Déclic. Comme ce diastème qu’il cache derrière une bouche qui ne s’ouvre jamais, ou presque, Mamadou Mamour Diallo surfe sur une existence foncièrement dévolue à l’Etat. A 49 piges, ce grand corps, aux muscles tendus, tige noire, silhouette de basketteur des années seventies, maigreur mange-peu, le visage en lame expressif et sourcilleux, est un inconnu du grand public sorti de l’ombre, tapé dans l’œil médiatique par la grâce d’un méga-meeting dans son fief, à Louga. Lui a rallié à sa cause toute la République, le Premier d’entre eux, le Premier ministre Boun Abdallah Dionne, des vice-présidents à l’Assemblée nationale, le très célébré Faramarème Waly Seck, l’enjoué fils de Double Less, Balla Gaye2. Tout ça pour un taiseux anonyme du grand public. Parce que depuis plusieurs décennies, Mamadou Mamour Diallo s’est tenu droit dans l’ombre. Lui n’a jamais aimé les palabres politiques, n’a jamais dragué les médias, a toujours fui les foules et les feux des projecteurs. Puis, tout bascule au détour d’une rencontre avec le chef de l’Etat. «La passion du Président Sall et son volontarisme pour le Sénégal sont contagieux», avoue-t-il. Mamadou Mamour Diallo se jette alors dans le marigot politique à travers son mouvement «Dolli Macky», après avoir refusé de s’engager sous Senghor, Diouf et Wade. Dans son bureau XXL, où le directeur des Domaines reçoit ce jour-là, ses mots sont articulés avec soin, le phrasé de son discours a tout d’un flegme réfléchi. L’homme est maître de ses nerfs, sinon il aurait gâché ce que certains observateurs ont appelé le «meeting du siècle». L’on ne va pas appuyer sur le bouton «replay», ou enfoncer le couteau dans la plaie déjà béante de l’Apr…
Mais une promenade sur le jardin secret de l’homme qui se cache derrière le directeur, montre qu’il n’est pas un bon client pour les commères. A 49 ans, ce fan de musique spirituelle s’impose comme un mur de silence que rien ne pourrait transpercer. Pour ne rien arranger les choses, l’homme se révèle de très près comme un solitaire. Loin pourtant de ressembler à un marginal. Il aime se mettre dans sa bulle et n’en sort que quand le devoir l’appelle, quand la famille et ses proches sont contents. «C’est ma nature, j’aime le calme, dit-il aussi impassible qu’une image. J’ai deux occupations : ma famille et mes champs. J’ai une ferme à Yenn et quand l’envie me prend, je vais là-bas pour fuir la touffeur dakaroise.» On ne se refait pas. Que lui inspire son monde au-delà de son poste gratiné de directeur ? C’est son petit frère Seydina Oumar Diallo qui s’avance pour crayonner le grand frère. «Il est le repère de la famille, il ne peut se passer de sa famille et ça, il l’a dans son ADN. Il souffre de ne pas être irréprochable, c’est une obsession chez lui.»
Mordu de Foot. Dans la chasse au souvenir de ses photos jaunies par le temps, le plus agréable qui lui laisse aujourd’hui baba, c’est quand Thierno Mountaga Amadou Tall, Khalife de la famille omarienne, lui a donné le «wird tidiane» en 1992. Mamadou Mamour Diallo en parle avec des yeux qui pétillent de fierté, de foi surtout. «C’est dans sa chambre qu’il m’a donné ça et ce jour-là, le discours qu’il m’a tenu est resté dans ma mémoire. Il m’a dit de cultiver la droiture, de ne jamais faire du mal et de toujours respecter mes obligations religieuses.» D’aucuns rêvent les yeux éveillés, lui Mamour Diallo a le vœu pieux de construire un Daara moderne. «Avant la fin de mes jours, je voudrais réaliser ce rêve.» Et puis, l’anecdote qui a traversé les âges, c’est en 2005, ce Musulman fait face à la Kaaba pour la première fois, ses jambes ne tiennent pas, il vacille, titube et tombe comme une feuille morte. «Je suis tombé devant un de mes collègues, parce que ce que j’ai ressenti était vraiment fort.» Depuis, il n’est pas revenu de La Mecque. Chaque année, depuis 2005, il s’arrange une échappée aux Lieux Saints de l’Islam et son amour pour le Prophète de l’Islam ne s’est jamais démenti. A l’heure où le je-m’en-foutisme, l’arrogance sont les points partagés de certains «Apéristes» du régime, lui se sert de sa foi comme «une barrière contre toute forme de tentation». L’homme crayonné bien luné et très posé, s’emporte parfois quand le foot bat son plein, comme actuellement à la Can où son pouls vibre pour les «Lions». Il court, saute, tire, donne un coup de tête à chaque fois que la bande à Sadio Mané foule les pelouses gabonaises. «J’adore le foot et je suis de tout cœur avec les Lions.» Lui le Barcelonais «pour le beau jeu» qui, chaque dimanche, se met devant sa télé, suit de très près les exploits de Messi au Camp Nou. Le club du Ndiambour lui tient à cœur. «L’on a du mal dernièrement, mais le Président Gaston Mbengue qui se démène comme un beau diable pour donner à cette équipe-là son allant d’antan.» L’homme n’a par contre, jamais eu du ballon. Mais, il continue de jouer réglo avec ses amis d’enfance. «Il n’a pas changé, il est resté le même. Il a gardé ses mêmes habitudes et c’est ce qui fait que les gens qui ne faisaient pas de la politique, l’appuient parce qu’ils connaissent l’homme de bien qu’il est», sérine Abdoulaye Kassé. Dans une autre vie, Mamadou Mamour Diallo portait la sébile et parcourait les ruelles serpentées de Louga. Un simple regard dans le rétroviseur et une plongée en apnée dans l’enfance du directeur des Domaines permet de mieux cerner le mystère de cet homme cachottier qui revendique une seule peur : l’échec.
