PR MALICK NDIAYE (COORDONNATEUR DU CIIS): "Il n’y a pas d’opposition au Sénégal (...) Gackou, Idy, Decroix, Oumar Sarr et Cie doivent des explications aux Sénégalais (...)"

Rédigé par Dakarposte le Samedi 17 Décembre 2016 à 11:40 modifié le Samedi 17 Décembre 2016 11:47

A l’entendre parler, il est difficile de lui trouver une place dans l’échiquier politique sénégalais. Le Pr Malick Ndiaye, puisque c’est de lui qu’il s’agit, ne veut se situer ni dans l’opposition ni parmi les transhumants. D’ailleurs dans cet entretien avec EnQuête, il soutient qu’il n’y a même pas d’opposition constituée au Sénégal avec un programme alternatif. Aussi, selon le coordonnateur du Comité d’initiatives des intellectuels du Sénégal (CIIS), Gor ca wax ja et Mankoo Wattu Senegaal n’ont pas de programmes de gouvernement ni de stratégies alternatives à celles de Macky.


Pr, où va la République sénégalaise ?

Je pense que malgré les erreurs d’une classe politique traditionnelle qui est dépassée, qu’elle soit de l’opposition ou du pouvoir, le Sénégal est en train d’approfondir ce que je voudrais appeler la révolution républicaine fondée sur nos valeurs et traditions. Tout cela contre le socle maçonnique qui a été malheureusement établi dans ce pays depuis l’élection de Blaise Diagne. Je crois que ce socle maçonnique de la démocratie sénégalaise est en train d’être défait sur tous les plans. Parce que la vieille classe politique est aujourd’hui en désarroi devant la revendication des Sénégalais, c’est-à-dire  une constitution qui leur ressemble, une République qui a les mêmes valeurs que nos grands hommes.

Je pense que l’élément dominant aujourd’hui au Sénégal, c’est la remontée des valeurs républicaines autocentrées, c’est-à-dire endogènes, qui disloquent littéralement ce socle maçonnique. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le Sénégal est en déperdition. Certains opposants et l’entourage de Macky Sall disent la même chose. Mais pour moi, l’élément dominant, c’est l’émergence de cette République endogène, autocentrée avec un ancrage sociologique, historique et culturel. C’est pourquoi je suis très optimiste pour les prochains mois qui viennent parce que notre peuple est en train de se recomposer à partir de ces valeurs. 

Vous parlez souvent de redressement de la deuxième alternance. Selon vous, comment cela pourrait se faire ?

L’idée du redressement de la deuxième alternance est née dans la coalition Macky 2012 dont je suis un des membres fondateurs.  J’étais avec des camarades comme Maguette Ngom qui est à la présidence, Alassane Cissé, Haut conseiller, Mouhamed Diagne, directeur de la formation, Saliou Mbengue, Ansoumana Danfa, Dr Assane Dia, philosophe, Moustapha Fall ‘’Che’’, Jean Paul Dias, un des mentors de cette bataille pour le redressement. Bref, c’est toute une série de personnalités qui, à un moment donné, à l’intérieur du camp présidentiel, a commencé à se dire : il y a des difficultés.

Est-ce que les nouveaux alliés du deuxième tour ne sont pas en train de coiffer au poteau les amis de Macky Sall de la première heure? Mieux, est-ce qu’ils n’étaient pas en train de pousser Macky Sall dans une direction contraire à ses engagements ? C’est là que la bataille pour le redressement est née. Cette bataille, c’est-à-dire ‘’Jubanti Sénégal’’, a amené toute une série de responsables politiquement engagés dans la coalition à considérer que le pays doit dire ce qu’il fait et faire ce qu’il dit. Le redressement a produit un ouvrage mondialement connu à savoir ‘’Où va la République ?’’ du Professeur Malick Ndiaye. Mais il faut savoir que cet ouvrage est en partie l’expérience de tous les combattants de la première heure. C’est une réflexion collective sur le fait que ce que nous reprochions à Wade, nous ne devions pas le faire. 

Selon vous, est ce que le régime de Macky Sall est en train de faire ce qu’on reprochait à Wade ?

