REDUCTION DU MANDAT, SAISINE DES CINQ SAGES,...Le Pr Pape Demba Sy clarifie le jeu

Rédigé par Dakarposte le Lundi 13 Juillet 2015 à 18:01 modifié le Lundi 13 Juillet 2015 18:15

Le Conseil constitutionnel ne peut pas aller à l’encontre de l’engagement de Macky Sall pour le quinquennat, pour la simple raison qu’«il n’y a pas d’impossibilité juridique pour réduire le mandat». Et que «Ceux qui veulent du bien à Macky Sall, ne peuvent pas lui proposer de revenir sur sa promesse». Voilà l’un des grands enseignements du Pr Pape Demba Sy, spécialiste en droit constitutionnel, dans cet entretien, à bâtons rompus avec Sud Quotidien dont nous publions un premier volet.
Revenant, par ailleurs, sur les grandes questions de l’heure, l’éminent constitutionnaliste clarifie le débat, entre autres, sur la proposition de loi portant modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale dont l’objectif «est d’affaiblir considérablement l’opposition», et sur laquelle «le Conseil constitutionnel va se prononcer…parce que ça fait partie de ses prérogatives».


Quelle appréciation faites-vous de la proposition de loi modifiant le règlement intérieur de l’Assemblée nationale ? Est-ce une réforme consolidante ou l’indice d’un recul démocratique ?
 
Au-delà des questions simplement techniques, essayons de voir, au fond, pourquoi la modification de ce règlement intérieur et pourquoi maintenant ? Ces questions me paraissent importantes pour bien comprendre ce qui se passe. Les députés se sont levés, un bon jour, pour dire qu’on va modifier le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. La première chose à relever, c’est que depuis l’Alternance, on avait toujours demandé à ce qu’on modifie le règlement intérieur pour permettre au président de l’Assemblée de faire cinq ans. Mais, ils ont toujours refusé. Ils ont attendu à ce qu’un de leurs alliés (Moustapha Niasse, Ndlr) occupe le perchoir pour s’engager dans cette direction. Il faut comprendre qu’il s’agit là de calculs politiques. Ils ne souhaitaient pas le faire à l’époque parce que le cas échéant, ils ne pourront plus rien contre lui pendant cinq ans, sauf à venir modifier encore le texte comme on a eu à le faire quand l’actuel président de la République était en poste et avant lui, d’ailleurs, Daouda Sow, du temps du Président Abdou Diouf.
La deuxième chose, c’est qu’il y a des problèmes aussi bien entre les alliés de Bennoo Bokk Yaakaar (Bby), ensuite entre Bby et l’opposition. Ce que veut le pouvoir, c’est affaiblir considérablement l’opposition. 
 
L’autre raisonnement consiste à neutraliser les alliés, les empêcher de nuire. D’autres outils vont être utilisés par la suite au niveau de l’Assemblée. C’est essentiellement ce qu’ils ont voulu faire avec cette proposition de modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale disant maintenant qu’on passe de dix députés au dixième de l’effectif de l’Assemblée, pour composer un groupe parlementaire.   
 
Peut-on, politiquement, reprocher à l’APR de vouloir neutraliser ses alliés et l’opposition ?
 
C’est vrai qu’on ne peut rien reprocher à  ceux qui sont sur le terrain politique. Mais, je crois qu’il faut aussi qu’on comprenne que lorsque l’on veut construire une démocratie, il faut que l’on respecte un certain nombre de règles. C’est-à-dire que, dans la politique, il y a ce qu’on appelle la vertu. Si les hommes politiques n’ont pas de vertu, cela va conduire à la catastrophe. Vous avez vu ce qui s’est passé avec les Président Wade. C’est le manque de vertu politique qui a conduit les populations à se réapproprier leur propre pouvoir. Je crois que, de ce point de vue, on ne devait pas laisser les hommes politiques faire ce qu’ils veulent. Ils peuvent avoir, bien sûr, leur propre stratégie tactique visant à se maintenir au pouvoir mais, il faut le faire, dans l’élégance républicaine. 
 
