Au lundi 2 octobre 2023, 190 candidats à la candidature aux élections présidentielles de 2024 s’étaient déclarés. Six jours plus tard, la liste dépasse les 200 candidats….
Dans les médias, dans l’opinion publique et chez une certaine catégorie d’hommes politiques qui s’étaient attribué la légitimité d’être toujours les candidats à élire, cette pléthore de candidatures apparaissait selon eux comme une « insulte », « un manque de respect », « un manque de sérieux et de crédibilité », « une mauvaise image du Sénégal à l’étranger », « une démocratie sénégalaise régressive »…
Ces différentes positions sur la pléthore de candidatures expriment une double réalité qu'il faut analyser. D'une part, sur le plan symbolique, elles relaient un imaginaire social fécond (Castoriadis) sur le caractère élitiste de la démocratie électorale, théorisé depuis longtemps en sociologie politique (Pareto, Mosca, Aron, Roberto Michels…). L'élection présidentielle serait ainsi la rencontre entre des "grands hommes" qui se distinguent par des qualités exceptionnelles et un peuple désireux de se trouver un nouveau "Messi". Elle nourrit une croyance populaire forte au "leadership de recomposition" (Philippe Braud).
D'autre part, sur un plan matériel, les critiques sur la pléthore de candidatures se fondent sur l'exigence de la logistique électorale. Le vote, élément de matérialisation de l'élection, est avant tout un dispositif technique (isoloirs, encre, bulletins, administration…) et un enchaînement d'opérations (contrôle d'identité, vote, émargements…) inscrit dans le temps (durée légale du vote 10H) et dans l'espace (centres et bureaux de vote qui ne peuvent accueillir qu'un nombre limité de personnes). Ce sont là autant de contraintes techniques qui ne s'accommodent pas d'une pléthore de candidatures.
Néanmoins, dans une perspective heuristique et dans une approche néo-institutionnaliste (Surel, Palier, Guèye), cette multitude de candidatures traduit une vitalité et un signe de maturité de la démocratie sénégalaise.
Provenant du grec ancien « demos » qui signifie « peuple » et de « kratos » qui signifie pouvoir, il n’y a pas de régime aujourd’hui plus répandu que la démocratie. Cependant, de la Grèce antique à nos jours, la notion a connu bien des évolutions. Elle trouve son origine à Athènes sous le vocable de démocratie directe entre les années 600 et 400 avant Jésus Christ : l’assemblée de la ville réunissait les cinq à six mille citoyens quarante fois par an environ pour voter directement les lois, les déclarations de guerre et leur mobilisation, car l’armée athénienne était constituée de citoyens[1]. Les avantages de ce régime résidaient dans l’expression de la volonté des majorités puisque les décisions étaient prises et appliquées au sein du peuple, par le peuple et pour le peuple. Les représentants étaient tirés au sort et tous les citoyens avaient la chance d’être membres de l’Assemblée.
Cependant, si l’expérience d’Athènes s’entend comme un système de gouvernement direct, celui-ci n’est pourtant le fait que d’une minorité d’habitants, la Cité n’ayant jamais compté plus de 40 000 citoyens sur 400 000 résidents. (…). John Stuart Mill jugeait ainsi que « dans une communauté qui dépasse les bornes d’une petite ville, chacun ne peut participer personnellement qu’à une très petite portion des affaires publiques, le type idéal d’un gouvernement parfait ne peut être que le type représentatif » [2]. D’où l’émergence de la démocratie représentative.
Il est important de faire ce rappel historique aux hommes politiques, car leur représentativité n’est liée qu’aux contraintes pour les citoyens de se représenter eux-mêmes. La démocratie représentative est une démocratie par défaut liée aux difficultés logistiques de la démocratie directe.
Malheureusement, aujourd’hui, la représentation apparaît comme l’essence même de la démocratie dans les États-nations modernes et les hommes politiques qui n’ont de sens que dans une démocratie représentative ont tendance à voir la démocratie directe comme antidémocratique. Ils ont tendance à se représenter et à oublier que leur légitimité n’a de sens que si elle est portée par le peuple.
