Les œillères bleu-blanc-rouge

Rédigé par Dakarposte le Lundi 19 Septembre 2016 à 11:01 modifié le Lundi 19 Septembre 2016 11:05

Un débat avait été ouvert, il y a quelques semaines, sur la question de la nationalité de nos élites dirigeantes. Une levée de boucliers a été organisée, suscitée ou entretenue par les personnes qui ne seraient pas très à l’aise dans un tel débat. On a allégué le risque de réveiller de vieux démons à l’instar de la problématique de la question de «l’ivoirité» en Côte d’Ivoire ou encore dans d’autres pays où la question de la nationalité a fortement divisé la classe politique. La frilosité a donc pris le dessus et la question a été vite enterrée, d’autant que le chef de l’Etat, Macky Sall, s’est autorisé une sortie sur la question pour la qualifier de débat inopportun. Le Président Sall se lavait ainsi, par sa déclaration, de toute volonté d’écarter, par ce truchement, de potentiels adversaires politiques de la course à la présidence de la République. Seulement, il a semblé oublier qu’il a été le principal artisan de la loi en 2012 sur la nationalité des élites politiques et de gestion des affaires publiques.


En effet, il était, fort justement, non seulement resté sur une ligne de démocratie, de transparence et de protection des intérêts supérieurs de son pays mais aussi l’exigence d’une nationalité exclusive pour les responsables de l’Etat avait longtemps été une revendication forte des la classe politique contre Léopold Sédar Senghor et contre le Président Abdou Diouf. Dans la Constitution de 2001, le Président Abdoulaye Wade avait introduit ce principe d’exclusivité de la nationalité sénégalaise pour pouvoir exercer les fonctions de chef de l’Etat du Sénégal, même si on a pu découvrir, a posteriori, qu’il avait été auteur d’un parjure. En effet, nul ne saurait envisager en France par exemple, qu’un chef d’Etat, un député, un maire, un ministre ou un dirigeant d’une entreprise publique quelconque, puisse se prévaloir d’une nationalité autre que française. D’ailleurs, dans ce pays très démocratique du reste, le fait simplement pour un homme politique de posséder un compte bancaire à l’étranger lui vaudrait d’être voué aux gémonies. Dans de nombreuses autres grandes démocraties comme aux Usa, en Suisse, en Italie, en Allemagne, en Angleterre ou ailleurs, il ne saurait être question pour un dirigeant public de se prévaloir d’une double nationalité. Qui va considérer ces nations comme des adeptes de pratiques anti-démocratiques ? Il est donc à regretter que le débat sur la nationalité ait pu faire autant peur au Sénégal et ainsi faire long feu. La classe politique a fait semblant de n’avoir pas entendu l’initiative du Forum civil, qui consiste à chercher à élargir les interdictions d’exercice de fonctions ou de responsabilités publiques, au-delà de la personne du président de la République, à toutes les autorités dépositaires d’un mandat public ou d’un pouvoir de décision, ou placées à des positions stratégiques et qui pourraient engager la responsabilité du Sénégal. Le Général Mamadou Mansour Seck, dans l’émission Grand Jury de la Rfm du dimanche 18 septembre 2016, a abondé, avec courage et vérité, dans le même sens. Au demeurant, il ne saurait être acceptable, dans un régime démocratique soucieux de protéger et préserver les intérêts supérieurs d’un pays, que ses dirigeants puissent se prévaloir d’une autre nationalité. La possession d’une nationalité impacte assurément les sentiments ou induit un certain subjectivisme qui ne pourrait ne pas se ressentir dans des arbitrages mettant en cause des intérêts de divers pays. Par réflexe, n’importe quel citoyen du monde a tendance, dans un banal match de football, à supporter l’équipe du pays de sa nationalité quand elle est confrontée à celle d’un autre pays.
Cette question semble aujourd’hui être d’une grande importance quand on observe l’attitude de la classe politique sur certaines affaires de l’Etat pouvant générer des intérêts économiques. Tous les questions, affaires ou contrats qui ont pu provoquer l’ire ou l’interrogation de l’opposition au Sénégal, ces derniers mois, ont concerné des intérêts autres que français. Les exemples sont légion.
