Remarques blessantes sur le physique : « Body shaming », le fardeau du corps (1/2)

Rédigé par Dakarposte le Mercredi 12 Mars 2025 à 13:46 modifié le Mercredi 12 Mars 2025 13:49

Les remarques désobligeantes sur le corps d’une personne, ne sont pas de simples mots, car elles agissent sur le mental de certaines victimes. L’anglicisme « body shaming », désignant le blâme que subit un individu à cause de son apparence physique, en rend compte. Zoom sur un phénomène aux conséquences destructrices.


Rabiatou Baldé a tout d’un mannequin avec son corps svelte. Elle entre facilement dans les canons de beauté de ces nymphes à la taille fine et aux belles mensurations du haut de son 1,82 m. Cependant, ce qui, pour beaucoup, est un atout, elle l’a vécu tel un handicap. On l’affublait de tous les sobriquets à l’école. La girafe, « balai taxaw » sont, entre autres, les surnoms par lesquels elle était désignée durant sa tendre jeunesse. « Étant à l’époque mince et de grande taille, les gens ne se gênaient pas pour me faire des remarques désobligeantes sur mon physique », se remémore la jeune femme âgée de 25 ans. Aujourd’hui, étudiante en licence 3 en droit, elle se souvient avoir très mal vécu ces critiques, « pleurant tout le temps, le cœur chagriné, impuissante face aux railleries».

Le temps a permis à la fine demoiselle de panser ses plaies et d’accepter son corps. Des années en plus et de la maturité en prime, Rabiatou a fini par comprendre qu’être différent n’est pas un vice. « Je l’ai accepté en valorisant cela et en mettant des habits adaptés à ma morphologie », confie-t-elle, le sourire aux lèvres. L’étudiante en droit porte fièrement sa taille et avoue rencontrer des personnes qui voudraient être à sa place.

« Tu es la plus laide ». Le ton était ferme et révoltant. Ces mots prononcés par une tante peu soucieuse des conséquences de ses propos, ont, pendant longtemps, tourmenté la petite Aïcha Fall, moins choyée que celle que chante Khaled. Cette étudiante en médecine, à l’époque décrite comme une fillette dodue, à la peau très noire à tendance acnéique et aux cheveux en moins, a subi le « body shaming » au plus profond d’elle. La comparaison avec ses cousines, « plus belles », provoquait un certain agacement chez Aïcha, la « vilaine jouvencelle ». Comme la miss Sénégal 2020, Ndèye Fatima Dione, victime de lynchage virtuel, car « pas assez belle pour une miss », Aïcha Fall a subi à quelques différences près, les mêmes remarques.

Il y a des souvenirs qui refusent de s’effacer de la mémoire de cette femme de 23 ans, notamment le « body shaming ». « Cela a eu des répercussions sur ma perception, ma confiance et surtout, sur mes relations amoureuses. Quand un homme me draguait, c’est comme si j’avais gagné un trophée », se rappelle-t-elle, le ton calme. Elle s’est donc plongée dans les études, son échappatoire, là où elle était jugée en fonction de ses performances sans faire référence à son physique. Aïcha Fall a pu, avec le temps, trouver des gens qui ont su lui redonner confiance.

Mental d’acier

« Un jour, une de mes camarades de classe, me dévorant du regard, n’arrêtait pas de rire. Avec toute l’innocence du monde, elle dit que je n’avais pas une belle dentition quand je lui ai demandé l’objet de ce sourire narquois ». Cette anecdote a encore un goût amer dans la bouche de Khady. Cela a laissé des séquelles dans la vie de cette jeune femme. Elle n’arrivait pas à comprendre ces « remarques désobligeantes » sur elle et surtout, sur son physique. À force de regarder des vidéos de motivation, Khady a appris à s’accepter et à s’aimer, tout en se disant que nul n’est parfait. « Il faut se connaître et développer un mental d’acier ». C’est sa recette.

C’est aussi celle de Mbayang Traoré. Le temps l’a « guérie ». Avant la majorité, cette commerciale ne laissait rien transparaître et ne manifestait aucune amertume, même si son cœur en débordait. Son recours : l’indifférence. « Je n’y accorde plus d’importance, car j’aime mon physique et je sais que je suis belle avec mes bourrelets, mes joues ». Cette dame aux formes callipyges, se dit également « fière » de la femme qu’elle est devenue et qui avance avec ou sans moqueries.

