Il aurait pu être l’homme par qui le consensus se renforce ; il est celui par qui le scandale arrive. Lui, c’est Amadou Mansour Faye. Il est né le 16 mai 1965 à Saint-Louis. En ces temps de pandémie, il a réussi une grande prouesse : faire rompre l’élan national de solidarité qui se dessinait autour de son mentor de président. Ravissant ainsi la vedette au virus mortel. L’ancien agent de la MTOA (Manufacture des tabacs de l’Afrique de l’Ouest) devenu ministre sous le règne de son beau-frère, n’en finit pas de faire l’objet de controverses. Et quand la polémique s’invite dans une interview accordée par le président de la République à des médias étrangers, voici sa réponse : ‘’Vous savez, ce qui est regrettable, c’est que lorsque nous attaquons des sujets d’importance, qu’on veuille nous ramener au ras des pâquerettes… qu’on nous ramène vers un débat de transport de vivres et que cela puisse être relevé à ce niveau ; j’en suis très désolé…’’ Aux dires du chef de l’Etat, c’est ‘’un débat politicien’’ destiné à ‘’nous faire perdre du temps’’.
Mansour peut donc respirer. Sa tête, réclamée par certains observateurs, ne sera pas coupée par le chef suprême de la magistrature. D’ailleurs, informe son collaborateur Papa Demba Cissokho, il reste plus que jamais serein et déterminé à poursuivre la mission à lui confiée par le chef de l’Etat. ‘’Au moment où je vous parle, il est au siège de l’APR pour faire le point sur la distribution des kits d’hygiène aux populations des 33 quartiers de Saint-Louis. Auparavant, il avait distribué des denrées alimentaires à tous les ‘daaras’ de Saint-Louis, pour inciter les talibés à rester chez eux, pendant cette période d’état d’urgence et de couvre-feu’’, confiait, hier vers 18 h, son proche collaborateur.
Interpellé sur l’état d’esprit de son mentor, il informe : ‘’J’ai trouvé en lui un homme serein et attentif aux préoccupations des populations, en cette période de pandémie. Il déroule ses activités, conformément à l’agenda qu’il s’était fixé depuis le début de la pandémie.’’
Ministre du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale depuis le dernier remaniement, en avril 2019, le ‘’citizen saint-louisien’’, sans être l’homme le plus diplômé au monde, a eu un parcours correct. Dans une interview accordée au journal ‘’L’As’’ en avril 2012, il confesse, modeste : ‘’Ma formation n’est pas compliquée. Mon dernier diplôme, pour le moment, est un MBA de l’université de Québec à Montréal…’’ C’était en 2007, pour celui qui a eu son baccalauréat ‘’avec mention Assez bien’’ en 1985. Bien auparavant, le ‘’goro’’ du président avait effectué, sur le plan académique, de brefs passages à l’ENSETP (octobre 1987-février 1988), à l’Ensut (octobre 1994 à juillet 1995)… Il aura également suivi des cours à l’Institut national des sciences appliquées de Toulouse (septembre 1995-juin 1997) pour une formation continue diplômante d’ingénierie en mécanique. Malgré ce parcours qui semblait le prédestiner plus pour les sciences et les technologies, Mansour brillera surtout dans le business.
Un businessman reconverti politicien
Après sept longues années (1988-1995) à la Manufacture des tabacs de l’Afrique de l’Ouest (MTOA), d’abord en tant qu’agent méthodes maintenances, ensuite comme responsable dans ce même service, nonobstant sa formation à l’Insa de Toulouse, il s’engage dans les affaires, à la fin des années 1990. Le frère de la première dame a été administrateur général adjoint de l’entreprise Guelel SA (fourniture de matériels industriels) de janvier 1999 à septembre 2004 ; directeur général de Ruy Xalel SA (fabrication et production d’aliments pour enfants) de mai 2001 à décembre 2003 ; administrateur de A2ME Sarl (Génie civil et BTP) de juin 2004 à décembre 2008, et enfin administrateur de la société à responsabilité limitée Fayefarms, de mai 2008 à avril 2012.
Puis arriva l’élection de son beau-frère, en 2012, qui le tira de l’anonymat le plus absolu. Au début, simple délégué à la Protection sociale, Mansour Faye se trouve aujourd’hui au centre des politiques majeures sur lesquelles repose le régime du président Sall. Il est dans la santé, dans l’agriculture, dans les infrastructures, dans le social, dans l’hydraulique… Bref, dans tous les secteurs qui intéressent le développement économique et social du pays.
