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Patrimoine musical : Entre authenticité et modernité

Rédigé par Dakarposte le Dimanche 12 Février 2023 à 17:55 modifié le Dimanche 12 Février 2023 - 18:00

À l’Institut français de Dakar, dans le cadre du quatrième Dakar Music Expo (Dmx #4), la projection du documentaire « Eyes open » consacré à Youssou Ndour (1994) a été l’occasion de discuter de la préservation du patrimoine musical. L’exemple des instruments traditionnels a été pris pour constater un égarement et une mutation qui risquent d’altérer l’authenticité de la tradition.


Patrimoine musical : Entre authenticité et modernité
« Les instruments traditionnels sont la partie tangible du caractère intangible du patrimoine musical ». Nous devons cette définition à l’ethnomusicologue hispanico-anglaise, Lucy Durán. Elle en veut pour preuve le fait que la kora, le xalam, le tama, les balafons, etc. sont parfois mis en musée. Ce qui ne signifie pas que ces objets sont morts ou désuets, mais parce qu’on pense qu’ils sont admis dans le patrimoine. Tout autant, ces instruments sont encore correctement utilisables parce que « leur destin et leur fonction sont loin d’être joués ». Il faut ainsi y voir l’impératif d’en sauvegarder la sacralité plus que la matérialité, mais aussi de les faire vivre pour surtout perpétuer une tradition, une identité.

Le propos de la productrice Lucy Durán campait ainsi le décor du débat sur la préservation du patrimoine musical par l’exemple des instruments traditionnels. Juste avant ce panel co-animé avec le deejay et « re-vivificateur » de vinyles Etienne Tron et modéré par la manager culturelle Camille Lhommeau Seck, « Eyes open » a été projeté. Ce film documentaire, réalisé en 1994 et consacré à Youssou Ndour, explore son univers musical en insistant sur son caractère traditionnel. Trois décennies plus tard, Youssou Ndour s’affirme mieux comme l’un des meilleurs musiciens du monde tout en ayant toujours gardé l’authenticité de son mbalax. Lucy Durán, qui a réalisé ce film avec Celia Lowenstein, explique que c’est justement de cela qu’il s’agit : la sauvegarde doit moins concerner l’objet que le symbole qui le définit.
« Aujourd’hui, la manière de fabriquer la kora et de la jouer aussi a beaucoup changé. C’est compréhensible, car avec le développement technologique surtout énormément de choses ont changé. Mais, il ne faut pas jeter les vieilles choses qui peuvent souvent être le cœur de ces instruments », relève l’ethnomusicologue. Son camarade panéliste Etienne Trion cite le cas du Congolais Papa Kourand qui a révolutionné la rumba avec son sanza (piano traditionnel à pouces). L’artiste en avait rajouté des lamelles de bois, et en a ainsi modifié la physionomie et la sonorité. Il faut par ailleurs signaler que Papa Kourand né en 1935 et mort en 2016 avait fini d’appréhender et de saisir son instrument. Il a également cité le cas du maître balafongiste malien Néba Solo.

C’est pourquoi Etienne Trion considère que « préservation » n’est pas le mot approprié en ce sens qu’il renvoie à une certaine idée de « momie » et exclut son caractère évolutif. Dj Secous (le surnom de disc-jockey d’E. Trion) a comme spécialité de donner une nouvelle à des disques de musiques ou de musiciens anciens pas connus des jeunes générations (il a retapé le tout disque 33 tours « Mandinka Ndong » de Touré Kunda, alors que le duo Ismaïl et Sixu n’avait pas encore ce nom mythique). Camille Lhommeau a semblé conforter l’idée, en convoquant une analogie avec les masques. Elle a fait observer que les masques, tels qu’acceptés par les communautés en Afrique, bougent. Pour donc les comprendre, il faut les voir se mouvoir, voir comment on les porte, dans les rituels qui l’accompagnent, le symbolisme qui les entoure, etc. « Ce qui n’est pas possible dans les musées où ces objets authentiques sont figés », pense la chercheuse et animatrice culturelle.

SAUVEGARDER 

Cependant, comment sauvegarder l’authenticité de ces instruments tout en assurant leur pérennité et leur usage à vaste échelle ? Et qui, dans le même temps, doit assurer cette mission ? En Afrique de l’Ouest, les instruments sont apparentés à des familles griottes définies. Ces griots œuvraient avec conviction dans le relai de ces sciences et manières traditionnelles. Mais aujourd’hui, constate Lucy Durán, il y a « une sorte de rejet » dans les communautés de griots. « Au Mali, par exemple, les jeunes griots acceptent de moins en moins d’apprendre de leurs parents les instruments traditionnels. Ils ont envie d’autre chose, de moderniser cet héritage. Or, leur défi est de réussir à développer ce legs pour pouvoir l’exporter tout en respectant la tradition des ancêtres », recommande l’ethnomusicologue, tout en signifiant que beaucoup de personnes qui ne sont pas griottes jouent ou taquinent ces instruments maintenant. Comme elle avec la kora.

