Maroc : en Chine, Mohammed VI cherche un nouveau partenaire économique

Rédigé par Dakarposte le Jeudi 12 Mai 2016 à 10:56 modifié le Jeudi 12 Mai 2016 11:01

Par Nadia Lamlili
@nadialamlili
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Après la Russie et les pays du Golfe, le roi du Maroc a entamé mercredi une visite officielle en Chine pour attirer les investissements chinois et élargir le cercle de ses alliés. A compter du 1er juin, les Chinois seront exonérés de visa d'entrée au Maroc.


Il y a une dizaine d’années, les opérateurs économiques marocains avaient de l’urticaire à chaque fois que le mot « Chine » était prononcé. « À l’époque, ce pays venait de rentrer dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avec sa main d’oeuvre à bas coût et son milliard d’habitants. On se disait tous qu’il allait nous avaler en une bouchée », se rappelle un homme d’affaires marocain.

Dans les séminaires casablancais, la formule « Lorsque la Chine se réveillera, le monde entier tremblera », que Napoléon aurait prononcée en 1816, était à la mode. Ce qui n’empêchait pas, dans la vie de tous les jours, les Chinois de tisser leur toile au Maroc. « Dans le quartier Derb Omar, fief du commerce de gros à Casablanca, ils avaient acquis tellement de magasins qu’on redoutait que cela ne devienne un China town », se souvient notre homme d’affaires.

Se détacher des puissances occidentales

En se rendant au pays de Xi Jinping le 11 mai, à la tête d’une délégation comprenant 3 de ses proches conseillers et pas moins de 12 ministres, Mohammed VI veut montrer que l’image de la Chine a changé chez les Marocains. Ce n’est pas seulement un concurrent qui leur rafle des marchés ou qui leur vend des produits bon marché. Première puissance économique mondiale et troisième exportateur d’armes dans le monde, la Chine est, par ailleurs, un membre influent du Conseil de sécurité. Loin des Français ou des Américains, « Mohammed VI cherche à s’allier à une puissance internationale qui n’est pas réputée pour son interventionnisme politique dans les affaires internes des États ou pour un attachement aux diktats de la conditionnalité », glisse un officiel marocain.

Lancé dans un discours offensif envers l’occident,  Rabat veut s’affranchir de toute tutelle à l’égard d’un camp ou d’une puissance. De plus en plus, le royaume mène une politique de non-alignement qui lui permet de s’ouvrir à de nouveaux partenaires – après la Chine, Mohammed VI se rendra en Inde – capables d’influer sur les questions qui la concernent à l’international, en premier lieu le Sahara Occidental.

La Chine, compréhensive sur le Sahara

Sur ce dossier, après avoir plus ou moins neutralisé la Russie, le roi du Maroc cherche à avoir l’amitié de la Chine, même si cette dernière est déjà relativement proche du point de vue marocain. Si Pékin s’aligne officiellement sur la position de l’ONU, appelant à une solution politique de ce conflit historique, elle comprend bien le souhait de Rabat de recouvrer son intégrité territoriale. Le 29 avril, elle était parmi les pays amis du Maroc lors du vote de la dernière résolution sur le Sahara occidental au Conseil de sécurité. Une forme de politesse vis-à-vis d’un royaume qui adhère au principe d’une seule Chine, et n’a pas de représentation diplomatique à Taiwan.

En même temps, les Chinois ménagent l’Algérie, où ils ont de solides attaches économiques avec des investissements qui se montent à plus de 10 milliards de dollars (largement supérieurs aux 160 millions de dollars captés par le Maroc), sans parler de leur histoire commune de pays socialistes.

« Pourtant, le Maroc a plusieurs atouts qui intéressent la Chine, en premier lieu le port Tanger Med, véritable hub régional, sans parler des projets agricoles sous serre, du réseau routier…», fait remarquer Thierry Pairault, socio-économiste et sinologue, directeur de recherche émérite au CNRS. Pour lui, si la relation entre les deux pays n’arrive pas à décoller, c’est qu’il y a bien un problème d’opportunité et d’ouverture de l’économie marocaine vers la Chine. La balance commerciale entre les deux pays est largement déficitaire pour le Maroc. À la fin de novembre 2015, le Maroc avait exporté vers la Chine 2 milliards de dirhams de produits, essentiellement des engrais, des minerais de plomb ou du cuivre. Et il lui avait acheté pour 27,7 milliards de dirhams, surtout des voitures de tourisme, des tissus synthétiques et des appareils téléphoniques.

Made by China in Morocco

C’est pour remédier à ces défaillances économiques que Mohammed VI est parti chercher les investisseurs chinois chez eux, leur vendant la position stratégique d’un pays à la porte de l’Europe et de l’Afrique subsaharienne. « Les Marocains ne veulent plus du made in China, déjà ancré dans leur économie, mais le made by China in Morocco », avait plaidé Meryem Bensalah Chaqroun, présidente de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) lors du sommet sino-africain des entrepreneurs, organisé à Marrakech en novembre 2015. A partir du 1er juin, le roi du Maroc a annoncé que les Chinois n’auront plus besoin d’avoir un visa pour entrer au Maroc.

« Mais échaudé par des expériences infructueuses dans le passé, le royaume fait quand même attention à ne pas donner de projets clés en main aux investisseurs étrangers », fait remarquer un industriel marocain. En Afrique, Pékin a séduit de nombreux États africains en leur proposant une offre sur mesure :  les services de ses entreprises suivie d’une aide financière, via leur fond souverain China-Africa Developpment Fund (qui n’a pas le Maroc dans ses radars pour le moment). Mais, fréquemment accusés de ne pas embaucher assez de locaux, les Chinois cherchent à initier une nouvelle diplomatie en Afrique. Avec à la clé de nouveaux débouchés possibles.

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