Une voie royale pour le palais, ont vite décrié plusieurs observateurs qui soupçonnent une tentative de dévolution népotique du pouvoir.
Pourtant, dans le classement des ministères, selon leur budget, son département arrive à la 11e place, avec 101 milliards de F CFA. Mais en termes de possibilités d’investissements et de programmes politiques destinés à massifier l’électorat, il serait forcément l’un des mieux lotis, sinon le premier de la classe, avec des programmes très liquides comme le PUDC, Promovilles, Puma, les bourses de sécurité familiale, la CMU…
Pour cette raison, nombre d’analystes ont vu en lui le cheval de Troie du président de la République Macky Sall. Il serait ainsi, pour le régime de son beau-frère, ce que Karim Wade a été pour le régime de son père. Et les qualificatifs ne manquent pas à ses détracteurs pour le caractériser. ‘’Premier ministre caché’’, pour Mamadou Lamine Diallo ; ‘’vice-président caché’’, selon le président du groupe parlementaire Démocratie et liberté, et enfin ‘’ministre XXXL’’, si l’on en croit Déthié Fall du Rewmi.
Vendredi, la comparaison a encore été agitée avec emphase. Et quand un journaliste a fait le rapprochement, le ministre a ruminé sa colère et donné sa langue au chat.
Mais entre le fils de Wade et le beau-frère de Sall, les similitudes ne s’arrêtent pas seulement à leurs crânes dégagés comme des chauves.
Symbole de la dynastie Faye-Sall
Comme Wade fils, Mansour a souvent été suivi par la clameur. Délit de parenté, selon ses proches. Coupable de malversations, selon ses nombreux détracteurs. Comme griefs, il lui est reproché la corruption dans l’attribution du marché de l’eau à Suze ; de gérer de façon nébuleuse une partie des 69 milliards de F CFA destinés à l’assistance alimentaire, dans le cadre de la lutte contre les effets de la Covid-19, etc.
Dans le premier dossier, certains ont trouvé suspecte la coïncidence entre l’octroi, par Suez, de camions bennes à la mairie de Saint-Louis et l’attribution du marché de l’eau à la même entreprise. Maire de la vieille ville, Mansour était en même temps à la tête du ministère de l’Hydraulique, au moment de l’attribution de ce marché. Après avoir bu dans l’eau, revoilà donc l’ancien délégué général à la Protection sociale accusé de manger dans le riz.
Dans ce dernier scandale présumé, les griefs sont multiples. Tout est parti du marché de transport de la marchandise destinée aux populations, dans le cadre de la lutte contre la pandémie. Le 28 mars 2020, des transporteurs font un communiqué, suite à une assemblée, pour affirmer qu’ils vont mettre à la disposition de l’Etat leurs parcs de camions pour l’acheminement de ladite marchandise. Le 1er avril, malgré cette annonce, le ministre et son département en charge de ce programme d’assistance alimentaire, lancent un appel d’offres où ils excluent tout transporteur n’ayant pas 50 camions. Poussant le bouchon plus loin, la tutelle donne le marché à un député allié du pouvoir dont l’entreprise se trouve en liquidation judiciaire depuis 2019.
Ce qui a fini de semer la confusion dans la tête de certains transporteurs bénévoles. Pourquoi faire des largesses à un Etat qui s’entête à payer ?, se demandent certains camarades de Momar Sourang. Ce n’est pas tout. Il est aussi reproché à Mansour Faye d’avoir accordé la plus grande partie de l’approvisionnement en riz à un homme d’affaires franco-libanais méconnu dans la filière. Mais, se défend son fidèle collaborateur, tout ceci n’est qu’affabulations. ‘’Mansour est un homme très attaché aux principes qui gouvernent la transparence et la bonne gouvernance. Il est d’une grande probité morale. Il rappelle toujours à ses collaborateurs l’obligation de faire les choses dans le strict respect de la loi et des règlements’’. Dans cette affaire, pense-t-il, le ministre est quitte avec sa conscience. ‘’Il avait la possibilité de passer les marchés par entente, mais il a préféré jouer la carte de la transparence. Pour ce faire, il a ouvert la porte aux fournisseurs, en faisant publier un "avis de commande directe en procédure d'urgence", alors qu'il n'était pas tenu de le faire… Tout le reste est constitué d’insinuations sans aucun fondement légal’’.