Le parrainage apparaît ainsi comme une manifestation de cette volonté populaire. Il faut rappeler que conformément aux dispositions du code électoral, les partis et coalitions de partis doivent recueillir un soutien suffisant du grand public pour passer l'étape du parrainage. C’est la loi constitutionnelle n°2018-14 du 11 mai 2018 portant révision de la Constitution qui a instauré le système de parrainage du candidat a? l’élection présidentielle par des électeurs. Pour être recevable, toute candidature doit être accompagnée de la signature d’électeurs représentant, au minimum 0,8% et, au maximum 1% du fichier électoral général. En outre, l’article 29 de la Constitution exige que ces électeurs soient domiciliés dans au moins sept régions, a? raison de 200 électeurs au moins par région.
Cependant, de fortes contestations nationale et régionale du système de parrainage ont conduit à son assouplissement. Les conclusions du dialogue politique organisé en août 2023 ont permis de revoir le seuil de 0,8 % à la baisse. Désormais les candidats doivent avoir le soutien de 0,6 % d’électeurs inscrits sur le fichier électoral, de treize députés ou de 120 maires et présidents de conseil départemental.
Au 31 juillet 2022, la taille du fichier électoral était de 7,036,466. En 2023, il faut au minimum 44,231 électeurs pour parrainer un candidat. Ainsi, si tous les électeurs participaient aux parrainages (sans les doublons), il serait possible d’avoir 159,08 candidats aux élections présidentielles. Heureusement, le filtre du parrainage aidant ainsi que les abstentions, ce nombre ne peut logiquement pas être atteint.
Qu’à cela ne tienne, la question n’est pas le nombre de candidats, mais la représentativité c’est-à-dire la prise en compte et le portage des préoccupations des Sénégalais par les candidats. Ainsi, plus il y a de candidats, plus la diversité des préoccupations des Sénégalais est prise en compte, et plus la démocratie sénégalaise se porte mieux. En outre, l’essence de la démocratie étant l’inclusion; de ce point de vue, on ne peut comprendre la demande qui consiste à exclure telle ou telle personnalité politique de la course à l’élection présidentielle de 25 février 2024.
Néanmoins, et là nous donnons raison aux critiques de cette pléthore de candidats, qui représente les 190 candidats ? Quels sont les niveaux de prise en compte et d’écoute des préoccupations des Sénégalais ? Que propose-t-il aux électeurs pour solliciter leurs parrainages ? Qui sont-ils ? Quels sont leurs projets de société ? Comment pensent-ils résoudre les problèmes auxquels les Sénégalais sont confrontés ? C’est là où est le vrai débat et c’est là où la pléthore de candidats à la candidature aurait un sens au regard de la démocratie sénégalaise.
Paradoxalement, cette volonté de « rationaliser » les candidatures a eu « l’effet pervers » d’accentuer de manière exponentielle le nombre de candidats à la candidature. D’ailleurs, cette situation justifie le questionnement sur l’impact de ce système dans la démocratie sénégalaise. En effet, que nous renseigne cette multiplicité de candidature sur l’état de la démocratie sénégalaise ? Révèle-t-elle une vitalité démocratique ? Ou traduit-elle un multipartisme de façade ? Cette pluralité de candidatures reflète-t-elle la configuration sociologique du pays en termes de clivages ? Mieux, cette volonté de filtrer les candidatures avec l’institution d’un parrainage citoyen est-il conforme à l’esprit démocratique ?
Les universitaires que nous sommes avons cette responsabilité sociétale aux yeux du peuple de l’aider à choisir et à bien choisir…
C’est dans ce cadre qu’un colloque est prévu en novembre à l’Université Gaston Berger pour évaluer les candidats selon des critères objectifs : Sexe, âge, parcours, profession, mais aussi des critères subjectifs : appartenance politique / société civile, lien avec le pouvoir et l’opposition, membre de lobbys (religieux, médias, monde des affaires, étranger…), idéologie, valeur, programmes. Les résultats de cette rencontre seront partagés avec les populations.
