La politique est un monstre à plusieurs têtes et qui a sans doute aussi plusieurs cordes dans son arc. C’à quoi nous assistons ces derniers temps dans notre pays le prouve à suffisance. En effet, au regard de l’intransigeance surréaliste dont le chef de l’Etat et ses collaborateurs ont régulièrement fait montre relativement au cas Karim Wade, qui aurait pu croire que sa libération avant terme allait être à l’ordre du jour ? Lorsqu’un tel surprenant événement survient, évidemment, les questionnements ne peuvent manquer de se déchaîner. Des questionnements qui vont dans tous les sens…
Crédibilité du régime en place ?
De toute évidence, une fois Karim dehors, même sur la base d’une grâce (sur laquelle il aurait d’ailleurs déjà craché), le président de la République et tous les zélés promoteurs de la reddition des comptes comme Aminata Touré ne pourraient plus jamais être regardés avec le même air de déférence par une partie du peuple à laquelle ils ont vendu avec force discours moralisateurs la pertinence de la traque des biens supposés mal acquis.
En d’autres termes, leur crédibilité en prendra forcément un sacré coup dans la mesure où le rivage où ils nous auront finalement débarqués serait très éloigné de celui qu’ils ont fait miroiter. Et si jamais par extraordinaire le chef de l’Etat en arrivait à libérer son « otage » sur la base d’une amnistie, ce serait encore bien pire pour son image et pour celle de ses alliés et collaborateurs passés depuis maîtres dans la promotion de la traque.
Et le peuple dans tout ça ?
Les bases de la traque aux biens supposés mal acquis avaient été solennellement jetées au nom du peuple sénégalais. Mais au regard des conditions assez cavalières dans lesquelles les événements relatifs à la prochaine libération de Karim sont en train de se dérouler, il y a fort à parier que le peuple est complètement mis à l’écart. En effet, si « le Macky » a pu se donner la peine de faire le trajet Dakar-Touba-Tivavouane pour recueillir l’onction des chefferies religieuses, à l’effet d’amortir le choc de la décision, il aurait pu aussi, du coup, se rappeler que la consultation du peuple, d’une façon ou d’une autre, était un acte moralement indispensable.
Le travail de la Justice, un labeur insensé ?
Pendant de longs mois, toutes les ressources de la Justice ont été mobilisées aux fins de donner au cas Karim Wade un aboutissement digne de ce nom. Mais après de longs mois d’un travail laborieux et harassant, voilà ce qu’il advient du labeur de cette brave dame : le prévenu dûment condamné sera (probablement) tout bonnement gracié, sans aucune autre forme de…procès !!!
On est en droit de nous demander, alors, si ce n’est pas là un précédent plutôt inquiétant, qui risque fort de fragiliser l’autorité même de l’armature judiciaire en ce sens que demain tout concussionnaire, tout caïd ayant signé le plus horrible carnage pourrai se faire prévaloir du droit de grâce en se fondant légitimement sur la jurisprudence régalienne et discrétionnaire qui fit humer au fils de Me Wade l’air de la liberté.
Quel destin pour la coalition ? Quelle attitude des alliés ?
L’écrasante majorité des membres de la coalition « Bennon Bokk Yakaar » étaient entièrement solidaires de la décision de leur « capitaine » de faire payer cher aux membres du régime sortant leurs supposés incroyables pillages de nos deniers. Aujourd’hui que le chef de l’Etat a fini d’agiter l’idée d’une grâce de la seule vraie « proie » à être passée à la trappe, on se serait logiquement attendus qu’ils s’inquiètent au moins de la nature de la décision, à défaut d’être suffisamment libres pour la contester. Hélas, les rares d’entre eux à s’être prononcés sur la question ont préféré se cacher derrière l’idée, un peu trop facile peut-être, qu’après la sentence de la Justice, le président est tout à fait fondé à user de sa prérogative régalienne pour élargir le fautif dûment condamné. Une telle attitude face à une décision aussi grave est d’autant moins rassurante que le resserrement des rangs autour de cette coalition qui a porté le « Macky » au pouvoir respire avant tout à coups d’opportunismes que les intéressés ne rechignent jamais à exploiter, fussent-ils particulièrement infects.
On sort de sa bouche ce que l’oreille du « Prince » veut présentement entendre, et le cirque recommence !
Et demain, il fera jour…
Personne ne sait peut-être de façon exacte les raisons qui sous-tendent le projet de libération de l’homme Karim Wade. Ce qui est évident en revanche est que sous quelque angle qu’on puisse apprécier cet élargissement annoncé, il y a fort à parier qu’il sera totalement profitable au bénéficiaire et absolument défavorable à celui qui a estimé devoir le lui octroyer. En effet, le passage de Karim en prison a été un déclic pour une popularité que, libre, il avait du mal à trouver auprès du grand nombre. Aujourd’hui, après trois années passées derrière les verrous, pour des accusations que ses accusateurs ont eu bien du mal à motiver, l’homme s’est octroyé une aura enviable dont le prochain jaillissement éclaboussera forcément le « Macky » là où ça fait le plus mal. Car, comme nous le savons tous, déjà, même atteint de plein fouet par les contrecoups de la perte du pouvoir, le PDS n’est pas électoralement réduit à la portion congrue. Son candidat dehors, il saura aussitôt mettre dans son moulin un grain supplémentaire à moudre et trouvera par là même une bonne occasion de réveiller des ardeurs endormies.
Tandis que de l’autre côté, dans le « Macky », beaucoup de contrats de confiance se seront effilochés, des serments trahis, de nouvelles alliances contre nature mijotés, le tout sur fond d’une dégringolade irréversible du cheval marron, qui aura entretemps jeté au bord du « Macky » son coursier en mal de repères.