Dans le fond, il faut aussi comprendre que ce sont des questions conjoncturelles qui justifient tout cela, parce que ce sont des choix. On aurait pu choisir de dire que le nombre requis pour la constitution d’un groupe parlementaire est seulement de cinq députés, contrairement au dix ou encore autre chose. Ce sont des questions de choix. Il faut qu’on le comprenne très bien. En 2000, l’opposition était très faible. Mais, pour lui donner sa chance et pacifier l’espace, on a dit qu’il faut tenir compte de la réalité de l’Assemblée à l’époque. On a donc modifié le règlement intérieur de l’Assemblée pour dire que dix députés suffisent, parce qu’aucun parti ne pouvait avoir le dixième de l’Assemblée à l’époque, sinon on risquait d’avoir un seul groupe parlementaire. Donc, ce sont des raisons conjoncturelles qui ont expliqué cette modification.
Aujourd’hui aussi, ce sont des raisons conjoncturelles qui expliquent pourquoi on veut revenir sur ce que j’essayais d’expliquer tout à l’heure. A mon avis, c’est cela qui est mauvais. Il faudrait qu’on puisse arriver à ce que ces questions puissent être réglées une bonne fois pour toutes. Qu’il ait aussi un consensus général sur les institutions et de façon durable. Parce qu’on ne peut pas revenir chaque fois sur ces questions-là. 
 
Je peux comprendre, en 2001 que l’on change les règles seulement pour régler la question, mais, en cours de législature ou même à la fin de la législature, il aurait fallu revenir, n’est-ce pas, tout de suite, à la norme qui a été toujours respecté.
 
Mais aujourd’hui, on vise à combattre des personnes. C’est en ce sens que certains considèrent qu’il y a un recul de la démocratie parce qu’on vise à combattre des personnes non pas de façon loyale, mais en usant des institutions et d’une majorité parlementaire. Je crois que c’est cela qui pose problème. On l’aurait fait dans une situation où il n’y avait pas une situation plus pacifiée ( disons les gens n’avaient pas les yeux rivés sur l’élection présidentielle), cela n’aurait pas posé de problème particulier. Mais, qu’on le fasse à ce moment précis (Présidentielle et Législatives en 2017, Ndlr), cela explique toute cette levée de boucliers parce qu’on se rend compte que la démarche vise seulement à combattre des personnes. 
 
À mon avis, on doit éviter d’utiliser les institutions pour régler des problèmes politiques en démocratie sinon, on les fragilise et on les banalise. Et si personne ne  croit à ces institutions, ce sont, alors, d’autres voies qui vont être utilisées comme ce fut le cas, le 23 et le 27 juin 2011. 
 
Ces pratiques sont à éviter si on veut consolider notre démocratie qui n’est rien d’autre que l’acceptation des règles générales du jeu.
 
Quelle analyse faites-vous de la saisine du Conseil constitutionnel par dix-neuf députés pour invalider la proposition de loi en question?  
 
Il y a d’abord, bien sûr, une question politique. Ensuite, il y a la question technique. La question politique, c’est que ces députés veulent prolonger le combat politique au niveau judiciaire. Ce qui n’est pas nouveau au Sénégal. On a toujours transféré un combat qu’on n’a pas gagné sur le terrain politique au niveau judicaire. Les textes le permettent. Mais, ce qu’il faut maintenant retenir dans cette affaire, c’est qu’il y a eu des erreurs qui ont été commises de part et d’autre. 
La première erreur, c’est que beaucoup de membres de l’opposition n’étaient pas présents lors du vote. Ensuite, lors du vote, ils n’ont pas été vigilants et de l’autre côté, les gens se sont trompés royalement. 
 
Je ne comprends même pas, pourquoi cela est arrivé parce que même s’il y’a des procurations, il faut pouvoir, en ce moment-là, le préciser et le spécifier de façon très claire. En répertoriant notamment, les présents, les absents et les procurations pour ensuite faire, à partir de là, l’addition. Or, il y avait des personnes qui étaient absentes et qui n’avaient pas donné de procuration. Ce qui pose de problème.
 
Certains disent même que le décompte de ceux qui ont voté contre n’était pas juste. Personnellement, je ne peux pas comprendre cela. Qu’on puisse, dans une Assemblée comme celle-là, se tromper, à mon avis, c’est ridicule. Et ça l’est vraiment et il faudrait que les gens soient un peu plus rigoureux dans ce qu’ils font. 
 