En politique, le diplômé du Québec a réussi à s’imposer dans le grand appareil de Benno Bokk Yaakaar, à partir des Locales de 2014, quand il s’est imposé face à son adversaire du Parti démocratique sénégalais, Ahmet Fall Braya. Promu ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, dans la foulée de ces élections, l’homme fort de Saint-Louis trône, depuis la réélection de son chef, à la tête du tout-puissant ministère en charge du Développement communautaire.
La face cachée du ‘’goro’’ du président
Acculé de toutes parts, le ‘’goro’’ du président est sorti, vendredi dernier, de son mutisme, pour tenter d’apporter des clarifications au peuple sénégalais. Mais le résultat est mitigé. Pour beaucoup, le ministre, d’apparence discipliné, modeste et humble, est tout simplement passé à côté de la plaque. Celui qui aurait bien pu être classé dans la catégorie de ces hommes droits, justes, honnêtes et irréprochables, se révèle finalement homme susceptible, colérique, impulsif et peu serein devant l’adversité. Exit le Mansour Faye pondéré, calme et très mesuré ; place alors au lion qui somnolait jusque-là dans le cœur du présumé dauphin. En atteste son échange houleux avec le journaliste Babacar Fall, qui a commis le crime de l’interpeller sur ses présumées relations avec un des attributaires de marchés publics. Comme réponse, il sert : ‘’Bo mako wakhatee ma portee la plainte. (Si vous le répétez, je vous traduis en justice).’’
De l’avis de Jupiter Faye, consultant en art oratoire et intelligence émotionnelle, le ministre a raté son exercice de communication, malgré un bon début. Il explique : ‘’Dès que les questions ont commencé, il a montré ses limites. Il était trop sur la défensive. La preuve, à la première question, il préfère s’exprimer en wolof, sa langue de prédilection. On sentait déjà qu’il parle avec le cœur, comme s’il souffrait de quelque chose. Le ministre s’est présenté psychologiquement atteint.’’ Mais le plus inadmissible, à en croire le Country Manager de Kaizen Senegal, c’est l’énervement injustifié du représentant du gouvernement. Il apprécie : ‘’Un ministre, c’est de la retenue, c’est de la sérénité et de la hauteur. L’essence d’un point de presse, c’est la liberté de la parole. On ne peut pas convoquer un point de presse pour apporter des clarifications et en même temps menacer de porter plainte contre un journaliste qui n’a fait que poser des questions. C’est une erreur très grave dans son exercice de communication.’’
S’y ajoute, d’après l’expert, ‘’un grand manque de respect envers les journalistes et de l’agacement’’. La preuve, signale-t-il, par son rire moqueur. ‘’Le rire peut certes traduire la courtoisie, mais en l’espèce, il dégageait plus un manque de respect envers la personne qui pose la question. Pire, il a même coupé un journaliste. Cela ne se fait pas, en communication. Un ministre doit garder sa sérénité, laisser le journaliste poser entièrement sa question, sinon ça devient un débat’’, analyse l’expert.
En tout cas, ses oreilles ont dû siffler le lendemain. Les différentes parutions ont rivalisé d’imagination dans leurs titres, comme pour montrer que l’opération de clarification a échoué. Pour ‘’Sud Quotidien’’, c’est ‘’Mansour Faye en clair-obscur’’ ; pour ‘’L’As’’, ‘’Mansour Faye ne riz plus’’ ; pour ‘’Le Quotidien’’, ‘’Mansourd aux questions’’, pendant que ‘’L’Obs’’ titre : ‘’Mansour faille du consensus’’.
Un consensus pourtant acquis avec force manœuvres. Même le très hostile mouvement populaire Y en a marre avait fini de regagner les rangs, rejoindre le ‘’Général Sall’’ pour mener la croisade contre l’ennemi public n°1 : la Covid-19.
Ainsi, c’est l’œuvre de plusieurs jours, en un laps de temps, brisé par le maire de Saint-Louis depuis 2014. Comme son deuxième mariage avec la députée Aminata Guèye qui a duré le temps d’une rose, le frère de la première dame aura fait long feu dans le lancement de la présente campagne d’assistance alimentaire.
En bon sportif, le karatéka, ceinture noire, dispose sans doute de suffisamment de ressources pour rebondir, dans les jours à venir.
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