Parmi ceux qui nous ont le plus encouragé pour faire ce travail de veille et de vigile, il y a ce garçon (il ouvre son ouvrage) qui s’appelle Macky Sall. Le texte fondateur de la bataille pour le redressement a été écrit et lu le 04 janvier 2014 à la salle des banquets de la présidence de la République par notre camarade Macky Sall en tant que président de la République. C’est lui qui a encouragé les intellectuels, les jeunes, ceux qui réfléchissent, à opérer une révolution des mentalités et des comportements. C’est pour cela que la bataille pour le redressement compte jusqu’à présent parmi ses membres les plus éminents (Il rit) le camarade Président Macky Sall. Il a signé un des meilleurs textes et il y avait à côté de lui Mme Mimi Touré, les Professeurs Hamidou Dia et Ismaël Madior Fall et beaucoup d’autres.

C’est là que Macky Sall disait : ‘’je vous encourage à continuer d’instruire sans relâche le procès de notre propre société afin d’exorciser nos démons, nos maladies, nos lâchetés, nos turpitudes avérées et nos mimétismes coupables. Nos courages d’aujourd’hui feront nos forces de demain.’’ Donc je ne suis pas le propriétaire de la bataille pour ‘’Jubanti Sénégal’’. Je la partage non seulement avec la coalition Macky 2012 originelle, mais également avec le chef de l’Etat qui, en sa qualité de protecteur des Arts et des Lettres, a sorti un texte remarquable pour encourager ce combat. Mais nous avons vu que les forces qui avaient perdu pied au premier  tour ont construit un cordon autour de Macky Sall et l’ont amené, par exemple au moment des législatives, à leur donner plus de députés qu’elles n’avaient de force. La bataille pour le redressement est menée jusqu’à présent par tous ceux qui, entre le premier tour des élections et le mois de novembre 2016, pensent que la deuxième alternance doit tenir ses engagements et ses promesses. 

Est-ce la même bataille qui est menée aujourd’hui au sein de la coalition Mankoo Wattu Senegaal ?

Wattu Senegaal est fondée sur trois points qui ne sont absolument pas une plate-forme d’une opposition mais les éléments constitutifs d’un front contre les dérives. Il s’agit d’abord des libertés : la défense de Sonko, Nafi Ngom Keita, Cheikhna Keïta, Amsatou Sow Sidibé, etc.  

Deuxièmement, un fichier électoral consensuel comme en 1992 pour la paix dans notre pays, pour échapper aux démons qui ont eu lieu en Côte d’Ivoire, au Libéria et ailleurs. Troisièmement, la récupération des ressources naturelles notamment pétrolières, minières et gazières. Ces points ne constituent pas une opposition. Il n’y a pas d’opposition à l’heure actuelle au niveau du Sénégal. Il y a un Front contre les dérives. Parce qu’un Front de l’opposition devrait avoir un programme alternatif qui n’existe pas.

Wattu Senegaal ne possède pas à ce jour un programme de gouvernement ni un programme de relations extérieures, encore moins un programme d’industrialisation, d’agriculture ou autres. Sous cet angle, elle ne dessine pas les contours d’une opposition. C’est un front ponctuel contre les dérives et à ce titre, elle souhaite le redressement du Sénégal avec ces trois points. Ce que demande cette coalition, c’est que  Macky Sall revienne sur ces trois points. On considère que la démission d’Aliou Sall n’est pas mal même si c’est insuffisant. Mais sur le fichier consensuel, c’est essentiel pour notre pays afin d’éviter les tricheries d’une façon ou d’une autre. Sur les richesses, malgré les explications du Premier ministre, il y a encore des choses à clarifier. Pour que la deuxième alternance ne soit pas un échec. C’est la raison pour laquelle, il est demandé à Macky Sall, dans les meilleurs délais, de reprendre M. Sonko, de s’asseoir là où il faut pour un fichier consensuel et de faire la lumière sur les ressources. Ces trois points sont des éléments d’une bataille pour le redressement qui a commencé dans  la mouvance présidentielle elle-même.

Comment expliquez-vous votre participation au Front Mankoo Wattu Senegaal ?

Je suis un membre fondateur de Gor ca wax ja parce que le redressement de la deuxième alternance signifiait que Macky Sall devait tenir son engagement et réduire son mandat de sept à cinq ans. L’idée de Gor ca wax ja est donc essentielle pour le redressement. La plupart des partis politiques qui ont rejoint les intellectuels et les sociétés civiles au moment du référendum étaient pour le boycott. Ce sont quatre mouvements civils qui se sont réunis et qui ont décidé de dire NON à Macky Sall. Les partis politiques par contre avaient pris la décision de boycotter. Le PDS avait sorti un communiqué pour appeler au boycott ainsi que And Jëf de Mamadou Diop Decroix, le Rewmi d’Idrissa Seck et le Grand parti de Malick Gakou. Le dernier samedi du mois de février 2016, on a dans les journaux les appels au boycott des partis politiques et des opposants les plus prestigieux. Dans les mêmes journaux, il y a l’appel du CIIS, du Forum du justiciable et d’un certain nombre de mouvements pour voter NON. Donc il ne faut pas qu’on perturbe la compréhension.