Par ailleurs, le règlement intérieur prévoit que les contestations de vote se fassent immédiatement devant l’Assemblée. Ce qui n’a pas été fait non plus. En tout cas, pas de façon formelle. Il ne s’agit pas de protester, il faut demander la parole, invoquer le règlement intérieur et dire qu’il y a des erreurs au niveau du décompte des votes et ensuite, on fait un nouveau décompte ou on reprend le vote. Je crois que c’est cela qu’on aurait dû faire. 
 
Seulement, l’opposition ne se situe plus sur le terrain simplement formel, mais elle dit qu’il y a violation de la Constitution. C’est ça le recours : violation de la Constitution. Les députés de l’opposition profitent d’un mauvais décompte des votes pour dire qu’il y a violation de la Constitution, en indiquant aussi qu’il y a violation de la liberté d’association. Je n’ai pas lu le recours, mais j’ai entendu certains d’entre eux parler et, ce que j’ai compris est qu’ils disent qu’en décidant qu’un député qui quitte son groupe parlementaire ne peut plus adhérer à un autre, on viole la liberté du député, on viole une liberté fondamentale à la Constitution qu’est la liberté d’association. Donc, ils déplacent la question au fond. Il appartiendra bien sûr aux juges de se prononcer sur la question.
 
Maintenant, il y a un débat, à mon avis, qui est inutile sur cette question du règlement intérieur de l’Assemblée. Dans tous les cas, le Conseil constitutionnel va se prononcer sur le règlement intérieur de l’Assemblée parce que ça fait partie de ses prérogatives. Que ce soit, une loi ordinaire ou une loi organique, peu importe, parce que le règlement intérieur complète la Constitution. 
 
Par conséquent, on ne peut pas laisser que des violations de la Constitution continuent à perdurer. C’est pourquoi, on permet à ce que le Conseil constitutionnel puisse se prononcer. 
 
Il faut aussi reconnaitre qu’il y a eu beaucoup de dévolus sur cette question de l’Assemblée au point que le Conseil constitutionnel refusait, à un moment de se prononcer. Il n’y a pas une jurisprudence constante là-dessus mais, on verra ce que le juge va faire. En tout cas, le recours devrait être déclaré recevable maintenant, on va voir si, au fond, le juge va se prononcer.
 
Pour la réduction de son mandat, le Président Macky Sall avait d’abord choisi la voie référendaire avant de faire évoluer sa position, en déclarant qu’il laissait la question de la procédure aux juristes. Et récemment encore, dans le Figaro, il a confié sa volonté de saisir les 5 Sages. Que pensez-vous de la démarche ? 
 
D’abord, au plan de l’appréciation générale, je crois qu’il y a des problèmes de communication au niveau du président de la République. Il ne communique pas très bien sur cette question. Lorsqu’on change ou qu’on infléchit sa position sur ces questions-là, c’est créer un trouble. Or, vous savez mieux que moi, vous êtes des professionnels des médias, qu’il y a un lien entre l’émetteur et le récepteur (rires) Donc, s’il y a un brouillage, tout de suite, le message ne passe pas. Ce qui s’est passé, c’est qu’il y a un brouillage du fait de l’infléchissement de la communication.
 
A mon avis, il aurait dû rester dans sa première  communication : «je vais réduire mon mandat et je vais passer par un référendum». Et il s’arrête là. Parce que, en réalité, ce qui s’est passé, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui interviennent sur des questions techniques alors qu’ils ne sont pas des experts. 
 
D’abord, tous les juristes, je dis bien tous les juristes, ne sont pas des constitutionnalistes. Tous les juristes de droit public ne sont pas des constitutionnalistes. Il faut qu’on se comprenne. Ensuite, le droit constitutionnel a changé considérablement (il insiste). Il est devenu un droit non plus institutionnel ou politique, mais un droit substantiel. 
Et ce droit ne peut plus être compris qu’à partir des positions du juge. Et ça, c’est valable dans tous les pays du monde, je ne parle pas seulement du Sénégal. 
 