Marque indélébile

Mor Sy se plaisait à se contempler dans le miroir, pour se convaincre qu’il n’était pas aussi moche qu’ils le disent. Tout comme le joueur Krépin Diatta en 2019, il a subi ces remarques sur son physique. « À force d’entendre mes amis et les copines de ma sœur répéter que j’étais laid, j’ai fini par l’intégrer, me résigner, ignorant ceux qui m’accablaient de railleries », a confié le jeune homme. Aujourd’hui, Mor dit être « bien « dans sa peau. « Il faut apprendre à s’aimer », dit-il. Pour lui, du moment que la raillerie n’est pas insultante ou mal placée, il n’en fait pas toute une histoire.

« Jeune, j’étais mince et élancé. Ce qui me valait certaines railleries de la part de mes amis », déclare Moustapha Cissé. Aujourd’hui bijoutier, le trentenaire garde en tête ces épisodes de son adolescence. « Je ne me laissais pas faire, car je leur donnais une réplique bien salée. Il m’arrivait même d’en venir aux mains », se souvient-il, sourire en coin. Du haut de son 1,86 m, le bijoutier a pris de la hauteur et a accepté d’avancer sereinement. Avec le recul, il considère ces railleries comme des « trucs de gamin ». En rire, pour d’autres, est une thérapie.

Les parents, ces boucliers

Fatou Kiné est enseignante et mère de trois enfants. Mais elle n’a jamais accepté qu’on fasse des remarques sur le physique de ses enfants. Ayant été victime du « body shaming » du fait de sa forte corpulence, elle ne veut surtout pas que l’histoire se répète. C’est pourquoi, elle a très tôt freiné les remarques d’une de ses connaissances : « Elle disait que ma fille serait courte à cause de ses jambes, alors qu’elle avait juste quelques mois. Mais quelques années plus tard, la même personne a appelé ma fille « mbeung », un surnom que l’on donnait à une personne d’une certaine grosseur ». Cela a énormément affecté la jeune femme et elle a décidé d’agir à temps. « Je suis allée voir la femme en personne et je lui ai dit calmement que ma fille avait un nom et qu’il fallait l’appelait ainsi », narre-t-elle.

Brigitte, elle, a appris à sa fillette de huit ans, à rendre les mots, à riposter et à ne pas se laisser faire. « Il faut, estime-t-elle, aider l’enfant à se forger un mental d’acier, à se faire respecter, à savoir rendre les mots blessants ».

L’entourage au banc des accusés

La coach en développement personnel Aïssatou Dia reçoit, lors de ses séances, des victimes de « body shaming ». La manageuse de Omaïssa trading leur offre une « oreille attentive », pour qu’ils puissent extérioriser leurs ressentis. Elle les accompagne ensuite dans un programme de suivi qui leur permettra de comprendre l’impact du « body shaming » dans leur quotidien, en réveillant la positivité en eux afin de vaincre cette honte ressentie lorsqu’ils subissent ce lynchage fait le plus souvent par l’entourage.

« Au début, le « body shaming » est souvent le fait de l’entourage de la victime, avant que le reste de la société ne s’y mette », explique coach Aïssatou Dia. Cette dernière va plus loin en affirmant que les parents ont un rôle très important à jouer dans la psychologie de l’enfant. Car cela peut aller jusqu’à avoir de graves répercussions sur sa santé mentale et physique en tant qu’adulte. « Les parents doivent aimer et pousser leur enfant à s’aimer. Il faut accompagner son enfant et lui faire comprendre que ce qui se passe à la télé ou ce que disent les autres, n’est pas toujours la réalité », déclare-t-elle.

Certaines remarques subies entre l’enfance et l’adolescence, peuvent laisser des marques chez les victimes. « Ils pourront se retrouver avec un manque de confiance en soi qui va les bloquer sur tous les domaines de leur vie personnelle, sentimentale, professionnelle, etc. », a fait savoir l’experte.

Le « body shaming » peut, selon elle, engendrer chez eux la peur de s’engager et de prendre des risques, car ils vont toujours faire focus sur l’avis des autres. « Il peut aussi provoquer un déséquilibre alimentaire, favoriser les discriminations, le harcèlement, entre autres », énumère-t-elle. Il faut, préconise-t-elle, sensibiliser les enfants à la diversité des silhouettes, la variété de poids, de taille, de look… Il lui semble tout aussi important de les aider à cultiver leur propre identité, à se forger un mental fort et d’arrêter de les rabaisser avec des mots qui blessent profondément.




















Le Soleil

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