Alors qu’un coup d’État a eu lieu dans le pays où le plus de soldats français sont déployés à l’étranger, la question de l’avenir des relations entre la France et le Mali est posée. Les experts sur place analysent pour Sputnik le sort de celles-ci après le renversement d’IBK.
En Afrique de l’Ouest, un coup d’État n’est rien de nouveau. Mais celui qui a eu lieu ce 18 août au Mali et qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) pourrait avoir des implications qui dépassent largement le cadre de ce seul État. En particulier pour la France qui y est enlisée jusqu’au cou.
Pourtant Paris, qui a d’énormes moyens militaires et de renseignement sur place, n’a rien vu venir. C’est ce qu’affirme le sociologue Bréma Ely Dicko, enseignant-chercheur à l'université des Lettres et Sciences humaines de Bamako, contacté par Sputnik France:
«La France a été prise de cours par la rapidité des événements. Elle était certainement alertée du fait que quelque chose pouvait se produire au vu de la capacité du Mouvement du 5 juin à mobiliser et des idées que cela pouvait donner à certains militaires. Mais elle a été dépassée par la chronologie.»
C’est d’ailleurs ce que Paris a reconnu officiellement. Une information difficilement vérifiable. Contacté par Sputnik France, Séga Diarrah, politologue malien et président du mouvement Bi-Ton (mouvement de jeunes constitué de plusieurs associations), s’interroge tout de même sur la facilité déconcertante avec laquelle se sont déroulés les événements, malgré les moyens déployés par la France dans le pays.
La France mal renseignée au Mali?
Le sociologue Bréma Ely Dicko, lui, n’est pourtant pas surpris que les militaires, voire la société civile malienne, puissent organiser un coup d’État sans que cela n’arrive aux oreilles du renseignement français:
«Les Maliens, de façon générale, connaissent le rapport entre la France et les chefs d’État francophones en Afrique, le Président IBK en particulier. Ils savent le soutien que peut apporter Paris à un gouvernement légitime donc ils ont la capacité, avec leurs réseaux, de verrouiller l’information. Comme on dit au Mali: ‘Tout le monde connaît tout le monde.’»
La France ferait pourtant bien de se tenir assidûment informée de l’évolution de la situation car son engagement, à grand renfort de millions d’euros de matériel et de vies humaines, peut vite être remis en cause si la transition politique ne va pas dans un sens souhaitable pour Paris.
Sentiment antifrançais
Il convient d’ailleurs de rappeler dans ce contexte qu’au Mali, le sentiment à l’égard de sa présence est, avec différents niveaux d’intensité, mitigé au sein de la population. Parmi les classes dirigeantes, les choses sont un peu plus claires, en particulier depuis le sommet de Pau, explique Bréma Ely Dicko:
«Concernant le sentiment antifrançais dans les élites politiques et militaires maliennes, c’est le sommet de Pau qui a remis les pendules à zéro. Les chefs d’État présents se sont accordés sur une plus grande coordination de Barkhane, du G5 Sahel et des armées nationales, et ce sentiment s’est dissipé.»
Ce qui n’était pas le cas auparavant, ajoute le professeur: «Ce sentiment venait surtout du fait que Barkhane, qui devait être une force supranationale, était surtout une force française dirigée, menée de bout en bout par Paris. Il n’y avait pas de connexion réelle avec les armées nationales.»
Maintien de l’Accord d’Alger
La dissipation de ce sentiment chez les élites dirigeantes maliennes est une analyse partagée par Séga Diarrah. Celui-ci souligne que les putschistes désormais au pouvoir ont, pour le moment, envoyé des signaux suggérant qu’ils souhaitaient poursuivre l’étroite collaboration entre les armées maliennes et françaises.
Le politologue en veut pour preuve la volonté des putschistes de ne pas mettre en péril les accords nationaux et internationaux signés avant le coup d’État. En effet, beaucoup craignaient qu’un gouvernement putschiste, de surcroît militaire, ne soit hostile aux traités signés les années précédentes dans un contexte de conflit régional.
En particulier concernant l’accord d’Alger, auquel la France tient. Ratifié en 2015 entre Bamako et des groupes rebelles du Nord, essentiellement touaregs, ce traité faisait l’objet de nombreuses contestations chez certains hauts gradés de l’armée malienne. Une information confirmée par les sources de Sputnik sur le terrain.
Quelques jours avant le putsch, l’ONU accusait d’ailleurs directement des hauts gradés de l’armée et du renseignement maliens de retarder son application. L’avenir confirmera la crédibilité de cet engagement en faveur de l’accord, mais sur les signaux extérieurs que renvoient les militaires putschistes, la France n’aurait pas trop à craindre de ce changement de pouvoir à Bamako. Pour le moment.