Donc, on ne peut pas se lever et faire des raisonnements abstraits. On ne peut faire des raisonnements qu’à partir de l’aspect substantiel du droit constitutionnel et c’est ça qui fait que beaucoup de gens interviennent. J’ai entendu des gens dire : il faut que le Président démissionne (rires). Ça n’a aucun sens. S’il dit : «je veux réduire mon mandat et j’en appelle au peuple», tout le monde sait que le peuple est souverain et notre propre Conseil constitutionnel a eu à le dire. Il est même dit qu’en modifiant le règlement intérieur, l’Assemblée nationale est souveraine à plus fort raison le peuple. Alors, le peuple souverain qui a voté la Constitution, élu le président de la République, peut bien modifier la Constitution et décider aussi de l’appliquer au président. 
 
Donc, la question de non-rétroactivité soulevée aussi me fait rire. Je ne comprends pas, ils ne lisent même pas ce que dit le juge. La rétroactivité, ce n’est pas un principe constitutionnel sauf, en matière pénale. Si, on est au niveau constitutionnel, ce que le peuple constituant peut faire, il peut le défaire. 
 
De ce point de vue, il n’y a vraiment pas de problème particulier, le peuple a la possibilité de réduire le mandat et de l’appliquer au président en cours de mandat, parce que c’est le peuple qui est souverain. De ce point de vue-là, je ne vois pas pourquoi il y a un débat sur la question.  
 
D’autres disent : il faut aller à l’Assemblée nationale, parce qu’on avait modifié la Constitution en 2008 et on l’avait fait à l’Assemblée. Je dis : «Oui» ; mais, c’était une violation de la Constitution. J’ai même dit dans une télévision de la place, à l’époque, que c’est une fraude à la Constitution. En réalité, on a utilisé une procédure qui n’est pas la bonne pour modifier la Constitution. Ça, je l’appelle la fraude à la Constitution.
 
En réalité, ce que dit l’article est clair. Malheureusement, comme je l’ai dit, tout le monde n’est pas juriste, tout le monde n’est pas constitutionnaliste, il y a eu des problèmes d’interprétation. Alors que l’interprétation de la Constitution est une science, ce n’est pas de l’à- peu-près.
 
Quelle procédure adopter lorsque vous voulez réviser ou interpréter la Constitution, surtout cet article 27 qui dit  que «le mandat du Président est de cinq ans. Il ne peut être renouvelé qu’une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par voie référendaire» ?
 
Ce sont là trois phrases. Regardez la Constitution : les deux premières phrases sont au même niveau et la deuxième phrase, (rire), c’est un autre alinéa. Vous pensez que la Constitution est écrite comme ça. Il y a les deux dispositions qui vont ensemble. Mais ensuite, si le constituant voulait vraiment ne retenir en compte que l’aspect renouvelable, il aurait dit : «le mandat est de cinq ans». Il va à la ligne et dit : «il ne peut être renouvelé qu’une fois». Ensuite, «cette disposition ne peut-être révisée que par voie référendaire». 
 
En ce moment-là, c’est clair, il y a que cette disposition qui est concernée.
Maintenant, du point de vue grammaticale, les gens ne comprennent pas ce que c’est une disposition et ce qu’est une norme. La disposition, c’est tout simplement le support textuel. La norme, c’est vraiment la règle de conduite qui s’applique. Cette règle de conduite doit être déduite de la disposition qui n’est la norme. 
Lorsqu’on dit : le Président doit être élu pour une durée de cinq ans, il y a une première norme qui est là dedans : c’est la règle de conduite, c’est qu’un Président ne peut pas dépasser les cinq ans.
 
La deuxième chose, on dit : ce mandat n’est renouvelable qu’une seule fois et si vous regardez toute cette disposition, elle concerne le mandat. Autrement dit, les deux phrases constituent en réalité une disposition et non pas deux (Éclats de rire). La première, c’est de dire que le mandat est de cinq ans et l’autre, que ce mandat ne peut être renouvelable qu’une seule fois. 
 
Mais cette disposition ne concerne que le mandat. C’est ça tout simplement qu’il fallait dire pour que les gens comprennent qu’on ne peut pas modifier cela. Mais, à l’époque, le Président Wade avait voulu modifier cette disposition sans aller au référendum pour nous imposer le septennat. Il l’a imposé parce que les députés l’avaient suivi et c’était tout à fait normal parce qu’on est sur le terrain politique. 
 