Auteurs : Elhadji Mamadou Mbaye, Alassane Ndao, Alassane Bèye, Elhadji Bouré Diouf, Mame Adama Sarr,
Département de science Politique, UFR Sciences juridiques et politiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis
Dans les médias, dans l’opinion publique et chez une certaine catégorie d’hommes politiques qui s’étaient attribué la légitimité d’être toujours les candidats à élire, cette pléthore de candidatures apparaissait selon eux comme une « insulte », « un manque de respect », « un manque de sérieux et de crédibilité », « une mauvaise image du Sénégal à l’étranger », « une démocratie sénégalaise régressive »…
Ces différentes positions sur la pléthore de candidatures expriment une double réalité qu'il faut analyser. D'une part, sur le plan symbolique, elles relaient un imaginaire social fécond (Castoriadis) sur le caractère élitiste de la démocratie électorale, théorisé depuis longtemps en sociologie politique (Pareto, Mosca, Aron, Roberto Michels…). L'élection présidentielle serait ainsi la rencontre entre des "grands hommes" qui se distinguent par des qualités exceptionnelles et un peuple désireux de se trouver un nouveau "Messi". Elle nourrit une croyance populaire forte au "leadership de recomposition" (Philippe Braud).
D'autre part, sur un plan matériel, les critiques sur la pléthore de candidatures se fondent sur l'exigence de la logistique électorale. Le vote, élément de matérialisation de l'élection, est avant tout un dispositif technique (isoloirs, encre, bulletins, administration…) et un enchaînement d'opérations (contrôle d'identité, vote, émargements…) inscrit dans le temps (durée légale du vote 10H) et dans l'espace (centres et bureaux de vote qui ne peuvent accueillir qu'un nombre limité de personnes). Ce sont là autant de contraintes techniques qui ne s'accommodent pas d'une pléthore de candidatures.
Néanmoins, dans une perspective heuristique et dans une approche néo-institutionnaliste (Surel, Palier, Guèye), cette multitude de candidatures traduit une vitalité et un signe de maturité de la démocratie sénégalaise.
Provenant du grec ancien « demos » qui signifie « peuple » et de « kratos » qui signifie pouvoir, il n’y a pas de régime aujourd’hui plus répandu que la démocratie. Cependant, de la Grèce antique à nos jours, la notion a connu bien des évolutions. Elle trouve son origine à Athènes sous le vocable de démocratie directe entre les années 600 et 400 avant Jésus Christ : l’assemblée de la ville réunissait les cinq à six mille citoyens quarante fois par an environ pour voter directement les lois, les déclarations de guerre et leur mobilisation, car l’armée athénienne était constituée de citoyens[1]. Les avantages de ce régime résidaient dans l’expression de la volonté des majorités puisque les décisions étaient prises et appliquées au sein du peuple, par le peuple et pour le peuple. Les représentants étaient tirés au sort et tous les citoyens avaient la chance d’être membres de l’Assemblée.
Cependant, si l’expérience d’Athènes s’entend comme un système de gouvernement direct, celui-ci n’est pourtant le fait que d’une minorité d’habitants, la Cité n’ayant jamais compté plus de 40 000 citoyens sur 400 000 résidents. (…). John Stuart Mill jugeait ainsi que « dans une communauté qui dépasse les bornes d’une petite ville, chacun ne peut participer personnellement qu’à une très petite portion des affaires publiques, le type idéal d’un gouvernement parfait ne peut être que le type représentatif » [2]. D’où l’émergence de la démocratie représentative.
Il est important de faire ce rappel historique aux hommes politiques, car leur représentativité n’est liée qu’aux contraintes pour les citoyens de se représenter eux-mêmes. La démocratie représentative est une démocratie par défaut liée aux difficultés logistiques de la démocratie directe.
Malheureusement, aujourd’hui, la représentation apparaît comme l’essence même de la démocratie dans les États-nations modernes et les hommes politiques qui n’ont de sens que dans une démocratie représentative ont tendance à voir la démocratie directe comme antidémocratique. Ils ont tendance à se représenter et à oublier que leur légitimité n’a de sens que si elle est portée par le peuple.
