‘’Dans la vie, rien n’est donné : tout s’acquiert par la détermination’’, a l’habitude de déclarer la mairesse de Podor dans ses sorties médiatiques. Mais cette assertion d’Aïssata Tall Sall résume en réalité toute sa personnalité. D’ailleurs, c’est sous l’angle de cet axiome qu’elle semble bâtir son action.
Que ce soit en politique, dans sa carrière professionnelle ou dans sa vie de tous les jours, la dame a toujours été constante dans ses principes. Son ambition aujourd’hui, c’est de briguer le suffrage des Sénégalais et rompre, à cet effet, une vieille domination masculine dans la gestion du pouvoir, qui remonte à bien avant l’accession du Sénégal à la souveraineté nationale, en 1960.
‘’Mon ambition est de faire élire au Sénégal la première femme présidente de la République de l’espace africain francophone’’, déclarait-elle, en 2015, dans les colonnes du magazine français Jeune Afrique.
Dissidente du PS
Après une dissidence opérée au sein du Parti socialiste, la mairesse de Podor s’éloigne davantage des instances de son parti d’origine, avec l’annonce de sa candidature à la prochaine présidentielle de 2019. Les lignes de fracture qui se sont dessinées, dès le départ, prennent ainsi forme et se concrétisent au fur et à mesure que le jeu politique s’éclaircit en perspective des prochaines joutes électorales.
Seulement, le contexte politique dans lequel cette annonce est faite, surtout après l’emprisonnement du maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall, par ailleurs leader de la coalition Taxawu Dakar, brouille le jeu politique et laisse supposer beaucoup d’hypothèses.
Si certains parlent de candidature de diversion du président de la République Macky Sall qui aurait réussi à dompter une militante socialiste ‘’indocile’’, là où Ousmane Tanor Dieng a échoué ; d’autres parlent de plan B de la coalition Taxawu Dakar. Quoi qu’il en soit, les deux hypothèses constituent une énigme, qui livrera certainement ses secrets au fur et à mesure que l’on approche des prochaines joutes électorales.
Crime de lèse-majesté
Des ambitions présidentielles, Aïssata Tall Sall en a toujours eu, bien avant l’avènement de Macky Sall au pouvoir, le 25 mars 2012. Mais encore pour parvenir à ses objectifs, fallait-il d’abord défier Ousmane Tanor Dieng au sein d’un Parti socialiste qui venait à peine de sortir de douze longues années de harcèlement et de tentative de musèlement politique par le tout puissant Abdoulaye Wade.
Qui, dès les premières heures de la première alternance, a favorisé une vaste opération de transhumance politique de caciques et barons socialistes qui ont aussitôt rejoint les prairies bleues d’un Parti démocratique sénégalais qui cherchait encore à se massifier pour se débarrasser de ses alliés des premières heures devenus subitement trop encombrants.
Si Aïssata Tall Sall a su résister aux multiples tentatives de débauchage politique d’Abdoulaye Wade qui voulait même faire d’elle le Premier ministre du Sénégal, en un moment donné du règne du régime libéral, elle n’a pas su pardonner au Secrétaire général du PS ses choix politiques de se faire remorquer par le parti présidentiel, dans le cadre de la coalition Benno bokk yaakaar (BBY) avec qui il a décidé de cheminer, lors des élections législatives de 2012, ensuite aux Locales de 2014, puis lors du référendum du 20 mars 2016 et enfin lors des Législatives à venir.
C’est ce qui a motivé sa candidature, lors du 15ème congrès du PS, des 6 et 7 juin 2014, devant Ousmane Tanor Dieng. Une candidature qui est apparue aux yeux de certains responsables socialistes comme un crime de lèse-majesté.
Les relations entre les deux responsables socialistes, qui battaient de l’aile depuis un bon moment, vont se détériorer avec la tournure des évènements et vont également occasionner des dégâts collatéraux qui se répercuteront jusque dans ses rapports avec le maire de Dakar.
Alors que le processus de cette primaire a été enclenché, le chargé de la vie politique du PS, Khalifa Sall en l’occurrence, l’arrête nettement pour écarter la candidature de Aissata Tall Sall, permettant ainsi à Ousmane Tanor Dieng de rempiler tranquillement et sans grande difficulté à la tête du PS pour, disait-il, sauver l’unité et la cohésion du parti. A l’issue de ce processus, les relations entre ces deux prétendants à la succession de Tanor en ont pris un sacré coup.