A mon avis, ce serait une mauvaise chose qu’on invoque une violation de la Constitution pour venir violer encore cette Constitution. Cela donnerait un très mauvais signal pour le président de la République. C’est pourquoi, j’ai toujours considéré qu’il n’y avait pas vraiment lieu de débattre sur ce sujet. Il faut aller tout simplement au référendum. Et le Président est lui-même convaincu qu’il faut aller au référendum. 
 
Et pour ce qui concerne la saisine des Cinq sages ?
 
Maintenant, le Président dit qu’il va saisir le Conseil constitutionnel, je crois qu’il faut distinguer deux choses dans cette affaire-là. Il peut demander un avis préalable au Conseil constitutionnel, comme il peut demander un avis, quant à la procédure de réforme. L’avis préalable, ce n’est pas obligatoire. Aucun texte ne le prévoit, mais le Président peut le faire. D’ailleurs, le Président Wade l’avait utilisé en 2000, en demandant au Conseil constitutionnel s’il pouvait utiliser l’article 46 de la Constitution pour avoir une nouvelle Constitution. Parce que l’article 46 disait : «on peut soumettre au référendum tout projet de loi» et le Conseil constitutionnel avait dit que tout projet de loi incluait aussi bien les projets de lois organiques que les projets de lois ordinaires. Alors qu’en réalité, l’esprit de la Constitution se situe surtout sur les lois ordinaires qui étaient visées, mais le Conseil l’avait interprété comme ça et Wade a pu avoir «sa» nouvelle Constitution (rires). 
 
Maintenant, la nouvelle Constitution dit : «tout projet de loi constitutionnel et tout projet de loi». Donc, il y a les deux aspects. Cela veut dire, de ce point de vue-là, qu’il n’y a plus de problème particulier, on peut le faire.
 
Le Président peut demander au Conseil les modalités et d’après ce que j’ai lu, venant du professeur Ismaïla Madior Fall, ce qu’on demande au Conseil, ce n’est pas de se prononcer sur le mandat de cinq ans ou de sept ans. Mais, c’est de savoir quelle est la meilleure procédure pour réformer la Constitution. Si, ce n’est que cela, je pèse bien mes mots, je dis qu’il n’y a vraiment pas de quoi fouetter un chat. Parce que là, le Conseil constitutionnel ne pourra pas dire que «vous ne pourrez pas réduire votre mandat à cinq ans, mais seulement vous pouvez passer par le référendum ou par cela». 
Et même pour le référendum, il y a deux voies : vous pouvez utiliser la voie normale qui est de dire « nous passons par le parlement et lorsque le parlement aura adopté, on va approuver par référendum ». Ça, c’est une première voie qui est prévue à l’article 104 de la Constitution qui porte sur la révision. Et maintenant, l’article 51 qui dit : «tout projet de loi constitutionnel peut être soumis au référendum». En ce moment-là, on peut aussi utiliser cette voie. Là, on ne passe pas par le parlement, mais on va directement solliciter l’avis du peuple. Donc, le Conseil peut lui donner des éléments d’appréciations techniques sur cette question-là. 
 
Je le suppose mais, franchement revenir sur le mandat, le Conseil ne peut pas le faire parce que c’est une décision politique. Ce n’est pas une décision technique et il n’y a pas d’impossibilité juridique pour réduire le mandat. 
 
En reprenant les propos d’Ismaïla Madior Fall, vous semblez sous-entendre des non-dits. Vous avez même insisté en répétant «si c’est seulement cela» ? Qu’est-ce à dire ?  
 
C’est fort possible qu’il y ait des non-dits. En réalité, je l’ai dit tout à l’heure, le Président Sall a pu être ébranlé par un certain nombre de gens qui lui ont dit qu’il faut aller au parlement et que le référendum, ça coûte cher etc. Il veut tout simplement avoir une garantie, une caution sur le plan juridique pour cela. C’est ce que je crois, moi. Mais, ce que je vais ajouter, je ne peux pas imaginer qu’il en profite pour revenir sur sa promesse. Je l’ai dit un peu partout, ceux qui veulent du bien à Macky Sall, ne peuvent pas lui proposer de revenir sur sa promesse. Je crois que ceux qui le font, en réalité, font des choses contre lui-même si c’est inconscient. 
 
Et si le Conseil constitutionnel disait à Macky Sall que c’est anticonstitutionnel de toucher à son mandat ?
 
