Marie Khone et Absa Faye : Des dons au cœur d’une polémique protocolaire

Rédigé par Dakarposte le Jeudi 6 Mars 2025 à 10:05 modifié le Jeudi 6 Mars 2025 14:08

Les premières dames du Sénégal, Marie Khone et Absa Faye, ont longtemps évolué dans l’ombre de leur époux président, Bassirou Diomaye Faye. Cependant, ces dernières semaines, elles ont multiplié les sorties médiatiques, se rendant de plus en plus visibles, à l’instar de leurs prédécesseurs, malgré l’absence d’un statut formel en vertu de la loi.


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Les deux premières dames ont récemment attiré l’attention des Sénégalais par leurs initiatives caritatives menées de manière parallèle. Accompagnée d’une délégation d’autorités locales et nationales, la « Awo », Marie Khone, a généreusement distribué des denrées alimentaires aux habitants de Ndiaganio, son village natal. Elle a également offert un important lot de matériel médical à la structure sanitaire de la localité.


De son côté, Absa Faye, l’épouse du président Bassirou Diomaye Faye, s’est rendue à la pouponnière de Mbour où elle a réaffirmé son engagement en faveur de la petite enfance. Elle a promis de transmettre les doléances soulevées au chef de l’État et a plaidé pour la construction de nouvelles pouponnières à travers le pays.


Ces sorties médiatiques continuent de susciter des réactions vives, notamment sur les réseaux sociaux. En effet, de nombreux Sénégalais adoptent une vision critique à l’égard de l’implication croissante des premières dames. Sur ces plateformes, certains les comparent à leur prédécesseur, Marième Faye Sall.


Dans une vidéo virale, la journaliste Aïssatou Diop Fall va encore plus loin, évoquant une « concurrence » entre les deux dames et appelant le président de la République à « recadrer » ses épouses.


Le protocole d’État face à la réalité sociale


Si, d’un point de vue communicationnel, les actions des premières dames ne suscitent pas de reproches majeurs, leur démarche en solo soulève néanmoins un débat sur la place de l’épouse du président dans le protocole d’État, mettant en lumière la nécessité d’adapter les normes institutionnelles aux réalités culturelles et religieuses du Sénégal.


Le professeur Jean-Louis Corréa, agrégé des facultés de droit, explique qu’historiquement, le protocole d’État s’est basé sur des coutumes républicaines, telles que « l’accueil d’un président avec une seule épouse ». Cependant, l’arrivée du président Bassirou Diomaye Faye a remis en question cette tradition. En effet, il affiche publiquement sa polygamie en se déplaçant avec ses deux épouses, ce qui nécessite, selon le juriste, une adaptation du protocole d’État à cette réalité sociale.


Le professeur Corréa détaille que, dans une société où la polygamie est largement acceptée, la reconnaissance des deux épouses du président dans le protocole d’État devient essentielle, tant pour respecter les droits matrimoniaux du président que pour éviter de limiter sa liberté dans sa vie privée. Il souligne que l’absence d’adaptation risquerait de s’opposer à des principes de justice dictés par la religion.


Par ailleurs, en Gambie, le président Adama Barrow a opté pour une approche différente en se faisant accompagner par une seule épouse lors de ses sorties officielles. Toutefois, comme le souligne le juriste sur Pressafrik, « chaque chef d’État a le droit de déterminer le cadre dans lequel ses épouses interviennent dans le protocole », illustrant ainsi la liberté de Bassirou Diomaye Faye de faire accompagner ses deux épouses lors de ses déplacements officiels. Ce débat dépasse les frontières du Sénégal et soulève la question de l’adaptabilité des États africains à leurs réalités culturelles et religieuses.


Le professeur Corréa pense alors que « l’occidentalisation des institutions ne devrait pas se faire au détriment des traditions et des valeurs indigènes ».


Vide juridique


De Senghor à Bassirou Diomaye Faye, le Sénégal a connu plusieurs premières dames : Colette Senghor, Élisabeth Diouf, Viviane Wade, Marième Faye Sall et, aujourd’hui, les dames Faye. Toutes, ou presque, se sont investies dans des fondations et ont mené des œuvres caritatives, malgré l’absence d’un statut juridique clairement défini pour la fonction de Première dame.


Si chacune a marqué les années de présidence de son époux par sa personnalité et ses actions, un point commun les réunit : elles suscitent fascination ou interrogation auprès du peuple, souvent perçues comme ayant un pouvoir d’influence sur la gouvernance de leur mari. Chaque Première dame a laissé une trace dans l’histoire politique du pays.


Pourtant, malgré cette « acceptation » par l’imaginaire collectif, il n’existe aucune référence officielle à la fonction de Première dame dans les textes législatifs ou réglementaires sénégalais. Aucune mention n’est faite dans les décrets relatifs à la répartition des services de l’État, et aucune institution – ni la Présidence, ni la Primature – ne fait état de fonds ou d’attributions réservés à la Première dame.


En 2014, cette question a suscité de vives polémiques. L’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye avait souligné que « c’est la coutume qui a consacré la Première dame » et que « dans tous les pays du monde, les épouses des chefs d’État créent des fondations dont la vocation est d’intervenir dans le social ». De son côté, le docteur El Hadj Oumar Diop, enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, ajoutait : « Il n’y a rien dans les textes, c’est la coutume qui donne à la Première dame un rôle social à travers sa fondation ».


Cette situation confuse a poussé le régime du président Abdou Diouf à clarifier, en 1995, les notions d’associations non gouvernementales et de fondations, afin de dissiper l’amalgame qui existait à l’époque.


















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