Dame de fer
Dans une contribution parue dans les colonnes de EnQuête intitulée ‘’Cette petite paysanne de Podor’’, la journaliste Charlotte Meyer décrivait la mairesse de Podor comme une dame de fer qui s’est forgée toute seule et en des circonstances pas du tout évidente. Selon elle, ‘’c’est au barreau que la politicienne se forge sa réputation : des généraux Palenfo et Coulibaly au président malien Dioncounda Traoré en passant par l’ex-premier ministre togolais Agbéyomé Kodjo, elle s’illustre face à des personnalités au profil complexe’’.
‘’Aïssata Tall Sall avait tout pour trouver une réponse au peuple sénégalais. Cette ‘’petite paysanne de Podor’’, comme elle se plaît elle-même à se définir, a su se construire jusqu’à devenir la ‘’Lionne du Fouta’’, une figure emblématique de la fronde socialiste prête à rentrer dans les rangs de ces femmes qui avaient construit la légende sénégalaise. Et après avoir exercé les rôles de députée et maire de Podor, de ministre de la communication entre 1998 et 2000, puis de porte-parole du parti socialiste, c’est vers la présidence de la République qu’elle se tourne à présent’’, écrivait-elle.
Cependant, il faut relever que si Aïssata Tall Sall s’est forgé une réputation sous le régime d’Abdou Diouf et dans les prétoires, c’est dans l’opposition, durant les douze ans de règne du Président Abdoulaye Wade, qu’elle l’a affinée.
Celle que l’on surnomme la Ségolène Royale sénégalaise, même si elle ne s’identifie pas à elle, s’est illustrée davantage en 2014, lors des élections locales de la même année à l’issue desquelles elle est arrivée à bout de son adversaire de l’Alliance pour la République, le richissime Racine Sy. Cela, malgré l’absence de soutien de son parti plus enclin à renforcer ses alliés que certains de ses responsables dissidents.
Riche carrière politique et avocate
Cette maturité, Aïssata Tall Sall la doit à son riche parcours politique. Titulaire d’une maîtrise en Droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar où elle est d’ailleurs sortie major de sa promotion avec la mention Assez Bien, et d’un MBA en "Programm For International Management", à l'Université Américaine de Paris (IUA), Aïssata Tall Sall s’est tracée un parcours politique exemplaire durant le règne du régime socialiste.
De par sa résistance à la transhumance politique sous Abdoulaye Wade, ses combats politiques et ses prises de position courageuses, elle se voit attribuer le sobriquet de ‘’Lionne du Fouta’’.
D’abord ministre de la Communication et porte-parole du Gouvernement de Mamadou Lamine Loum entre 1998 et 2000, Aïssata Tall Sall est mairesse de la commune de Podor depuis 2009. Membre du Bureau politique du PS, elle est nommée Secrétaire nationale, porte-parole du PS jusqu’en 2014, lorsqu’elle a été remplacée par son adjoint, Abdoulaye Wilane.
Parallèlement à ce parcours politique, elle a une riche carrière d’avocate. En effet, après avoir prêté serment en 1982, c’est dans le cabinet de Maître Mour Seck qu’elle a fourbi ses armes. Lauréate à la première rentrée de la conférence solennelle du stage du Barreau de Dakar, elle décide en 1986 de prendre son destin en main et de faire cavalier seul.
C’est ainsi qu’elle mettra en place plus tard son cabinet d’avocat avec lequel elle gagne beaucoup de procès internationaux. Outre les généraux ivoiriens Palenfo et Coulibaly, accusés d’atteinte à la sûreté de l’État, elle a également plaidé pour l’ancien président mauritanien Mohamed Ould Haidalla, l’ex-premier ministre togolais Agbéyomé Kodjo ou encore l’ancien président malien par intérim, Dioncounda Traoré.
C’est d’ailleurs, selon Jeune Afrique, au procès des deux Ivoiriens que le cinéaste Abderrahmane Sissako la remarque. Quelques années plus tard, il lui proposera de jouer son propre rôle dans son film Bamako, où elle défend la cause de l’Afrique face au FMI et à la Banque mondiale.
Cela lui vaudra, en 2006, de monter les marches du Festival de Cannes au bras d’Abdou Diouf, alors Secrétaire général de la Francophonie, dont elle avait été la ministre.
Assane Mbaye, L'Enquête