C’est techniquement impossible. Il ne peut pas le dire. Parce que, comme je le dis, on prévoit des modalités de révision de la Constitution. Donc, on ne peut pas empêcher au peuple de réviser la Constitution. Le Conseil constitutionnel lui-même dit que l’Assemblée, se prononçant en matière constitutionnelle, est souveraine, qu’elle peut modifier une Constitution, qu’elle peut ajouter des éléments qu’elle peut adapter. Si l’Assemblée déjà, peut tout faire, à plus forte raison le peuple. Donc techniquement, le Conseil ne peut pas dire qu’il ne peut pas modifier son mandat. Mais, il peut lui dire comment il peut modifier son mandat. Le problème de rétroactivité ne peut pas s’opposer à lui.
 
D’aucuns évoquent aussi le serment du président de la République pour dire qu’il violerait la Constitution s’il venait à réduire son mandat ? 
 
Est-ce que respecter la Constitution signifie ne pas la modifier ? Je crois que les gens font souvent des confusions énormes. Une Constitution, comme disait l’autre, n’est pas un texte fait pour l’éternité, il faut la modifier, mais il ne faut pas simplement en abuser. Il faut la modifier si c’est nécessaire. Il a pris un engagement politique et, à mon avis, le Conseil constitutionnel doit l’aider à respecter son engagement politique. Parce que s’il ne le respectait pas, il risque d’avoir beaucoup de difficultés. Il risque de ne plus être crédible, de ne plus être respecté dans ce pays, malgré tout ce que les gens disent par rapport à cela. On peut comprendre que les personnes soient intéressées par leur conservation ou leur maintien le plus longtemps possible au pouvoir, de faire tout pour demander au Président de ne pas respecter son engagement, mais lui, personnellement, s’il le fait pas, il risque d’avoir des problèmes. 
 
Et s’il le faisait, ce sera bon pour lui, mais aussi bon pour le pays. Parce que du point de vue de la démocratie et la vertu politique en général, voilà quelqu’un qui dit : on m’a élu pour 7 ans, mais pour respecter un consensus généralisé, fondé sur les conclusions des Assises nationales, j’accepte de réduire mon mandat à 5 ans. 
 
Au plan international, ça va faire un très grand retentissement quelle que soit la situation. Et comme j’ai l’habitude de le dire, il reste dans l’histoire. On se souviendra toujours qu’il y a eu au Sénégal, un Président qui, pour la première fois dans le monde, a été élu pour 7 ans et a réduit son mandat. Et s’il ne le fait pas, il revient à la banalité et à l’homme politique qui ne tient pas ses promesses. 
 
C’est ça l’enjeu personnel pour le Président. Et c’est pourquoi il devrait réfléchir davantage là-dessus. Maintenant, le fait de dire je vais saisir le Conseil constitutionnel crée une situation de trouble dans l’esprit des populations et c’est encore une fois un problème de communication. Je comprends pourquoi tout le monde se pose des questions de savoir s’il va respecter ou non sa parole alors qu’il aurait pu éviter cela. Parce que le texte constitutionnel lui permet, lorsqu’il décide de soumettre un texte au référendum, de saisir le Conseil constitutionnel. Mais ça, c’est lorsqu’il décide de faire un référendum. Et pour le moment, il n’y a pas encore de texte. C’est pourquoi j’ai dit qu’il y a l’avis préalable mais aussi l’avis qui rentre dans le cadre de la procédure normale. Dans ce dernier cas, l’article 51 dit que «qui demande l’avis du Conseil constitutionnel sur le projet de révision de la Constitution doit envoyer un texte bien ficelé». 
 
Et d’après ce que j’ai compris, ce texte ne sera pas seulement limité au mandat, mais ce sera plus général. Ça va concerner les réformes acceptées par le président de la République à partir du rapport de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (Cnri). Je n’imagine pas qu’on demande au peuple ce qu’il pense seulement sur le mandat, mais il faut en profiter pour réformer les institutions et la Constitution. J’ai même appris qu’on va créer un Haut conseil des collectivités locales. Faisons un package, mettons tout cela ensemble, d’autant plus que ce Conseil est même proposé dans le rapport de la Cnri.

Sud Quotidien
Mamadou Ndiaye
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