Le désormais ex-président gambien, Yahya Jammeh, a quitté la capitale Banjul, samedi soir 21 janvier, à bord d’un avion privé en compagnie du chef de l’État guinéen, Alpha Condé, qui jusqu’à la dernière minute a fait feu de tout bois pour convaincre le "Roi des rivières"qui, quelques jours avant, martelait qu’il allait se battre jusqu’à son dernier souffle si jamais les troupes de la Cedeao tentaient de le déloger par la force du pouvoir.
En effet, après plus d’un mois de tensions politiques et d’isolement diplomatique, Yahya Jammeh a fini par ôter sa tenue de kamikaze pour enfin céder le pouvoir à son successeur, Adama Barrow, élu le 1er décembre 2016.
C’est au terme de plusieurs heures de négociations minutieuses et de rebondissements dans la journée de vendredi 20 janvier que les négociateurs sont parvenus à obtenir un accord indiquant que Jammeh a enfin accepté de quitter la direction de son pays qu’il dirigeait depuis 22 ans.
La négociation de la dernière heure
Tout est parti le jeudi 19 janvier, lorsque le président mauritanien, Ould Abdelaziz, à la suite des émissaires du Roi du Maroc qui n’avaient pas pu la veille faire entendre raison à Jammeh, a tenté d’engager une mission de bons offices à quelques heures juste après le déploiement des troupes de la Cedeao à la frontière de la Gambie.
Ould Abdelaziz débarque à Banjul avec un message clair : convaincre Jammeh à céder le pouvoir. La tâche semble ardue et même surréaliste. Mais le président mauritanien dispose d’une marge de manœuvre. Il reste l’un des rares chefs d’État, à l’instar du président guinéen, à entretenir de bons rapports avec Jammeh. Ould Abdelaziz a permis à Jammeh de faire transférer à Nouakchott par voie navale une grande partie de ses voitures de luxe.
Jammeh, sous l’ultimatum de la Cedeao, a décidé de lancer une opération militaire le 19 décembre à minuit. Heure qui correspond avec la fin du mandat constitutionnel de Yahya Jammeh qui la veille a tenté par tous les moyens de se maintenir au pouvoir au mépris même de la Loi fondamentale de son pays.
Lors de leurs échanges respectifs, le président mauritanien a indiqué à celui qui était en train de compter ses dernières heures à la tête de la Gambie de se ressaisir avant que l’irréparable ne se produise.
Selon notre source, Ould Abdelaziz qui a même haussé le ton aurait signifié à Jammeh que s’il ne cède pas, il sera considéré comme un rebelle, car Barrow prêtera serment le lendemain et sera reconnu comme président. Il n’a pas envie de le voir subir le sort de Gbagbo. Jammeh tergiverse, pose des conditions, Ould Abdelaziz, agacé, décide de quitter Banjul en déclarant qu’il était pessimiste.
La tension monte de nouveau entre la Cedeao et Banjul. Tout le monde a désormais les yeux tournés vers Dakar où le chef de l’État mauritanien marque un stop pour rencontrer Macky Sall au Salon de l’aéroport de Banjul. Les deux chefs d’État sont ensuite rejoints par Adama Barrow. Rien ne filtre de l’entretien Ould Abdelaziz qui regagne son avion sans faire une déclaration.
Les préparatifs de la cérémonie d’investiture de Barrow se précisent à Dakar. Dans le même temps, le chef d’état-major de l’armée gambienne lâche Jammeh. Ousmane Badjie déclare : «Qu’il n’engagera pas ses troupes dans un combat stupide contre les troupes de la Cedeao qui sont d’ailleurs les bienvenues en terre gambienne».
C’est une défection de taille. Jammeh est lâché par l’armée. Il ne compte plus que sa garde prétorienne et les mercenaires. La nuit du 18 au 19 janvier devient très longue. Jammeh est retranché dans son palais avec sa famille et un bloc de fidèles. L’issue d’une intervention militaire se précise.
Le 19 janvier, comme prévu à 16 h, heure de Dakar, Adama Barrow prête serment depuis l’ambassade de la Gambie à Dakar. Jammeh refuse de regarder les images à la télé. Il est coupé de l’armée dont il ne parvient plus à joindre les responsables. Dans les rues, le peuple jubile, le chef d’état-major se joint même à la foule pour célébrer la prestation de serment d’Adama Barrow. Les Gambiens se rendent compte que le lion de Banjul a perdu plusieurs dents, mais n’est pas prêt à battre en retraite.
Les troupes de la Cedeao pénètrent en territoire gambien en procédant à l’encerclement ciel, mer et terre de la Gambie. Les avions de chasse effectuent des vols de reconnaissance au-dessus de Banjul dans le début de la soirée du 19 janvier.
Alpha Condé, depuis Zurich, contacte Macky Sall, Buhari, Sirleaf et Marcel de Souza, le président de la commission de la Cedeao, qui a installé un centre d’opérations dans un hôtel à Dakar. Le chef de l’Etat guinéen sollicite la suspension des opérations militaires pour lui permettre de se rendre à Banjul pour tenter de convaincre Jammeh. Le Maroc et la Mauritanie lui emboîtent le pas. La Cedeao décide de suspendre les opérations. Jammeh a jusqu’à midi pour céder le pouvoir.