Ce sont les mouvements civils pour le redressement du Sénégal qui ont dit qu’il fallait voter NON et les partis politiques ont rejoint. Dans le prolongement de Gor ca wax ja qui demande au Président Macky Sall de tenir ses engagements, tous les Sénégalais qui sont pour le redressement de la deuxième alternance contre les dérives familiales, claniques etc. se sont retrouvés dans Mankoo Wattu Senegaal. Entre ces deux fronts, il s’agit de la même problématique du redressement de la deuxième alternance. C’est pour cela que les mouvements intellectuels, civils ou syndicaux qui sont dans Gor ca wax ja sont bien à leur place. En réalité, ce sont les partis politiques, surtout les opposants, qui sont venus rejoindre cette bataille peut-être en attendant de se donner de la force pour aller à l’assaut de Macky Sall. Ce qui est leur droit. Mais aussi bien Gor ca wax ja, historiquement, que Mankoo Wattu Senegaal mènent le combat pour que Macky Sall revienne sur le droit chemin qu’il a quitté.

Donc il n’y a pas aujourd’hui, du point de vue de l’analyse, une opposition constituée au Sénégal, c’est-à-dire ayant un programme alternatif. Le programme de Gor ca wax ja et de Wattu Senegaal ne sont pas des programmes de gouvernement ni des stratégies alternatives à celles de Macky. Ce sont des organes qui demandent à Macky Sall de revenir sur le chemin sur lequel il avait pris des engagements. C’est pour cela que nous sommes totalement à l’aise d’y travailler y compris demain avec Moustapha Niasse, Amath Dansokho ou des membres de la mouvance sur les trois points en question.

Vous considérez-vous comme un opposant ?

Malick Ndiaye, le CIIS et le Front pour la République des valeurs ne sont ni des opposants ni des transhumants. Nous l’avons dit à Macky Sall, nous sommes contre la transhumance parce que c’est contre les valeurs. Nous sommes contre la transhumance de Djibo Ka, d’Ousmane Ngom ou de Baïla Wane et de toutes ces personnalités qui ont déserté leurs camps pour aller se réfugier du côté de Macky Sall. Ça, c’est la transhumance. Nous avons reproché à notre camarade président la transhumance, notamment la théorie nébuleuse et dangereuse qu’il en a faite à Kaffrine. Nous sommes également contre le fait de considérer que Gor ca wax ja ou Wattu Senegaal, c’est l’opposition. Nous ne sommes pas des opposants. Nous sommes des combattants pour le redressement de la deuxième alternance mais qui assumons nos responsabilités. Nous engageons des combats sur la question de l’inspecteur des Impôts et domaines Ousmane  Sonko. Macky Sall n’a aucun intérêt sur cette affaire, il se rend simplement impopulaire. Parce que demain, les syndicats vont se mettre en mouvement. Aucun Etat ne peut tolérer la radiation, en plus d’un leader aussi qualifié que Sonko. Qu’est-ce que Macky Sall gagne dedans ? Rien du tout.

Sur le processus électoral, qu’est-ce que Macky Sall gagne avec un fichier non consensuel ? Rien du tout. Aujourd’hui, nous construisons le front des citoyens pour la République des valeurs. Le combat que nous menons, c’est pour la refondation des alternances. Ce qu’il y avait de bien dans l’alternance du 17 juin 1951, dans celles de 1981 avec le multipartisme intégral, de 2000 et de 2012, il faut que cela soit conservé. Il faut défendre les acquis de Wade, de Diouf, de Senghor et ceux de Macky Sall. Mais il ne faut jamais refaire les mêmes fautes qu’on a reprochées à Wade, à Diouf, à Senghor et à Lamine Guèye. Bref, nous pensons que la notion de recomposition des alternances permet de saisir cette révolution des comportements et des mentalités à laquelle nous appelons.

Le président de la République a récemment procédé à la mise en place du HCCT. La désignation des 70 membres qu’il a nommés a occasionné des frustrations dans les rangs de Macky 2012. Peut-on s’attendre à ce que cette coalition boude et présente ses propres listes aux législatives de 2017 ?

