisc américain qui connaît visiblement bien les règles du football.
COMMENT A RÉAGI LA FIFA?
Sans confirmer l'identité des sept personnes interpellées ce matin à Zurich, et avant la réaction de son président, la Fifa a annoncé son intention de collaborer pleinement avec la justice, s'estimant victime des malversations. Dans un communiqué, elle se félicite même que ces enquêtes se poursuivent «pour le bien du football». Lors d'une conférence de presse programmée après la révélation des arrestations, le directeur de la communication de la Fifa, Walter de Gregorio, a annoncé que l'institution ne modifierait pas son ordre du jour : le congrès qui doit s'ouvrir demain aura bien lieu, de même que l'élection du président, vendredi. Election dont le président sortant Sepp Blatter est le grand favori face au prince jordanien Ali. «La Fifa est la victime. Son président n'est pas impliqué, pourquoi voulez-vous qu'il démissionne», a réagi de Gregorio qui a affirmé qu'il n'y aurait pas de nouveaux votes sur l'attribution des Mondiaux 2018 et 2014.