Alpha Condé décolle de Zurich, effectue une escale à Nouakchott où il embarque Ould Abdelaziz pour mener la médiation de la dernière heure.
Les dessous d’une négociation qui a permis d’éviter le pire
Au terme d’une journée où tout a failli basculer, les présidents guinéen et mauritanien sont parvenus à ramener Yahya Jammeh à la raison. Celui qui quelques heures auparavant refusait de transmettre le pouvoir au vainqueur Adama Barrow accepte enfin de céder, mais Jammeh réclame en contrepartie des garanties.
Jammeh a accepté de quitter non seulement le pouvoir mais aussi et surtout la Gambie pour permettre au nouveau président élu de s’installer dans ses fonctions. La nouvelle fait l’effet d’une bombe. Mais le peuple gambien semble ne pas y croire tant que Jammeh ne l’annonce pas lui-même publiquement. En effet, ils ne sont pas nombreux à croire à un homme habitué au revirement et à la versatilité. Tard dans la nuit, sur les antennes de la télévision gambienne, Jammeh annonce sa propre chute.
Ce n’est certes pas la première fois qu’il se livre à un tel spectacle, s’exclame un analyste de la politique africaine. L’homme fort de Banjul déclare «que son pouvoir était divin et qu’il se soumettait au seul jugement de Dieu», mais il a décidé en son âme et conscience de quitter le pouvoir.
Jammeh déclare abdiquer «pour éviter le bain de sang et l’asservissement de son pays par des puissances étrangères.»' L’illuminé semble revenir sur terre au détriment du surnaturel et du surréalisme, car nous constatons que les autocrates tyrans peuvent aussi, si le contexte l’impose, avoir du cœur.
«Personnellement, j’attends qu’il décolle pour croire», déclare un habitant de Banjul joint par Les Afriques, car ce «kamikaze» nous a habitués à des revirements. Les présidents Alpha Condé et Ould Abdelaziz ont passé la nuit à Banjul, accrochés au téléphone avec Buhari, Déby, Macky Sall, Obiang et la présidente du Libéria Sirleaf.
Les négociations ont été laborieuses et souvent tendues. Pendant de longues heures, Alpha Condé et Mohamed Ould Abdelaziz ont tenté de faire comprendre à Jammeh que sa démarche était suicidaire.
Impossible pour lui de tenir face à l’arsenal militaire déployé pour le faire partir par la force. Alpha Condé qui entretient de très bons rapports avec Jammeh a cité les exemples de la Libye et de la Côte d’Ivoire où Kadhafi a été assassiné et Gbagbo envoyé à la CPI.
Condé, selon une de nos sources proche du chef de l’Etat gambien, nous souligne que ce dernier a indiqué clairement à Jammeh qu’il n’était pas venu pour l’enterrer, mais pour lui éviter le pire. L’homme qui a dirigé la Gambie d’une main de fer pendant plus de 22 ans explique au président Condé qu’il avait déjà annoncé au président mauritanien la veille qu’il quittait le pouvoir, mais pas la Gambie. Alpha Condé informe alors ses homologues sénégalais et nigérian.
Réponse? Pas question que Jammeh reste en Gambie. Les présidents Condé et Ould Abdelaziz reviennent à la charge et expliquent à Jammeh qu’il était indispensable pour lui de quitter la Gambie pour éviter un bain de sang. Finalement, Jammeh accepte, mais demande des garanties pour lui et ses proches. Alpha Condé se retire pour informer Macky Sall.
Reste maintenant à discuter des modalités. Pendant que les trois dirigeants en discutaient, le camp Barrow annonce de façon triomphale sur les médias internationaux la fin de l’ère Yahya Jammeh. Une annonce qui a suscité l’ire de ce dernier qui lance aux deux chefs d’État : «Vous voyez! Ils veulent m’humilier».
Furieux, le président Condé appelle également à nouveau son homologue sénégalais pour se plaindre : «Macky, je te donne des informations sur l’évolution des négociations et tu les divulgues pendant qu’on n’a pas fini», lui dit-il. Le pire a été évité de justesse.
Le président guinéen décide de passer la nuit à Banjul pour poursuivre la médiation. Jammeh annonce finalement à la télévision d’État qu’il quitte le pouvoir. Il veut des gages que ses proches ne feront pas l’objet de chasse aux sorcières.
Les dernières exigences de Jammeh
La veille de son départ du pays, Jammeh était apparu à la télévision publique pour affirmer qu’il allait quitter le pouvoir, «de son plein gré, et au nom des intérêts supérieurs du peuple gambien». Néanmoins, selon nos sources et des informations exclusives en notre possession, la journée du samedi 21 janvier a été épuisante pour les négociateurs, les présidents guinéen, Alpha Condé, et mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, qui ont mené la médiation dite de la dernière chance.