Nous avons pu éprouver un certain attendrissement quand le débat a passionné des élites politiques sur la sauvegarde ou la préservation des intérêts du Peuple sénégalais dans la gestion des contrats dans les secteurs du pétrole et du gaz. C’est une préoccupation légitime. Seulement, pourquoi uniquement le pétrole et le gaz, car il reste d’autres secteurs d’activités économiques à forte puissance de retombées économiques pour le Sénégal, devant lesquels les acteurs politiques font profil bas ou mettent des œillères. Il sera dans ces conditions, difficile de nous enlever l’idée que les coups de boutoir contre les contrats de Petro Tim ou Kosmos Energy se justifient par le seul fait qu’elles ne sont pas des compagnies françaises. Il est évident que la France s’est fait devancer dans ce secteur par les Ecossais et les Australiens notamment. Ne chercherait-on pas à faire peur ou à susciter des complexes au niveau des gouvernants pour les forcer à prendre en compte les intérêts français qui commencent à se manifester pour ce secteur ? Qui a jamais entendu l’opposition politique s’émouvoir des profits réalisés chaque année par Orange au Sénégal et qui sont en très grande partie systématiquement rapatriés en France ? Nul ne les entend vitupérer sur le caractère secret des négociations pour le renouvellement de la licence ou de la concession accordée à Orange. N’est-il pas curieux de demander de rendre public le contrat liant l’Etat du Sénégal à Petro Tim et ne pas demander la même chose en ce qui concerne Orange ou dans le secteur de l’eau, le contrat liant Eranove, vendu par Bouygues à la française Axa, à l’Etat du Sénégal ? On ne cherche à rien savoir sur les éventuels avantages léonins consentis à des compagnies françaises. Le dernier exemple et on ne peut plus illustratif, est l’opération de révision, aux allures de scandale, de l’amende que l’Agence de régulation des télécommunications et des Postes (Artp) avait infligée à la société Orange pour des dysfonctionnements et de manquements répétés. Qui a encore entendu un opposant s’interroger sur les raisons de la reculade ou de la subite mansuétude du Conseil de régulation de l’Artp ? Pourtant, les mêmes opposants politiques au gouvernement, ont hurlé pour dénoncer d’éventuelles exonérations fiscales accordées à des entreprises dans le secteur du pétrole et du gaz. Le ministère de l’Economie, des finances et du plan a vite démenti de telles accusations d’exonérations fiscales. On finira par croire, encore une fois, que l’opposition perd la voix chaque fois que des intérêts français sont en question. Comme par exemple, dans le bras de fer entre l’Etat du Sénégal et la société Senac dans le cadre de la gestion de l’autoroute à péage. Le Président Macky Sall refuse d’inaugurer le deuxième tronçon, tant que l’entreprise exploitante n’aura pas accepté de réduire les tarifs, qui sont du reste les plus chers au monde. L’élan de défense des intérêts du Peuple sénégalais n’a poussé aucun opposant à soutenir le gouvernement dans un tel combat ! Quid des discussions sur le renouvellement du contrat d’affermage consenti à une entreprise française dans le domaine de la distribution de l’eau au Sénégal ? Le souci de cerner la transparence et la bonne gouvernance n’a pas encore poussé à s’y intéresser ! Personne ne s’était interrogé sur les conditions d’octroi à la société française Alsthom, d’un marché de plus de 372 milliards de francs Cfa portant sur la réalisation du projet du Train électrique régional (Ter) de Dakar. 
Le fait que, sur plainte d’une société chinoise, l’Armp ait cassé ledit marché n’a suscité le moindre intérêt. Il est difficile de ne pas croire que si les Chinois avaient remporté le jackpot, les opposants s’en seraient saisis pour en connaître les tenants et aboutissants. La bonne preuve est le contrat donné à une entreprise chinoise au sujet de la réalisation de l’autoroute Ila Touba. On a bruyamment dénoncé un gré à gré, alors que tout le monde connaît les conditions et termes d’un marché conclu sous le régime légal d’une «offre spontanée». Qui n’a pas observé l’attitude circonspecte pour ne pas dire blasée de certains responsables de l’opposition au sujet des contrats accordés au Port de Dakar à des entreprises françaises comme Bolloré ou Necotrans ? Il est fort à craindre que l’opposition cherchera à acculer les autorités de l’Etat sur le scandale de la vente de carburant de mauvaise qualité au Sénégal et dans d’autres pays africains, révélé la semaine dernière par un rapport de l’Ong Public Eye.  Aucune des compagnies coupables n’est française. Peut-être qu’il en serait autrement si Total par exemple, était dans le lot. D’ailleurs, pourquoi une enquête aussi sélective ? Qui peut aujourd’hui certifier la qualité des produits dans les cuves de pétroliers français au Sénégal et ailleurs en Afrique ? 
En définitive, le gouvernement ne serait coupable d’opérer de mauvais choix ou d’avoir des pratiques de mal gouvernance ou de je ne sais quoi, que si les intérêts en jeu sont autres que français. Qui parmi les responsables politiques de l’opposition peut-il dire qu’il n’est pas détenteur de la nationalité française ? On allait oublier, comme le dit Anatole France : «Les hommes politiques sont comme les chevaux. Ils ne peuvent marcher droit sans œillères.»
Recommandé Pour Vous