Relations entre le secteur privé et l’Etat: quand le patronat voyage dans les valises de Macky

Rédigé par Dakarposte le Vendredi 11 Novembre 2016 à 09:51 modifié le Vendredi 11 Novembre 2016 09:54

Avec Dakarmatin


Le président de la République, dans ses voyages, est souvent accompagné par quelques figures du patronat sénégalais. Et à en croire certains chefs d’entreprises, ce sont toujours les mêmes personnes qui sont dans l’avion présidentiel au moment où d’autres hommes d’affaires payent de leur poche le prix de  leurs déplacements, à la quête de marchés.

 Le patronat est souvent dans les valises du président de la République pendant ses déplacements en Europe, en Amérique ou en Asie. Quoi de plus normal qu’un chef d’Etat se déplace avec son secteur privé. Mais la question qui se pose de plus en plus est de savoir de quel secteur privé il s’agit. Car ce ne sont pas souvent les champions qui évoluent dans les secteurs de la construction, de l’agriculture, de l’industrie, de l’agrobusiness, et qui emploient dans leurs entreprises des milliers de Sénégalais, qui sont toujours avec le président de la République. Il semble aujourd’hui que cette image dérange  jusque dans les rangs du secteur privé. Tout dernièrement, c’est le journaliste Adama Gaye qui, selon Baban Tandian, a eu à dénoncer le fait que quand le président voyage, le ‘’patronat est dans notre avion présidentiel’’.

Cependant, cette sortie au vitriol du journaliste, très critique envers le gouvernement, a fait réagir l’imprimeur. Dans une contribution publiée dans beaucoup de journaux de la place, l’ancien président de la Fédération sénégalaise de basket-ball précise à l’endroit de M. Gaye que les hommes d’affaires qui étaient dans le dernier voyage de Varsovie en Pologne avec le Président Macky Sall n’ont pas tous pris l’avion présidentiel. ‘’Parmi ces chefs d’entreprises présents à Varsovie, la majorité a pris un vol régulier après avoir payé de leurs poches leur billet et leur hôtel. Je peux citer quelques-uns que j’ai identifiés personnellement. Il s’agit de Serigne Mboup et son épouse, Moustapha Tall, Moustapha Cissé Lo, Massamba Ndiaye Dg de W.K consus trading et moi-même‘’, dit-il.

Certes. Mais il est établi que beaucoup de pontes du patronat étaient du voyage de Varsovie aux frais du contribuable, comme le dénonce le journaliste Adama Gaye. Et ce n’est pas la première fois. ‘’On les met en contact avec des partenaires. On leur donne des marchés d’Etat. On les paye sur fonds publics (…). Non contents de tout cela, ils râlent tout le temps au nom, disent-ils, de la préférence nationale. Et ce sont les mêmes qui entrent dans les deals de rétro-commissions pour financer, enrichir les politiciens au… pouvoir. Jamais ils ne disent un mot sur la mal gouvernance’’, fustige le journaliste sur sa page Facebook. Au-delà de Adama Gaye, le Conseil des entreprises du Sénégal (Cdes) dénonce aussi ‘’l’activisme’’ du patronat. Selon son président, depuis 35 ans, c’est le même groupe qui est là. C’est-à-dire, dit-il, ‘’des gens qui se disent patrons, souvent des patrons qui n’ont pas d’entreprises, des employeurs qui n’ont pas d’employés’’. Babacar Diagne de poursuivre : ‘’On ne sait pas ce qu’ils ont fait dans le patronat. Ce sont eux qui détiennent le destin de l’ensemble des entreprises nationales. Ils parlent au nom des entreprises sénégalaises. C’est un grand dommage’’, fustige-t-il.

‘’Un mauvais procès’’

Toutefois, dénoncer les voyages du patronat en compagnie du chef de l’Etat, c’est lui ‘’faire un mauvais procès’’, condamne le Directeur exécutif de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal. Ousmane Sy Ndiaye souligne à l’endroit de ces derniers qu’il ‘’n’y a pas de distinction entre le patronat et le secteur privé parce que le patronat porte le mandat du secteur privé’’. Selon lui, il n’y avait pas seulement, lors du voyage de Varsovie, l’Unacois, le CNP, la CNES ou le MEDES. En plus de ces organisations patronales, il y avait, énumère-t-il, les présidents de la chambre de commerce de Dakar et de l’Union nationale des chambres de commerce du Sénégal en plus des autres acteurs du secteur privé. Mais quoi de plus normal que le chef de l’Etat voyage avec son secteur privé ? se demande Ousmane Sy Ndiaye, par ailleurs membre de la plate-forme du secteur privé qui regroupe l’Unacois, le MDES, le CNP, la CNES et le GES. Cela, explique-t-il, est d’autant plus normal parce qu’à chaque fois, le président Macky Sall, dans ses voyages, est accueilli par un chef de l’Etat qui vient avec son secteur privé. ‘’Donc, c’est important que le président soit sur place avec le patronat sénégalais de manière à permettre au privé de s’entretenir avec ces entrepreneurs’’, précise-t-il.