Le parrainage apparaît ainsi comme une manifestation de cette volonté populaire. Il faut rappeler que conformément aux dispositions du code électoral, les partis et coalitions de partis doivent recueillir un soutien suffisant du grand public pour passer l'étape du parrainage. C’est la loi constitutionnelle n°2018-14 du 11 mai 2018 portant révision de la Constitution qui a instauré le système de parrainage du candidat a? l’élection présidentielle par des électeurs. Pour être recevable, toute candidature doit être accompagnée de la signature d’électeurs représentant, au minimum 0,8% et, au maximum 1% du fichier électoral général. En outre, l’article 29 de la Constitution exige que ces électeurs soient domiciliés dans au moins sept régions, a? raison de 200 électeurs au moins par région.
Cependant, de fortes contestations nationale et régionale du système de parrainage ont conduit à son assouplissement. Les conclusions du dialogue politique organisé en août 2023 ont permis de revoir le seuil de 0,8 % à la baisse. Désormais les candidats doivent avoir le soutien de 0,6 % d’électeurs inscrits sur le fichier électoral, de treize députés ou de 120 maires et présidents de conseil départemental.
Au 31 juillet 2022, la taille du fichier électoral était de 7,036,466. En 2023, il faut au minimum 44,231 électeurs pour parrainer un candidat. Ainsi, si tous les électeurs participaient aux parrainages (sans les doublons), il serait possible d’avoir 159,08 candidats aux élections présidentielles. Heureusement, le filtre du parrainage aidant ainsi que les abstentions, ce nombre ne peut logiquement pas être atteint.
Qu’à cela ne tienne, la question n’est pas le nombre de candidats, mais la représentativité c’est-à-dire la prise en compte et le portage des préoccupations des Sénégalais par les candidats. Ainsi, plus il y a de candidats, plus la diversité des préoccupations des Sénégalais est prise en compte, et plus la démocratie sénégalaise se porte mieux. En outre, l’essence de la démocratie étant l’inclusion; de ce point de vue, on ne peut comprendre la demande qui consiste à exclure telle ou telle personnalité politique de la course à l’élection présidentielle de 25 février 2024.
Néanmoins, et là nous donnons raison aux critiques de cette pléthore de candidats, qui représente les 190 candidats ? Quels sont les niveaux de prise en compte et d’écoute des préoccupations des Sénégalais ? Que propose-t-il aux électeurs pour solliciter leurs parrainages ? Qui sont-ils ? Quels sont leurs projets de société ? Comment pensent-ils résoudre les problèmes auxquels les Sénégalais sont confrontés ? C’est là où est le vrai débat et c’est là où la pléthore de candidats à la candidature aurait un sens au regard de la démocratie sénégalaise.
Paradoxalement, cette volonté de « rationaliser » les candidatures a eu « l’effet pervers » d’accentuer de manière exponentielle le nombre de candidats à la candidature. D’ailleurs, cette situation justifie le questionnement sur l’impact de ce système dans la démocratie sénégalaise. En effet, que nous renseigne cette multiplicité de candidature sur l’état de la démocratie sénégalaise ? Révèle-t-elle une vitalité démocratique ? Ou traduit-elle un multipartisme de façade ? Cette pluralité de candidatures reflète-t-elle la configuration sociologique du pays en termes de clivages ? Mieux, cette volonté de filtrer les candidatures avec l’institution d’un parrainage citoyen est-il conforme à l’esprit démocratique ?
Les universitaires que nous sommes avons cette responsabilité sociétale aux yeux du peuple de l’aider à choisir et à bien choisir…
C’est dans ce cadre qu’un colloque est prévu en novembre à l’Université Gaston Berger pour évaluer les candidats selon des critères objectifs : Sexe, âge, parcours, profession, mais aussi des critères subjectifs : appartenance politique / société civile, lien avec le pouvoir et l’opposition, membre de lobbys (religieux, médias, monde des affaires, étranger…), idéologie, valeur, programmes. Les résultats de cette rencontre seront partagés avec les populations.
Auteurs : Elhadji Mamadou Mbaye, Alassane Ndao, Alassane Bèye, Elhadji Bouré Diouf, Mame Adama Sarr,
Département de science Politique, UFR Sciences juridiques et politiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis