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Migrants sénégalais détenus au Maroc : Entre l’enfer des prisons et le piège des passeurs

Rédigé par Dakarposte le Mardi 11 Mars 2025 à 21:49 modifié le Mardi 11 Mars 2025 - 21:55

Chaque année, plusieurs jeunes Sénégalais tentent de rejoindre l’Europe en passant par le Maroc. Pour beaucoup, ce rêve vire au cauchemar : arrestations, détention et retour forcé au Sénégal. Mame Mor Loum, Pape Souaré et Abdou Diop, trois ex-détenus, racontent leur descente aux enfers dans les prisons marocaines et l’impitoyable réseau des passeurs qui continue d’exploiter la détresse des migrants.


La migration clandestine vers l’Europe est un voyage semé d’embûches, de désillusions et, pour certains, d’enfermement. Derrière les promesses d’un avenir meilleur se cache une réalité sombre : celle des prisons marocaines où croupissent de nombreux Sénégalais arrêtés en pleine tentative de traversée ou accusés d’être complices des passeurs. Ces jeunes, prêts à tout pour atteindre l’Europe, se retrouvent piégés dans un engrenage infernal où la mafia des réseaux de passeurs dicte ses règles.


Le business clandestin des passeurs : un réseau bien huilé


Pour Abdou Diop*, l’histoire commence comme celle de nombreux jeunes Sénégalais. Arrivé au Maroc en avril 2022, il travaille d’abord dans des centres d’appels avant d’être tenté par la traversée vers l’Europe. Mais son embarcation échoue, et il se retrouve à la dérive en pleine mer. C’est à ce moment-là qu’il change de trajectoire et rejoint l’univers des passeurs. « J’ai d’abord été intermédiaire entre les passeurs marocains et les migrants subsahariens. Les Marocains géraient l’organisation, mais ils ne parlaient ni français ni wolof, alors on servait de relais », explique-t-il.

Le business est lucratif. Le prix d’une traversée varie entre 3 000 et 3 500 euros, avec des formules de « garantie totale » permettant aux migrants de ne payer qu’une partie à l’avance. Les passeurs offrent aussi des places gratuites aux « capitaines », souvent des Sénégalais ou des Gambiens, qui acceptent de piloter les embarcations pour ne pas avoir à payer leur propre passage. Mais ce rôle est risqué : en cas d’arrestation, ils sont traités comme des criminels et risquent plusieurs années de prison. « Quand un capitaine est arrêté, il prend toute la responsabilité. Les vrais organisateurs disparaissent et restent libres », ajoute Abdou.

La descente aux enfers

Le réseau de passeurs s’effondre pour Abdou lorsqu’il est arrêté en pleine mission de transport de migrants. Il purge une peine de huit mois de prison pour « association de malfaiteurs ». Il aurait pu rester plus longtemps derrière les barreaux s’il n’avait pas effacé toutes les preuves de son téléphone.

Pape Souaré, lui, n’a pas eu cette chance. Parti de Tambacounda en 2022, il tente plusieurs routes avant d’embarquer sur un zodiac qui tombe en panne au large de l’Espagne. Pour contacter les secours, il utilise son téléphone. Une erreur fatale. « Comme j’étais en possession du téléphone, les autorités marocaines m’ont accusé d’être le responsable de l’embarcation. J’ai été condamné à six mois de prison », raconte-t-il. Il y rencontre d’autres Sénégalais, dont certains écopent de « dix ans de prison sans même comprendre ce qu’ils signent », comme cet ancien berger analphabète accusé d’avoir causé un naufrage meurtrier.



Les prisons marocaines sont un véritable enfer pour les détenus subsahariens. « On nous appelait les « Africains du Sud » comme si nous étions des sous-hommes. Nous étions enfermés à plusieurs dans des cellules surpeuplées, mal nourris et maltraités », témoigne Mame Mor Loum, un autre migrant devenu prisonnier.

Ce dernier a vécu trois arrestations avant d’être finalement condamné. « Quand ils m’ont arrêté en pleine mer, les Marocains ont libéré tous les migrants arabes et n’ont gardé que les Noirs. » Les Sénégalais sont particulièrement ciblés et traités plus sévèrement. Malgré tout, il a retenté la traversé et a fini par se trouver en Italie où il réside maintenant.

Changer de nationalité pour éviter le pire
Face à cette discrimination, certains détenus préfèrent se faire passer pour d’autres nationalités pour éviter des peines trop lourdes. « Les Sénégalais sont ceux qui écopent des pires sanctions. Alors, certains prétendent être Guinéens ou Maliens. Cela leur permet d’avoir une peine plus clémente, voire d’être expulsés plus vite », explique un ancien détenu. Ce stratagème est une des seules issues pour espérer échapper à la brutalité des geôles marocaines. « J’ai connu des compatriotes qui ont pris une autre identité dès leur arrestation. C’était leur seul moyen de survivre », ajoute Mame Mor Loum.




Prenant le contre-pied de ce dernier, Abdou Diop, s’explique : « Il faut oser dire la vérité. La prison n’est pas certes facile mais la majorité des capitaines est originaire du Sénégal. Les Sénégalais maîtrisent mieux la mer que les autres nationalités. En plus, un capitaine ne paie pas la traversé parce qu’offrant déjà ces services. Les Marocains ont bien compris cela ». C’est dans cette logique que certains refusent de dire qu’ils sont des Sénégalais.

Selon un communiqué de la Directrice des Sénégalais de l’Extérieur, publié le lundi 10 mars 2024, les détenus Sénégalais répertoriés au Maroc sont au nombre de 299, dont 160 dans la juridiction du Consulat général du Sénégal à Dakhla, notamment 93 à Laâyoune ; 49 à Bouizakarne et 18 à Tan-Tan ; et 139 dans celui de Casablanca qui couvre le reste du pays.


Aujourd’hui, après avoir purgé leurs peines, ces ex-détenus sont rentrés au Sénégal et d’autres ont pu rejoindre l’Europe. Mais ils refusent de se taire. « Il y a encore de nombreux Sénégalais dans ces prisons. Ils vivent un calvaire et personne ne parle pour eux. Nous demandons aux autorités de réagir et de négocier leur libération », plaide Pape Souaré.

Pour ces jeunes, l’exil s’est transformé en cauchemar. Derrière les rêves d’Europe, la mafia des passeurs continue d’exploiter la détresse des migrants, et les prisons marocaines se remplissent de Sénégalais piégés dans une spirale infernale.





















Le Soleil

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