Macky 2012 historique n’a pas soutenu le Président Macky Sall pour des postes. Je ne trouve pas légitime que des membres de la mouvance présidentielle fassent des déclarations intempestives et parfois désordonnées pour dire qu’ils sont fâchés parce que Macky ne leur a pas donné des postes. Je trouve cela malsain. Parce que précisément, la bataille qui a été menée par Macky 2012 historique, ce n’était pas pour des postes. C’étaient des batailles de principe qui font que poste ou pas poste, on doit défendre la deuxième alternance. Je trouve que toutes les sorties ayant pour but, de la part de Macky 2012 ou ce qui en reste, de faire pression sur Macky Sall pour des postes, sont de faux arguments, dangereux. Malick Ndiaye et ses camarades n’ont pas mené cette bataille. La preuve, nous défendons la deuxième alternance sans avoir de poste. C’est une question d’éthique. Notre engagement n’est pas lié à des chocolats ou à des bonbons que le Président peut nous donner. L’erreur monumentale de Macky sur Aliou Sall, ce sont des gens en dehors de la mouvance présidentielle qui ont mené le combat jusqu’à la démission récente de ce dernier, tandis que les gens à l’intérieur de la majorité se taisaient pour ne pas encourir les coups de bâton du chef de l’Etat. La bataille a été menée au nom de la deuxième alternance car c’est une bataille de principe. Idem pour l’implication exagérée de la première Dame dans les affaires de l’Etat, dans les nominations comme avaient dit Mbagnick, Matar Ba et Farba Ngom. Parce que la bataille pour la deuxième alternance n’était pas pour des postes, mais pour des actes tendant à ramener la justice dans le pays, la quiétude dans les foyers, l’emploi pour les jeunes, les libertés pour les citoyens, la bonne gestion des ressources communes, etc.

Comment voyez-vous le compagnonnage de Macky Sall avec BBY ?

Il va de soi que les forces du deuxième tour, notamment celles de la coalition dont vous parlez, ont réussi à s’emparer du Président en profitant de ses faiblesses au moment de son arrivée au pouvoir, c’est-à-dire l’absence d’un parti fort et structuré. Parmi les causes de la dépendance irrationnelle vis-à-vis de Tanor Dieng et de Moustapha Niasse, il y a  le fait que Macky Sall n’est pas arrivé au pouvoir avec un parti au contraire de Senghor qui avait l’UPS, ensuite le PS et de Wade qui avait construit le PDS. Macky Sall a misé sur des partisans du deuxième tour qui avaient des appareils au détriment de Macky 2012 qui est généreuse et brave mais parfois manquait d’expérience. En dépendant de ces appareils, est-ce qu’il n’a pas mis son propre sort entre leurs mains ? Supposons, je le pronostique, que Moustapha Niasse, voulant devenir président de la République même pour quelques mois, crée une crise parlementaire. Macky serait obligé de raccourcir son mandat.

A ce moment, Niasse pourrait goûter à la présidence de transition. Supposons que le PS que l’on croit complètement démoli et Tanor, après avoir obtenu gain de cause, c’est-à-dire la présidence du HCCT, se mette à toiser Macky Sall. Ce serait une crise qui fatalement, imposerait une élection présidentielle anticipée en février 2017. Macky s'est rendu très impopulaire auprès de ceux qui ont sacrifié tout pour le faire élire. Ce sont les jeunes, les retraités, les femmes, les migrants.

Comment penser un seul instant qu’un jeune président né après les indépendances soit entouré de l’association des communistes, des maoïstes, des gauchistes et des bolchéviques alors que c’est le passé de ces gens qui a opprimé le peuple ?

Il croit suppléer ses carences en s’appuyant sur ces appareils mais ceux-ci, quel est leur état ? L’appareil de Moustapha Niasse a éclaté et une bonne partie des jeunes, même s’ils ne sont pas forcément chez Gakou, ne sont plus là-bas. On sait qu’avec la crise de Taxawu Dakar, le PS dont rêve Macky Sall n’existe pas. Il s’appuie sur une coquille qui n’est plus du tout le parti prestigieux de Senghor. Djibo Ka n’arrive pas à combler le vide. Vous voyez comment Macky Sall met en danger la deuxième alternance. C’est pour cela que nous, nous ne céderons pas. Nous mettons à nouveau en garde le président de la République sur les fausses alliances. L’alternance, la deuxième, devait opérer une rupture que le peuple attend toujours.

     
PAR ASSANE MBAYE ET HABIBATOU TRAORE (ENQUÊTE)
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