Pour ou contre le franc CFA ? Des économistes donnent leur point de vue dans un livre annoncé dans les rayons le 3 octobre prochain. Ils prônent l’enterrement de cette monnaie. Voici leurs arguments.
Si ça ne tenait qu’à eux, le franc CFA serait aujourd’hui une monnaie de singe. Un vestige de l’histoire économique de l’Afrique. Une pièce de collection pour les 14 pays du continent qui l’ont en partage ou pour les particuliers devenus nostalgiques de cette devise née officiellement le 26 décembre 1945. Kako Nubukpo est ancien ministre togolais. Bruno Tinel est maître de conférences à l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne. Le Sénégalais Demba Moussa Dembélé dirige notamment le Forum africain des alternatives. Et Martial Ze Belinga, économiste et sociologue, est rédacteur en chef du site Afrikara.Com.
Ils sont réputés farouches opposants au franc CFA. Ils dirigent « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. À qui profite le franc CFA ? » Un ouvrage à paraître le 3 octobre prochain et dans lequel des économistes tentent de démontrer que « le FCFA est une monnaie pour le pire ». Qu’il ne sert que les « élites fortunées » en leur permettant « de bénéficier d’un accès privilégié au marché mondial par une monnaie “’aussi bonne”’ que l’euro ».
« Une politique monétaire immuable »
Le livre « tombe à pic », constate Jeune Afrique qui en publie les bonnes feuilles sur son site. Une réunion des ministres de la zone franc se tiendra ce vendredi à Paris. « L’efficacité de l’investissement public », « l’identification des obstacles au développement et à l’intégration du crédit » et la « convergence en zone franc » sont les sujets au menu.
L’ouvrage arrive à point nommé d’autant plus que le Bissau-Guinéen Carlos Lopes, qui s’apprête à démissionner de son poste de secrétaire général adjoint de l’Onu et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, a estimé que le franc CFA est « un mécanisme désuet ».
« Il faut vraiment une discussion sur la zone franc, suggère-t-il à l’AFP ce jeudi. Aucun pays au monde ne peut avoir une politique monétaire immuable depuis trente ans. Cela existe dans la zone franc. Il y a donc quelque chose qui cloche. »
L’un des co-auteurs du livre, Ndongo Samba Sylla, s’interroge : « Émerger avec le franc CFA ou émerger du franc CFA ? » (chapitre 7) Réponse à la page 161 : « Le FCFA est une monnaie pour le pire, car la majorité des pays qui l’ont en partage a eu durant ces cinquante dernières années des performances économiques faibles et en dessous de la moyenne africaine. »
Croissance économique moyenne faible
Pour l’économiste sénégalais, le franca CFA « est une monnaie coloniale dont la finalité principale a toujours été de faciliter l’extraction de surplus économique de l’Afrique vers l’étranger, ce qui explique l’ampleur extraordinaire des transferts de profits et des flux financiers illicites qui continuent de saigner la zone franc ». Elle « est une monnaie dysfonctionnelle dont la combinaison avec les autres outils de politique économique donne la recette d’un cocktail économique mortifère. Enfin, si le FCFA a pu perdurer malgré son échec manifeste à susciter le développement, c’est parce qu’il est aussi le nom d’un système structuré de répression politique ».
Ndongo Samba Sylla ne s’est pas limité à émettre des avis. Il brandit des chiffres pour les étayer. Par exemple à la page 163 : « De manière générale, les pays de la zone franc ont rarement été capables d’obtenir, sur toute une décennie, un taux de croissance moyen du PIB réel par tête supérieur ou égal à 1 % (vingt-trois décennies sur un total de soixante-cinq décennies observables, soit 35 %). Il n’est ainsi pas surprenant de constater que l’appartenance à la zone franc rime avec croissance économique moyenne faible. »
La Guinée équatoriale qui, constate Sylla, constitue une exception dans la zone franc en matière de croissance économique, « est tout sauf un modèle de développement » (pp 163 et 164). « Le paradoxe est que le pays le plus riche en Afrique (et même plus riche que l’Espagne, son ancien colonisateur, lorsque son PIB par habitant est mesuré en termes de parité de pouvoir d’achat) est toujours classé parmi les PMA- les Pays les moins avancés ! »
D’Afrique, la France exporte vers la France
En conclusion, Ndongo Samba Sylla fait remarquer que « plus de cinquante ans après les indépendances, les pays de la zone franc demeurent donc plus que jamais dans la trappe de la spécialisation primaire » (p. 166).
Il développe : « Dans ce contexte (colonial), quand il est dit que telle colonie exporte tel et tel produit vers la France, c’est en réalité la France qui les exporte vers la France. Enfin, les entreprises françaises peuvent transférer leurs profits de manière illimitée vers la métropole. L’intégration monétaire intervient dans ce contexte pour réduire les coûts de transaction, maintenir la valeur (faible inflation et monnaie forte) et faciliter l’extraction du surplus économique vers la métropole. » (pp. 167 et 168)
Conséquence ? « À l’évidence, ce système colonial ne peut permettre la diversification du tissu productif, l’intégration commerciale au niveau communautaire, le développement d’une épargne domestique consistante et l’éclosion d’un secteur privé national, souligne l’économiste sénégalais. Pourtant, il a été laissé intact des indépendances jusqu’à aujourd’hui. Les relations économiques ‘françafricaines’ sont depuis lors demeurées en l’état. Ce qui a changé entre-temps, c’est surtout l’environnement économique mondial qui est devenu plus concurrentiel et multipolaire. » (pp. 167 et 168)
Une monnaie unique sous le leadership du Nigeria
Au vu de l’ensemble de ces facteurs, résume l’un des auteurs de l’ouvrage, les pays africains concernés tarderont à décoller. Il détaille : « Le franc CFA a beaucoup de défauts à lui tout seul. Couplé aux autres outils de politique économique, dont la coloration néolibérale est de plus en plus prononcée, il donne la recette d’un cocktail économique mortifère. Un tel environnement macro-économique ne permet nullement l’émergence. Jusque-là, il a plutôt alimenté des crises politiques et économiques récurrentes sur fond de misère sociale structurelle. » (p. 176)
Le Président Macky Sall appréciera.
Dans la conclusion de l’ouvrage, Bruno Tinel dégage des pistes pour une alternative au franc CFA. Il préconise : « Le futur ex-CFA pourrait se fondre en partie dans le projet de monnaie unique de la CEDEAO sous le leadership du Nigeria. Il resterait alors à imaginer ce que deviendrait la zone CEMAC. Il serait également possible d’imaginer une zone post-CFA incluant l’UEMOA et la CEMAC, ce qui limiterait l’emprise nigériane sur ses voisins, plus petits et moins puissants. » (pp. 237 et 238)
Auteur:Seneweb.com