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Posture subjective

Rédigé par Dakarposte le Mercredi 23 Novembre 2016 à 08:15 modifié le Mercredi 23 Novembre 2016 - 08:17

Posture subjective
Il a fallu qu'une femme politicienne de l'Alliance pour la République soit sauvagement égorgée et son fils blessé sérieusement pour qu'enfin les autorités de la République sortent de leur passivité voire de leur indifférence pour condamner publiquement la kyrielle de crimes qui commence à prendre des proportions alarmantes dans notre pays. La mort abjecte de Fatoumata Makhtar Ndiaye, conseillère municipale à la ville de Pikine et cinquième vice-président membre du Conseil Economique Social et Environnemental est la goutte de sang qui aura fait déborder le vase. C'est le 12e meurtre commis en l'espace de deux mois.

Sous le coup de l'émotion et de la colère, des ONG islamiques comme l'Association de soutien et de coordination aux activités islamiques (Ascai) et Jamra, et de la société civile prônent la restauration de la peine de mort pour mettre fin à cette violence mortifère. Pour eux et pour bon nombre de Sénégalais, seule la loi du Talion peut mettre fin à ces crimes abominables.

Et voilà c'est reparti le débat sur la peine capitale entre pro et anti peine de mort. Chacun développe ses arguments qui, in fine, lui donnent raison dans sa posture. Les partisans de la peine de mort soutiennent l'argument selon lequel l'exécution capitale est dissuasive et ferait décroitre le nombre de crimes dans notre société. Pour eux, les individus sont moins enclins à commettre des crimes violents, notamment des meurtres, s'ils savent subséquemment qu'ils peuvent être exécutés. Donc celui qui ne respecte pas le droit des autres à la vie n'a pas droit à la vie. C'est pourquoi il est absurde d'accorder la vie à un criminel qui a ôté la vie à un innocent.

Chez les musulmans on fait référence à Dieu qui recommande d'appliquer la loi du Talion. Face à la recrudescence des crimes, on réclame à hue et à dia le rétablissement de la peine capitale. Statistiquement, il n'a jamais été démontré que les sociétés qui font usage de la peine de mort ont vu leur taux de criminalité reculer drastiquement. D'ailleurs c'est le contraire qui est toujours démontré dans les pays comme l'Iran, l'Arabie Saoudite, la Chine, les États-Unis et la Corée du nord.

Un rapport du FBI a démontré que "le Sud des États-Unis, qui regroupe à lui seul 80% des exécutions capitales, demeure la région où le taux de criminalité est le plus élevé du pays. A l'inverse, le Nord-est du pays, qui concentre moins de 1% des exécutions capitales américaines, présente le plus faible taux de criminalité. Ainsi en 2004, le taux d'homicides moyen était de 5,71 pour 100.000 habitants pour les États recourant à la peine de mort, et de 4,02 pour 100.000 pour les États n'appliquant pas ce châtiment".

Face à la montée des crimes, il est légitime que les peuples éprouvées par ces meurtres à foison, où souvent leurs auteurs échappent à la justice ou bénéficient dans le temps de la clémence des juges, réclament la peine capitale pour stopper cette vague de crimes sans fin. Aujourd'hui la majorité des Sénégalais sont favorables pour l'application de la peine de mort pour stopper cette orgie de violence horrifie notre société. Il est compréhensible que les populations exigent de leurs autorités des mesures coercitives radicales contre les coupables de crimes abjects.

Aujourd'hui Jamra demande à l'État d'organiser un référendum pour ou contre la peine de mort. Même s'ils sont majoritaires les Sénégalais qui veulent le recours à l'exécution vindicative pour diminuer le taux de criminalité, l'État qui a en charge la définition d'une politique judiciaire basée sur la raison et non sur l'émotion ne doit pas céder sous le coup de la colère populaire pour restaurer la peine de mort. Il revient à l'État de démontrer qu'une telle pratique n'est ni dissuasive, ni efficace.

Son efficacité préventive est très sujette à caution puisque son application ne diminue pas les taux de criminalité tandis que son abolition ne les augmente pas non plus. Ce n'est pas en ajoutant de la violence à la violence qu'on va la faire régresser. Ce n'est pas une démarche rationnelle de mettre quelqu'un à mort parce qu'il a tué. Ce serait l'échec de la raison. Aussi, l'État ne doit pas être l'instrument de légitimation de ces bas instincts vengeurs. Certes la personne qui voit son parent être sauvagement tué exprime le besoin pressant et légitime de vengeance sur le meurtrier. Mais ce sentiment-là n'a pas à être légitimé par l'État parce que les solutions idoines sont ailleurs.

Aujourd'hui beaucoup de Sénégalais et autres organismes réclament avec pression le retour de la peine de mort. Mais pourquoi, ils crient à l'indignation sélective et à l'arbitraire quand un Sénégalais est exécuté à l'extérieur ? Ainsi si les Sénégalais n'aiment pas voir leurs compatriotes être exécutés à l'extérieur, pourquoi seraient-ils machos au point d'avaliser des exécutions capitales intra-muros ? C'est comme si l'application de la peine mort n'est acceptable et légale que lorsqu'elle est prononcée par une juridiction sénégalaise.

Quand le 26 aout 2012, la justice de Yaya Jammeh a autorisé l'exécution de deux Sénégalais (Djibril Bah et Tabara Samba), tous les compatriotes ont crié à la barbarie et dénoncé la sauvagerie du dictateur de Banjul. Pourtant ils ont tué des Gambiens et ils ont subi la loi du Talion. C'est dire quelque part que les Sénégalais n'aiment pas dans leur subconscient la réparation du crime par le crime. Aujourd'hui tout le pays est mobilisé pour venir en aide à Mbayang Diop menacée de décapitation en Arabie Saoudite pour avoir tué sa patronne. Selon la charia en vigueur de ce royaume, Mbayang doit subir la peine capitale.

En conséquence, les partisans de la peine de mort, si prompts à recourir à la charia pour évoquer et convoquer la peine de mort, devaient être conséquents avec eux-mêmes et applaudir si le sabre saoudien faisait sauter la tête de notre compatriote Mbayang. Mais que nenni ! Il faut de la compassion et de la clémence pour Mbayang et non pour ceux qui ont eu le malheur de commettre des crimes du même genre sur notre sol. Ainsi la peine de mort ne s'apprécie pas seulement à la gravité du crime commis mais aussi à l'aune du lieu de ce crime. Ce qui subjectivise la posture de tous les partisans de la peine capitale.

 Serigne Saliou Guèye

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