L'ambassadeur de Russie en Turquie, Andrei Karlov, a été assassiné ce lundi 19 décembre 2016. Son meurtrier, Mevlut Mert Aydintas, était un policier de la brigade anti-émeutes d'Ankara de 22 ans. La cause de son geste, il l'a exprimé lui-même: Alep. Après avoir abattu l'ambassadeur, il s'est d'abord exprimé en turc, appelant à ne pas oublier la Syrie, et en affirmant que les responsables des cruautés ayant eu lieu à Alep "pairaient le prix" de leurs actions. Puis il a dit, cette fois en arabe "nous sommes les descendants de ceux qui soutiennent le Prophète Muhammad, pour le djihad". Il aurait aussi répété la phrase attribuée à Ben Laden: "vous ne serez pas en sécurité même dans vos rêves tant que nous ne serons pas en sécurité en réalité dans nos pays".
Au-delà de la réaction violente d'un homme face au drame syrien, on retrouve dans ce discours un influence djihadiste claire. Mais Mevlut Mert Aydintas a-t-il agi seul? Difficile à dire. Selon les sources ouvertes à disposition et les déclarations officielles turques, il n'est jamais allé en Syrie, et n'a pas été en contact avec des groupes djihadistes dans ce pays. Selon Ankara, il est possible qu'Aydintas ait été affilié au mouvement Gülen, très présent dans les forces de police, selon le pouvoir turc, jusqu'à récemment. Bien sûr, même si c'est une possibilité, on sait que le président Erdoğan est en guerre contre ce mouvement, qu'il a accusé du coup d'Etat raté du 15 juillet dernier. Cette accusation, tout en étant possible, est donc très difficilement vérifiable. Elle pourrait plaire au Kremlin qui, depuis plusieurs années, a interdit ce mouvement sur le territoire russe, et a fermé ses écoles. Quoi qu'il en soit, djihadisme (loup solitaire ou faisant partie d'un groupe) ou Gülenisme, ce choc sécuritaire ne devrait pas créer de tensions entre Russie et Turquie. Au contraire, les deux pays pourraient avoir un sentiment de solidarité renforcé face à un ennemi commun.
Les premières informations venant de Russie confirment ce sentiment. Les discussions entre l'Iran, la Turquie et la Russie prévues à Moscou ce mardi 20 décembre 2016 ont été maintenues. Le Kremlin a fait clairement comprendre qu'il n'accusait pas le gouvernement turc de cette situation. Et les deux pays ont présenté ce meurtre précisément comme une tentative de déstabilisation de leur relation bilatérale, piège dans lequel ils refusaient de tomber.
En fait, si cette relation semble résister au choc de cet attentat, c'est parce qu'elle s'appuie sur des bases géopolitiques et économiques solides.
L'affaire ukrainienne a rendu le rapport russe à l'Europe et aux Etats-Unis extrêmement difficile. Le document présentant la vision de la politique étrangère russe, rendu public au début du mois de décembre, montre que, de Moscou, l'Amérique mais aussi l'Union Européenne sont vues comme des menaces. Quelques politiciens russes sont d'ailleurs allés jusqu'à accuser les Occidentaux d'être responsables de l'assassinat d'Ankara. On pense, par exemple, à Vladimir Zhirinovsky, Frantz Klintsevich, et, plus subtilement, Alexei Puchkov. Le deux derniers ont eu des responsabilités de premier plan sur les questions sécuritaires et diplomatiques au niveau parlementaire russe. Si l'Occident est quasi-officiellement vu comme un ennemi, le Kremlin ne peut pas se permettre d'avoir des inimitiés trop fortes ailleurs, surtout avec une puissance influente en Eurasie comme la Turquie.
Or le rejet anti-occidental se retrouve aussi à Ankara. On constate que des rumeurs, diffusées d'abord par des sites pro-russes, et présentant la CIA comme responsable du coup d'Etat raté du mois de juillet ont été largement repris par les médias turcs. Le président Erdoğan a apprécié le positionnement clair, en sa faveur, du Kremlin, lors du coup d'Etat manqué de juillet dernier. Et beaucoup moins l'attitude américaine et européenne, jugée bien faible contre les putschistes. Cela a renforcé un agacement de plus en plus fort à Ankara face à un Occident critiquant le gouvernement turc sur des questions de politiques intérieures, et sur sa politique régionale, notamment en Irak et face aux Kurdes de Syrie. Donc en Turquie comme en Russie, il y a le sentiment que l'Occident joue une partition dangereuse pour les intérêts nationaux des deux pays. Leurs différences sur le dossier syrien apparaissent comme secondaires en comparaison. En fait, la politique occidentale joue ici le même rôle que dans le couple sino-russe: c'est un tel repoussoir que cela permet une réconciliation entre ennemis historiques...
Enfin, les liens économiques renforcent cette relation géopolitique forte. La Russie est le deuxième partenaire commercial de la Turquie, après l'Allemagne. Le tourisme russe est extrêmement lucratif pour les Turcs. Et il y a aussi le projet de pipeline Turkish Stream, qui devrait amener le gaz russe vers l'Europe par la Turquie... plutôt que par l'Ukraine. Ce qui offre bien des avantages pour les deux pays.
Le fait que la relation russo-turque reste solide est plutôt une bonne nouvelle pour l'Eurasie, notamment d'un point de vue sécuritaire. Elle est nécessaire à une solution de compromis à terme en Syrie. Elle pourrait aussi permettre de lancer de réelles négociations entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie afin de trouver une paix de compromis dans le Haut-Karabagh. Les deux puissances sont aussi influentes en Afghanistan et en Asie Centrale: si elles travaillent ensemble elles peuvent aider à la stabilité de la région. Et l'amitié turque est précieuse pour la Russie si elle veut combattre efficacement le séparatisme et le djihadisme dans le Caucase du Nord.
Bien sûr, le problème de cette relation, pour Paris comme pour l'UE en général, c'est qu'elle se bâtit en partie sur un sentiment anti-occidental. La France en particulier a réussi le tour de force, ces dix dernières années, sous Sarkozy et Hollande, de se mettre à dos la Russie et la Turquie. Face à ces deux puissances régionales continuant à s'entendre, cela risque de nous rendre inaudibles en Eurasie. Le prochain président français devra faire des efforts diplomatiques importants pour changer cela.
Au-delà de la réaction violente d'un homme face au drame syrien, on retrouve dans ce discours un influence djihadiste claire. Mais Mevlut Mert Aydintas a-t-il agi seul? Difficile à dire. Selon les sources ouvertes à disposition et les déclarations officielles turques, il n'est jamais allé en Syrie, et n'a pas été en contact avec des groupes djihadistes dans ce pays. Selon Ankara, il est possible qu'Aydintas ait été affilié au mouvement Gülen, très présent dans les forces de police, selon le pouvoir turc, jusqu'à récemment. Bien sûr, même si c'est une possibilité, on sait que le président Erdoğan est en guerre contre ce mouvement, qu'il a accusé du coup d'Etat raté du 15 juillet dernier. Cette accusation, tout en étant possible, est donc très difficilement vérifiable. Elle pourrait plaire au Kremlin qui, depuis plusieurs années, a interdit ce mouvement sur le territoire russe, et a fermé ses écoles. Quoi qu'il en soit, djihadisme (loup solitaire ou faisant partie d'un groupe) ou Gülenisme, ce choc sécuritaire ne devrait pas créer de tensions entre Russie et Turquie. Au contraire, les deux pays pourraient avoir un sentiment de solidarité renforcé face à un ennemi commun.
Les premières informations venant de Russie confirment ce sentiment. Les discussions entre l'Iran, la Turquie et la Russie prévues à Moscou ce mardi 20 décembre 2016 ont été maintenues. Le Kremlin a fait clairement comprendre qu'il n'accusait pas le gouvernement turc de cette situation. Et les deux pays ont présenté ce meurtre précisément comme une tentative de déstabilisation de leur relation bilatérale, piège dans lequel ils refusaient de tomber.
En fait, si cette relation semble résister au choc de cet attentat, c'est parce qu'elle s'appuie sur des bases géopolitiques et économiques solides.
L'affaire ukrainienne a rendu le rapport russe à l'Europe et aux Etats-Unis extrêmement difficile. Le document présentant la vision de la politique étrangère russe, rendu public au début du mois de décembre, montre que, de Moscou, l'Amérique mais aussi l'Union Européenne sont vues comme des menaces. Quelques politiciens russes sont d'ailleurs allés jusqu'à accuser les Occidentaux d'être responsables de l'assassinat d'Ankara. On pense, par exemple, à Vladimir Zhirinovsky, Frantz Klintsevich, et, plus subtilement, Alexei Puchkov. Le deux derniers ont eu des responsabilités de premier plan sur les questions sécuritaires et diplomatiques au niveau parlementaire russe. Si l'Occident est quasi-officiellement vu comme un ennemi, le Kremlin ne peut pas se permettre d'avoir des inimitiés trop fortes ailleurs, surtout avec une puissance influente en Eurasie comme la Turquie.
Or le rejet anti-occidental se retrouve aussi à Ankara. On constate que des rumeurs, diffusées d'abord par des sites pro-russes, et présentant la CIA comme responsable du coup d'Etat raté du mois de juillet ont été largement repris par les médias turcs. Le président Erdoğan a apprécié le positionnement clair, en sa faveur, du Kremlin, lors du coup d'Etat manqué de juillet dernier. Et beaucoup moins l'attitude américaine et européenne, jugée bien faible contre les putschistes. Cela a renforcé un agacement de plus en plus fort à Ankara face à un Occident critiquant le gouvernement turc sur des questions de politiques intérieures, et sur sa politique régionale, notamment en Irak et face aux Kurdes de Syrie. Donc en Turquie comme en Russie, il y a le sentiment que l'Occident joue une partition dangereuse pour les intérêts nationaux des deux pays. Leurs différences sur le dossier syrien apparaissent comme secondaires en comparaison. En fait, la politique occidentale joue ici le même rôle que dans le couple sino-russe: c'est un tel repoussoir que cela permet une réconciliation entre ennemis historiques...
Enfin, les liens économiques renforcent cette relation géopolitique forte. La Russie est le deuxième partenaire commercial de la Turquie, après l'Allemagne. Le tourisme russe est extrêmement lucratif pour les Turcs. Et il y a aussi le projet de pipeline Turkish Stream, qui devrait amener le gaz russe vers l'Europe par la Turquie... plutôt que par l'Ukraine. Ce qui offre bien des avantages pour les deux pays.
Le fait que la relation russo-turque reste solide est plutôt une bonne nouvelle pour l'Eurasie, notamment d'un point de vue sécuritaire. Elle est nécessaire à une solution de compromis à terme en Syrie. Elle pourrait aussi permettre de lancer de réelles négociations entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie afin de trouver une paix de compromis dans le Haut-Karabagh. Les deux puissances sont aussi influentes en Afghanistan et en Asie Centrale: si elles travaillent ensemble elles peuvent aider à la stabilité de la région. Et l'amitié turque est précieuse pour la Russie si elle veut combattre efficacement le séparatisme et le djihadisme dans le Caucase du Nord.
Bien sûr, le problème de cette relation, pour Paris comme pour l'UE en général, c'est qu'elle se bâtit en partie sur un sentiment anti-occidental. La France en particulier a réussi le tour de force, ces dix dernières années, sous Sarkozy et Hollande, de se mettre à dos la Russie et la Turquie. Face à ces deux puissances régionales continuant à s'entendre, cela risque de nous rendre inaudibles en Eurasie. Le prochain président français devra faire des efforts diplomatiques importants pour changer cela.