Me Pape Sène, président Csdh : « Les longues détentions sont une réalité au Sénégal»

Rédigé par Dakarposte le Jeudi 22 Septembre 2016 à 17:31 modifié le Jeudi 22 Septembre 2016 17:32

La mutinerie meurtrière de Rebeuss a provoqué un véritable tollé avec des réactions un peu partout dans les différents segments de la société sénégalaise. Le président du Comité sénégalais des droits de l’homme (Csdh), Me Pape Sène qui a choisi Seneweb pour donner son point de vue et ainsi proposer des solutions, n’a pas voulu faire dans la langue de bois. Voici un résumé de l’entretien exclusif qu’il a accordé à votre portail d'informations.

Compassion pour les victimes et appel au calme

«Au nom du Comité sénégalais des droits de l’homme que je dirige, qui est une institution nationale des droits de l’homme, le premier conseiller de l’Etat du Sénégal en matière de droits humains, nous tenons à présenter toutes nos condoléances au nom de l’Etat du Sénégal, à la famille du détenu qui a perdu la vie à la suite de la mutinerie qui a eu lieu à la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss. Cela dit, nous compatissons également à l’égard des vingt-sept détenus qui ont subi des blessures et aussi les quatorze agents de l’administration pénitentiaire qui ont été blessés. Le premier appel que je voulais lancer c’est un appel au calme. Il faut que les gens reviennent à la raison, à de meilleurs sentiments. C’est une situation qu’il va falloir gérer avec beaucoup de calme mais également avec une plus large discussion».

La problématique des longues détentions

 Le problème fondamental sur lequel tout le monde s’accorde, la cause essentielle de ces événements de Rebeuss, la problématique des longues détentions. Ceci est une réalité au Sénégal et même les autorités l’ont admis. Elles ont pour corollaire le surpeuplement de nos prisons et en particulier celle de Rebeuss. C’est d’ailleurs ce qui a conduit le président de la République, Macky Sall, à émettre la volonté de créer une seconde prison à Dakar dont la pose de la première pierre a été faite. Ce qui est salutaire. Maintenant, il est impératif pour l’Etat du Sénégal de trouver une solution aux longues détentions dans les prisons. Pour cela, j’estime que la construction de prisons constitue une solution. Mais il s’agit là de solution structurelle parce que c’est avec le temps que tout cela va se faire. Mais à côté de ces solutions structurelles liées à la construction ou même la réhabilitation de certaines prisons qui sont dans un état de vétusté extraordinaire, nous avons dans notre catalogue répressif, dans notre code de procédure pénale et dans nos textes répressifs, des instruments qui nous permettent aujourd’hui de pouvoir régler un certain nombre de problèmes de façon ponctuelle pour faire face à ces difficultés». 

La médiation pénale pour désengorger les prisons

«La première chose c’est la médiation pénale dont on ne parle pas très souvent. Mais si vous interrogez notre code de procédure pénale, vous retrouverez ce mécanisme de règlement alternatif des conflits qui se trouve être la médiation pénale. Et le propre de la médiation pénale est de permettre de régler une situation pénale qui oppose deux individus pour éviter la prison à l’un d’entre eux. La médiation pénale qui existe depuis 1999 peut permettre le désengorgement des prisons. Le second aspect sur lequel j’insiste personnellement, c’est celui relatif aux affaires criminelles. Parce que quand on parle de longues détentions, c’est par rapport aux affaires criminelles. Pour les affaires délictuelles, notre code de procédure peine à régler le problème de la détention provisoire. Nous avons l’article 127 bis du code de procédure pénale qui stipule de façon très claire que lorsqu’une personne est déférée devant un juge d’instruction et que laquelle personne est inculpée et placée sous mandat de dépôt, le juge d’instruction ne peut pas le retenir dans les liens de la détention pour une période supérieure à six mois. S’il ne clôture pas son instruction à l’issue des six mois, à partir de ce moment, il est mis fin d’office à son mandat de dépôt par l’administration pénitentiaire. Autrement dit il, est libéré d’office sans même l’avis du juge d’instruction. Cette disposition n’existe pas en matière criminelle où la détention provisoire est illimitée. C’est cela que déplorent les détenus à juste raison».

Des réformes pour rompre avec les longues détentions

«Il va falloir aller vers des réformes, et là, je tiens à signaler que la commission nationale qui est chargée de la réforme du code pénal et du code de procédure pénale au Sénégal, a pris en compte ces préoccupations qui sont intégrées dans la nouvelle réforme du code de procédure pénale, pour encadrer le travail du juge d’instruction en matière criminelle et le circonscrit dans des limites temporelles pour éviter des détentions prolongées qui, donnent parfois lieu à ce à quoi nous avons assisté à la prison de Rebeuss. Par rapport à la création des chambres criminelles dans les tribunaux de grande instance, c’est une réforme salutaire qu’il va falloir mettre en œuvre et l’encadrer davantage. Le fait de supprimer les Cours d’assises est une très bonne chose. Je tiens à rappeler que les tribunaux de grande instance contrairement aux Cours d’appels, se tiennent presque sur toute l’étendue du territoire national, et même au-delà. Parce que nous avons quatorze anciens tribunaux régionaux transformés en tribunaux de grande instance qui tiennent des sessions de chambres criminelles. Mais en plus de ces quatorze tribunaux de grande instance, nous avons d’autres chefs-lieux de départements qui vont abriter des tribunaux de grande instance. C’est le cas pour Tivaouane, Mbour, Mbacké, Rufisque, Guédiawaye, Pikine etc. Avec cette nouvelle carte judiciaire, nous avons espoir que cela va constituer un déclic».

La libération conditionnelle préconisée 

«La question de la création de nouvelles prisons est toujours agitée. Aujourd’hui, le problème avec la prison de Rebeuss, c’est que la capacité d’accueil a été dépassée depuis longtemps surtout à cause des longues détentions. La libération conditionnelle qui est dans notre arsenal d’instruments juridiques peut permettre de désengorger nos prisons. C’est la même chose pour le sursis à l’épreuve. J’ai fait douze années de barre en tant qu’avocat, mais ce n’est qu’une seule fois que j’ai eu la chance qu’on ait appliquée cette disposition à un de mes clients. Nous devons donc faire une analyse liée aux textes, certes, mais aussi accompagner les autorités dans leur volonté de faire en sorte que les détenus puissent vivre dans ces conditions meilleures».
 

Propos recueillis par Abdou Diawara
 

Auteur: Propos recueillis par Abdou Diawara - Seneweb.com

Cheikh Amidou Kane
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