La perversion n’est pas seulement du fait des « griots d’aujourd’hui ». Etienne Trion a « une théorie » par laquelle il pense pouvoir expliquer le fait. « Deux révolutions ont conduit à cela, je crois : la mondialisation avec l’Internet et les technologies digitales. Elles ont donné l’impression que l’ordinateur peut remplacer tous les instruments de culture et de travail. L’ordinateur est génial, mais il ne pourra jamais remplacer ces instruments séculaires. Il faut aussi que ces jeunes apprennent à jouer ces instruments pour qu’ils continuent de vivre et d’évoluer dans le bon sens », croit Etienne Trion. La rupture dans la manière et les pratiques authentiques des instruments traditionnels s’expliquerait aussi, selon Camille Seck, par la migration.

« En Afrique de l’Ouest, le petit griot apprenait ses gammes dans la cour de la concession familiale. Cette transmission générationnelle a été aussi brisée parce que beaucoup d’oncles ont migré à l’étranger. Plus tard, cet oncle revient avec l’image de la globalisation et du modernisme. Ainsi, on gagne l’envie et le besoin de changer, car on se dit que ce qu’on fait n’est pas « in », explique Camille Lhommeau Seck. Elle explique aussi l’évolution dans la fabrication des instruments par une certaine nécessité de standardisation. Pour exemple, elle cite la kora moderne qui est plus facile à accorder sur un orchestre amplifié que celle traditionnelle. Dans d’autres cas, tel que pour le sabar, elle regrette que ce soit de la simple facilité des acteurs.

C. Seck rappelle que Doudou Ndiaye Rose a énormément travaillé sur les accords, comment étirer chaque sabar, à détecter les spécificités de chaque sabar. « Aujourd’hui, on arrive dans une séance de tam-tam (tànnebeer), tous les sabars sont étirés comme le djembé, hormis le thiool qu’on ne peut pas changer et qui représente le grave dans cette batterie de tam-tams. Même le « far wu jar » on ne le voit plus ou l’exécute seulement trois minutes, or il doit rythmer la séance. Les tam-tams d’antan étaient aussi plus larges que ceux qu’on voit maintenant, même si la flambée des prix du bois peut l’expliquer. Cette uniformisation sur quatre ou cinq percussions pose problème », déplore Camille Seck, qui a dansé aussi le sabar à une époque. Elle ajoute que c’est à cause de ces négligences que le bien-fondé et le « goût » du sabar risquent d’être perdus.

RECHERCHE 

Pour elle, le défi premier de la communauté est de fabriquer l’instrument de manière traditionnelle, même si on doit répondre à une évolution. Comme c’est le cas avec Papa Kourand cité plus haut. Lucy Durán pense que la solution est que les jeunes s’adonnent à la recherche et s’inspirent de modèles de réussites tels que Youssou Ndour, Doudou Ndiaye Rose, Papa Kourand ou encore Bassékou Kouyaté avec son n’goni. Elle affirme que ces figures doivent faire comprendre aux jeunes griots qu’ils peuvent s’enrichir avec les instruments de la tradition, prospérer leur patrimoine et gagner en grande notoriété.

L’Unesco, dans son dernier recensement, a répertorié entre trente et quarante instruments traditionnels. Toutefois, une petite potion est vue dans nos orchestres. L’État montre une défaillance dans la préservation de ce patrimoine. Or, ce sont ces sujets patrimoniaux qui, en partie, prouvent cette diversité culturelle tant chantée dans le monde. Mais aussi, la population à grande échelle ne se les approprie pas et surtout ne les connaît pas. « La musique wolof et celle peulh se portent plutôt bien. Mais il y a des musiques de communautés minoritaires dans le Sud, en Casamance, qui ne sont pas bien représentées à l’international et dans les pays. Quand vous prenez par exemple le génial balafon balante, tu ne le vois pas sur le paysage musical », constate avec amertume l’ethnomusicologue. Certains peuvent évoquer la sacralité et le conservatisme des communautés, mais il y a un paradoxe que relève Etienne Trion. « Dans un moment du film « Eyes open », Youssou Ndour dit que la culture ne peut pas être un commerce. Dans une autre scène, toujours dans le film, il soutient qu’il a ajouté le « One » (beat) dans son mbalax pour que l’Occident puisse comprendre et s’en approprier. Bien sûr, en espérant qu’ils achètent ses disques finalement. C’est paradoxal, c’est une sorte de schizophrénie, pourtant chaque argument tient », soutient le collectionneur et animateur musical. Les instruments traditionnels à l’heure de l’enracinement et de la culture.















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