De son côté, le président de l’Union nationale des chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture du Sénégal (UNCCIAS) ne voit rien de mal à ce que le patronat voyage avec le chef de l’Etat. Selon lui, le chef de l’Etat a la prérogative de voyager avec qui il veut. Par contre, clarifie-t-il, le privé a plus besoin de voyager en compagnie du chef de l’Etat dans les pays de la sous-région pour explorer des marchés. Malheureusement, a-t-il remarqué, la plupart des voyages présidentiels, c’est en Europe, en Amérique, en Asie… Ces pays, signale-t-il, sont déjà développés et tout ce que le privé sénégalais peut y faire, c’est de nouer des partenaires  avec des investisseurs. ‘’Ce que je reproche est qu’on ne voit jamais le patronat accompagner le chef de l’Etat dans la sous-région’’, déplore Serigne Mboup.

Voyage sur invitation

Sur ce point, le Directeur exécutif de l’Unacois précise qu’il y a plusieurs raisons qui expliquent que le privé n’ait pas toujours accompagné le Président dans ses voyages à l’intérieur du continent africain. D’abord, dit-il, il est beaucoup plus facile pour le patronat sénégalais d’investir le marché sous régional que le marché européen. Selon Ousmane Sy Ndiaye, le secteur privé est ‘’en permanence dans l’exploration du marché sous régional’’. Ensuite, la deuxième explication de l’absence du patronat lors de ces voyages est que le Sénégal est dans un espace communautaire avec l’UEMOA et dans une union douanière avec les autres pays de la CEDEAO. Ce qui fait, dit-il, qu’il n’est pas très compliqué d’explorer les possibilités de coopération d’autant plus que le secteur privé ouest-africain a des canaux permanent d’échanges d’informations, notamment les réseaux des chambres de commerce, les réseaux des organisations de commerçants, les organisations de transporteurs… ‘’Nous avons des réseaux qui fonctionnent. Ce qui fait que la fluidité de l’information est une réalité dans la sous région. C’est moins compliqué d’investir le marché régional’’, ajoute-t-il.  

La troisième raison et pas la moindre, est que les leaders du patronat participent à ces voyages sur invitation du chef de l’Etat. ‘’On ne peut pas participer à un voyage auquel on n’est pas invité. Ça ne veut pas dire que le président n’a pas intérêt à nous associer dans ses déplacements dans la sous-région, loin de là, mais il sait qu’il est moins compliqué pour nous d’investir le marché de la sous région que le marché européen’’, explique-t-il. C’est pour cela, poursuit M. Ndiaye, que le chef de l’Etat ‘’apporte l’appui nécessaire à son secteur privé dont il est le premier promoteur’’ afin de lui donner les moyens d’accéder à des partenariats.

Dialogue permanent avec le gouvernement

Mais pour Babacar Diagne du Cdes, les problèmes du secteur privé n’intéressent pas ceux qui sont à la tête du patronat sénégalais. Ces derniers, charge-t-il, ‘’sont dans une position de rente’’. M. Diagne ne peut pas comprendre que ceux qui se réclament ‘’patronat du Sénégal’’ ne soient pas en mesure de faire des investissements majeurs dans ce pays.  ‘’Ils sont incapables de continuer les travaux de l’aéroport Blaise Diagne qui étaient à un taux d’exécution de près de 80%’’, dénonce-t-il. Alors que non loin du Sénégal, en Mauritanie plus précisément, le nouvel aéroport de Nouakchott est construit à 100% par le patronat mauritanien. ‘’Ce n’est pas un patronat qui défend les entreprises sénégalaises. Ils sont là au nom des multinationales. Cela ne développera jamais, jamais, notre cher Sénégal’’, accuse le président du Cdes.  Un avis que ne partage pas Ousmane Sy Ndiaye. D’ailleurs, à en croire le Directeur exécutif de l’Unacois, le cœur de métier du patronat est ‘’d’entretenir au quotidien un dialogue public-privé avec le gouvernement’’. Ce qui montre qu’il n’attend toujours pas de voyager avec le chef de l’Etat pour défendre les préoccupations du secteur privé. ‘’Sur les questions fiscales, sociales, économiques ou financières, nous sommes en discussion permanente avec le gouvernement. Pour preuve, dans les jours à venir, nous devons valider le mémorandum sur les questions essentielles qui plombent le développement des Pme, dans des secteurs clés’’, ajoute-t-il.  Selon lui, l’opportunité de voyager avec le Président, au-delà de l’honneur, donne l’occasion au patronat de soumettre des questions à l’arbitrage du président de la République. ‘’Et à chaque fois, il n’hésite pas de trancher en faveur du secteur privé. C’est un Président qui croit en son secteur privé et qui est prêt à l’accompagner’’, témoigne-t-il.

Entretenir la vache laitière

Parmi ces questions soumises à l’arbitrage du président de la République, doit figurer celle de la fiscalité. Selon le président directeur général de Ccbm, la fiscalité est ‘’très difficile’’ pour les entreprises. Toutefois, même s’il dit comprendre l’État qui est toujours dans le besoin, il lui rappelle ce dicton asiatique : ‘’La vache qui te donne du lait, il faut l’entretenir’’. Serigne Mboup appelle ainsi l’Etat à entretenir les entreprises parce que ce n’est pas la pression fiscale qui permettra à l’État d’avoir de l’argent.
Cheikh Amidou Kane
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