Ndongo Daara. On est en 1974 dans ce quartier Montagne Nord de Louga. Mamour Diallo, frêle garçon de 6 ans, enfant-talibé, tient sa sébile, fait la manche dans les maisons environnantes, comme les autres enfants du Daara familial. Ce môme à l’allure fragile est le petit-fils de Matar Diallo, né au Mali, dans le grand Jihad de l’immense Cheikh Oumar Foutiyou Tall, revenu s’installer à Louga au début des années 20. En 1968, loin de l’agitation mondiale, El Hadj Baba Diallo baptise son fils aîné Mamadou Mamour Diallo. Puis, sous les feux incandescents de ce centre d’enseignement coranique, de jeunes chérubins apprennent le Coran. Mamadou Mamour Diallo va se mêler, plus tard, aux jeunes enfants. Son père El Hadj Baba Diallo y tient comme à la prunelle de ses yeux. Qui plus est, il lui donne un pot de tomate usé pour lui demander d’aller chercher la pitance chez le voisinage. «Cela m’a beaucoup servi, ça a renforcé mon humilité», soupire-t-il. Puis à l’heure d’aller à l’école, la tension se fait jour au sein de la famille, le grand-père s’y oppose. Longs conciliabules, réunions houleuses. Finalement, le grand-père bénit son petit-fils… Le matin à l’école, ce «tête d’œuf» s’affirme. Le soir, le jeune talibé Mamour Diallo récite ses versets. Il finit par «boire» le Coran d’un trait. A l’école 1 de Louga, ses résultats sont frappants. Parfois, il joue au trublion fait les 400 coups avec quelques amis. Il fait partie des premiers de la classe. Il prend de la bouteille, décroche son Dfem (Diplôme de fin d’études moyennes – actuel Bfem). Puis, cap un peu plus au nord, à Saint-Louis, au lycée Peytavin. «La séparation était difficile avec mes parents», se rappelle-t-il. Il se démène dans les études le matin et, pendant ses jours de congés, apprend à nager sur la plage de Ndar, ou à taquiner du ballon etc. Il décroche le Bac série B, Economie et gestion, puis est orienté à l’Université Cheikh Anta Diop de la capitale. «Dakar, c’est le choc.» Il survit au choc, les belles filles, les nouvelles tendances à la mode grâce toujours à sa foi. Mais pas que… puisque le jeune Mamour est conscient de tirer vers le haut sa famille modeste. Son père El Hadj Baba Diallo est ouvrier-maçon, Imam à ses heures perdues et porte-parole du Khalife de la famille omarienne. Mamour, lui, décroche sa Maîtrise en Economie et gestion. Il réussit avec brio le concours du Centre de formation et de perfectionnement administratif (Enam B) en étant Major à l’entrée et à la sortie pour un profil de contrôleur des Impôts et domaines. En 1990, il atterrit à Kaolack pour son premier poste. Il pose un acte avec ses premiers salaires pendant trois ans qui sort de l’ordinaire. «Pendant trois ans, mes salaires, je les donnais directement à mon père, c’est lui qui cherchait à me remettre quelque chose.» Au bout de 6 ans à s’occuper de son père et de sa maman, il se marie. Lui le «sentimental» est aujourd’hui père de trois enfants. Entre-temps, il est retourné à l’Enam pour devenir inspecteur des Impôts et domaines…monte en grade à travers certains centres réputés de la banlieue. Et en 2015, le Président Macky le nomme, par décret, Directeur national des Domaines… Il lui rend la monnaie en s’engageant à ses côtés. Lui que ses détracteurs accusent d’être un guichet automatique de billets de banque, sourit de l’accusation. «L’argent ne peut pas tout acheter, je préfère plutôt les relations humaines.»
Tapha Diop et Moi. Il ne considère pas Moustapha Diop comme un rival. Les amis du ministre chargé de la micro-finance pensent le contraire. «C’est un va-t-en-guerre, il n’aime pas le maire de Louga», hurle de colère un partisan du maire de la capitale du Ndiambour. Mamour Diallo préfère en rire. «Je n’en veux à personne. Ce qui m’importe, c’est de doubler le nombre de voix du Président à Louga.» Dans certains cercles, l’on susurre que le Président Macky Sall le porte en haute estime. La carcasse dure de Mamour s’est craquelée lors du décès de son jeune frère, mort dans ses bras. «Un douloureux souvenir», dit-il. Il n’est papa-fouettard, mais se reconnaît papa-poule pour couver ses trois enfants. Ouf ! L’homme a un défaut : «Ses vérités peuvent parfois blesser», avoue sa secrétaire. Madame Fall. Et dans ce Sénégal du «Masla», hélas, c’est mal vu. Dommage !
MOR TALLA GAYE