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Lumières sur une justice aux ordres : lettre au magistrat Ibrahima Hamidou Dème

Rédigé par Dakarposte le Vendredi 10 Février 2017 à 20:33 modifié le Vendredi 10 Février 2017 - 20:35

Dr Cheikh Tidiane DIEYE 
Membre fondateur de la plateforme Avenir Senegaal Bi Nu Begg 
Mon cher compatriote, 


Vous avez adressé à son Excellence monsieur le président de la République une lettre annonçant votre démission du poste de membre du Conseil Supérieur de la Magistrature. Je vous apporte un soutien sans réserve. J'endosse votre acte ainsi que l'intégralité des arguments que vous mettez en avant. Le diagnostic que vous faites du système judiciaire est la réalité hideuse qui se donne à voir tous les jours. Il suffit d'observer dans le mode de fonctionnement, ou de dysfonctionnement, de cette institution centrale ou par les interstices de sa relation avec le pouvoir exécutif pour s'en convaincre. 
Avancer l'argument, comme le fait le ministre de la Justice, selon lequel vous seriez tenu par l'obligation de réserve et que vous ne devriez pas communiquer est un faux alibi. Un alibi commode et facile par lequel les autorités, une fois encore, se cachent derrière leur petit doigt plutôt que de s'attaquer aux maux qui gangrènent cette prestigieuse institution dont certains des membres, tout comme vous, sont de valeureux sénégalais patriotes et progressistes. Ils attendent encore au sein de cette institution, hélas, des réformes trop longtemps étouffées sous la chape de plomb des calculs et intérêts politiciens. 

La sortie du ministre de la Justice contre vous est regrettable. Oubliant que la justice est la propriété exclusive du peuple au nom duquel elle est rendue, le ministre rue dans les brancards et tente d'imposer la loi de l'omerta au sein de l'appareil judiciaire. Ne sait-il pas que lorsque l'essentiel est en danger, parler et agir pour le changement deviennent un devoir pour tout patriote, à quel que niveau où il exerce dans l'appareil d'Etat? L'ingratitude vis-à-vis d'un pouvoir mal-agissant est une vertu. Préférer l'intérêt général à l'intérêt momentané d'une classe au pouvoir est un acte de devoir. Ceux qui ont fait comme vous dans la passé ont été sanctionnés. Vous le serez aussi, peut-être. Mais votre pays le vaut bien. La justice le vaut bien. Et demain il fera jour. 
Vous avez  tout mon respect. En refusant le silence de la compromission, vous mettez une apaisante baume sur le cœur de tous ceux qui aiment l'Etat de droit et œuvrent pour sa consolidation. 
Qu'avez-vous dit qui n'ait déjà été dit? Voici vos propos : " la justice traverse aujourd’hui une crise profonde, étroitement liée au manque de transparence dans le choix des magistrats. Ainsi constate-t-on, un traitement de certaines affaires, qui renforce le sentiment d’une justice instrumentalisée et affaiblit considérablement l’autorité des magistrats. Bien évidemment, la vitrine de la justice ne doit pas être une magistrature sous influence, mais plutôt une magistrature indépendante et impartiale, démontrant constamment dans ses décisions, que la justice est exclusivement au service de la vérité. 

Pardi ! Bien avant vous, la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) avait fait le même diagnostic de la séparation des pouvoirs: "Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, théoriquement indépendants les uns des autres, ne sont en fait ni séparés ni équilibrés… On note une «prédominance du Président de la République » sur les pouvoirs législatif et judiciaire…Il peut décider de tout, sans que sa responsabilité soit réellement engagée… Le Parlement est trop largement soumis à l’influence du chef de l’exécutif; il n’exerce pas toutes ses prérogatives dans le vote des lois et dans le contrôle efficient de l’action du gouvernement… Le Pouvoir judiciaire, supposé indépendant, se retrouve sous une certaine dépendance au Pouvoir". (Rapport de la CNRI, page 13) 
Sur la justice en particulier, la CNRI a révélé que "l’indépendance de la Justice a toujours été formellement proclamée mais n’a pas toujours été vécue surtout en ce qui concerne les magistrats du parquet". Or il est de notoriété publique, et en cela vous ne déflorez aucun secret, que  seule une justice indépendante à l'égard des Pouvoirs législatif et exécutif est en mesure de garantir l'Etat de droit auquel nous aspirons, mais qui reste encore une vieille chimère. 
Le ministre de la Justice a-t-il lu le diagnostic de la justice que le candidat Macky Sall avait fait dans "Yoonu Yokkute", lorsqu'il aspirait à gouverner le Sénégal? Ses propos d'alors ressemblent à s'y méprendre aux vôtres aujourd'hui : " Mis sous tutelle du pouvoir exécutif, instrumentalisé par ce dernier et insuffisamment doté en ressources humaines et matérielles, le pouvoir judiciaire n’est pas toujours en mesure d’assurer pleinement ses missions dans l’impartialité et l’indépendance." (Yoonu Yokkuté, 2012) 
Rien n'a changé, ou presque, depuis ce diagnostic. Sur le fond, le pouvoir avait l'occasion d'appliquer de véritables réformes lors du référendum, lesquelles aurait permis de corriger tous les maux que vous étalez à juste titre.  La CNRI lui en avait donné l'occasion à travers une recommandation consistant à revoir la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature pour en sortir le  Président de République et le ministre de la Justice. Ainsi, présidé par le président de la Cour constitutionnelle, institution dont il fallait introduire la création parmi les points de réforme du référendum de mars 2016, le Conseil supérieur de la magistrature aurait eu plus d'indépendance, de marge et de légitimité pour gérer la carrière des magistrats et organiser le système judiciaire conformément à l'intérêt général et pour le compte de la Nation sénégalaise. 

Dans une démocratie digne de ce nom, le pouvoir judiciaire est soustrait de l'empire du pouvoir exécutif ou du législatif. Les juges américains qui bravent les décisions de Donald Trump nous administrent la preuve de ce que doit être un magistrat conscient de son rôle social et historique. Ne méritons-nous pas autant que le peuple américain? 
Vous, monsieur Dème, avez choisi votre camp. Celui de l'intérêt général. Votre ministre de tutelle, celui de son parti politique. Invitons vos collègues magistrats à en faire autant. 

Honneur à vous monsieur Ibrahima Hamidou Dème. 
Votre compatriote, Patriotiquement. 

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