Meurtres et actes barbares: juger les coupables, mais condamner les responsables

Rédigé par Dakarposte le Jeudi 24 Novembre 2016 à 07:52 modifié le Jeudi 24 Novembre 2016 07:54

Le département de Pikine. Une poudrière. Qui peut exploser à tout moment. Et explosera indubitablement. Si l’on n’y prend garde. Il est en train de sombrer. Pire, il a déjà basculé. En effet, pour comprendre qu’est ce qui se passe dans toutes les banlieues du Sénégal, et où est ce que cela va aboutir irrémédiablement, il suffit juste de jeter un coup d’œil à Pikine. 

Autrefois cité dortoir ; Aujourd’hui une prison à ciel ouvert. Pour des millions de chômeurs composés aux trois quarts de jeunes qui se tournent les pouces, en rêvant à des destins impossibles. Qui ne s’accomplissent que pour quelques uns. Les lutteurs. Ou les chanteurs ! Un haut responsable me disait : « Tu ne peux appréhender la réalité de Pikine que si tu y vis ». Il n’a qu’à regarder ce qui s’y passe. C’est l’un, sinon le seul des départements du Sénégal où l’on déterre les morts. Cela n’est pas un scandale en soi, si on connait la situation de détresse matérielle des populations, m’a dit mon interlocuteur, avant d’ajouter : « Pour 50 mille francs un jeune te déterrera un mort, sans états d’âme » ! Ne nous trompons pas alors, dans le diagnostic de la maladie que nous souhaitons traiter. Sans éducation, sans formation, sans avenir, sans perspective, laissés à eux-mêmes, ces jeunes désœuvrés et ces pilleurs de tombes d’un autre genre sont rattrapés par le côté animal le plus vil chez l’être humain. Ne les cachons pas à nos yeux, c’est comme si nous avions peur d’affronter nos démons d’aujourd’hui, qui commencent déjà à être nos meurtriers en puissance ! « Mains oisives cœur fou », a dit un éminent penseur. Il ne croyait pas si bien dire, au vu de la situation de Pikine, et de la banlieue en général. 

Fatoumata Makhtar Ndiaye était Vice-présidente d’une institution et parente de notre Président de la République. Son nom s’ajoute à la longue litanies de meurtres aussi odieux que gratuits. Après la litanie d’actes barbares impunis. En effet, combien de morts ont été déterrés à Pikine ? Quel est le sort de ceux qui ont été attrapés et livrés à la justice ? Ils ont refusé de livrer les noms de leurs commanditaires, préférant pour l’un des acteurs de ce sacrilége, gardien en l’occurrence du cimetière mourir plutôt que de parler ! Voilà une des tares de notre justice héritée de la société qu’il nous faut corriger, si nous voulons stopper la spirale de meurtres, à côté d’autres mesures plus hardies. 

En effet, au Sénégal il y’a quelquefois des coupables, mais jamais de responsables. Tant qu’il n’y aura pas cette imputabilité des faits sur la base de laquelle la justice sera rendue en plus des moyens de combattre le crime, et surtout de le prévenir, nous irons crescendo dans l’abjection, nous plongerons dans une anomie ponctuée d’actes de cruauté inexplicables pour n’importe quel sociologue. Car le coupable, comme Œdipe c’est nous –mêmes. Ces meurtriers pour une cigarette, ces meurtriers pour une tasse de café ces meurtriers qui ont perdu la tête au vu des enveloppes bourrées d’argent continueront toujours de tuer, car on ne les a pas éduqués, on ne leur a pas appris à dire non à la violence. On ne leur a pas appris à dire non à la drogue. On leur a appris au contraire chez nous que l’argent ne se gagnait pas à la sueur de son front, il fallait dealer pour l’avoir. On leur a montré d’autres types de réussite sociale, avec à la clé la fameuse formule « mieux vaut avoir de la chance qu’une licence ». 

L’exemple est sous leurs yeux, les politiciens qui roulent en berlines rutilantes et font et défont les carrières, et distribuent des millions en veux-tu en voilà sont des ignares qui pour la plupart ne doivent leur réussite sociale qu’à leur langue ! Dans un contexte marqué par la pauvreté, si ceux qui détiennent les ressources et en jouissent pensent d’abord à leur sort au détriment de leurs semblables de la manière aussi scandaleuse qu’ostentatoire avec laquelle les politiciens de notre pays l’affichent, ne soyons pas étonnés que nous basculions dans une ère de crise sociale dont la société sénégalaise ne se relèvera pas. Le régime longtemps interpellé sur ces crimes crapuleux immondes et révoltants a toujours opté pour la fuite en avant. Ce énième meurtre est le coup de trop porté à notre conscience citoyenne. Il ébranle fortement notre confiance en la capacité de l’Etat d’assurer notre protection. Il est temps que l’Etat trouve une solution sérieuse au problème de l’emploi des jeunes. Il ne peut plus continuer d’occulter la problématique de l’éducation et de la formation de notre jeunesse, pour la préparer à relever les défis du futur qui sont de plus en plus imminents. Croire que ces meurtres constituent un défi sécuritaire que le recrutement de gendarmes et de policiers va régler est une énorme erreur. Il faut repenser le modèle social sénégalais. Il faut sauver la jeunesse. Demain, personne ne pourra dire qu’il n’a pas été averti. 

WAKH DEUG
Cheikh Amidou Kane
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