Selon une source proche du président de la commission de la Cedeao, Marcel de Souza, au moment où les conditions du départ de Jammeh avaient été acceptées par l’ensemble des parties avant la déclaration télévisuelle, l’autocrate et marabout président a voulu renégocier certains termes de l’accord avant de quitter le palais présidentiel.
Officiellement, la journée du samedi est donc accordée à l’ancien autocrate pour «faire ses bagages», mais dans les coulisses, la nervosité gagne les négociateurs au fur et à mesure que Jammeh étend sa liste de revendications. Son départ semble de plus en plus incertain et il faudra qu’Alpha Condé use de tout son talent diplomatique en mettant en avant la culture mandingue pour aboutir à une solution diplomatique qui a permis d’éviter l’opération militaire.
Les secrets d’un périple
Le cortège de Jammeh quitte la State House en fin de journée de samedi 21 janvier, les Gambiens prennent d’assaut les artères qui mènent à l’aéroport pour voir de leurs propres yeux le départ de celui qui a dirigé le pays d’une main de fer durant 22 ans.
Entretemps à l’aéroport, quelques partisans restés fidèles à l’ex-chef d’État se massent sur le tarmac de l’aéroport pour saluer le départ de leur leader. L’émotion est vive, les uns pleurent, les autres s’estiment heureux de le voir quitter le pays en vie. Sans aucun honneur militaire, l’homme qui marchait sans nul doute pour la dernière fois sur le tapis rouge venait de s’apercevoir qu’il devenait un simple citoyen.
Jammeh fait un dernier adieu avant de prendre son siège dans le Falcon en brandissant le Coran face à quelques supporters présents sur le tarmac de l’aéroport de Banjul. Il s’envole finalement pour l’exil, samedi 21 janvier, mettant fin à un feuilleton qui aura duré plusieurs semaines. Yahya Jammeh et le président guinéen, Alpha Condé, quittent Banjul, à 21 h GMT, pour Conakry.
«Nous sommes libres maintenant». En apprenant que Yahya Jammeh avait effectivement quitté la Gambie, des habitants de Banjul sont sortis dans les rues, manifestant leur joie notamment.
Tout est bien qui finit bien. Alpha Condé est arrivé à Conakry en fin de soirée avec Yahya Jammeh après une journée mouvementée. Le désormais ex-président gambien n’a pas passé la nuit dans la capitale guinéenne. Un Falcon de 30 places, affrété par Obiang Nguema de la Guinée équatoriale, l’attendait depuis des heures sur le tarmac de l’aéroport international de Conakry Gbessia.
Il a continué dans la même nuit en Guinée Équatorial avec à son bord le vice-ministre à la Sécurité de la Guinée équatoriale. L’avion transportant l’ex-homme fort de Banjul atterrit à l’aéroport de Mogomoyen autour de 2 h du matin avant de prendre la direction de Mongomo, le village natal du président équato-guinéen.
La suite de la délégation de Jammeh a été logée dans le grand complexe hôtelier de Diblo dans la ville d’Oyala. Jammeh est accompagné d’une forte délégation composée de son épouse, son fils et plusieurs de ses proches collaborateurs ou membres de sa famille. Ses effets personnels qui sont restés à Banjul devraient également regagner son lieu d’exil directement à bord d’un grand cargo envoyé par le président tchadien, Idriss Deby Itno.
Le transfert des bagages se déroule sous la supervision du représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, Mohamed Ibn Chambas, et de Tibou Camara, un proche d’Alpha Condé et de Yahya Jammeh. L’épouse de Tibou Camara est la sœur directe de l’épouse de Jammeh. Dans sa médiation, le président guinéen a bénéficié d’un soutien important de son homologue tchadien, président en exercice de l’Union africaine.
Ainsi, une page de l’histoire se tourne en Gambie après 22 ans de règne de Yahya Jammeh. Une nouvelle ère s’ouvre pleine d’espoirs, mais surtout avec beaucoup d’incertitudes. La situation recommande au nouveau président de la hauteur et une grandeur d’esprit pour réconcilier les Gambiens et jeter les bases de la construction d’un État démocratique et prospère. L’Histoire le jugera à la tâche. Sans complaisance.
Jammeh a donc quitté les berges de la Kambi Bolongo pour atterrir dans la forêt équatoriale de Mongomo en Guinée équatoriale, village natal du chef du président Obiang. En attendant d’en savoir un peu plus, aucun dignitaire équato-guinéen ne s’est encore exprimé sur l’arrivée de l’ex-homme fort de Banjul. Jammeh a donc atterri avec sa suite à la ville de Mongomo.
Dans une déclaration commune publiée peu après le départ de l’ex-président, la Cedeao, l’Union africaine et l’ONU ont annoncé garantir les droits de Yahya Jammeh, y compris à revenir dans son pays, saluant sa «bonne volonté» pour parvenir à un dénouement pacifique de la crise.
Les trois organisations veilleront à le soustraire, avec les siens, aux tentatives de «harcèlement» et de «chasse aux sorcières». Elles se portent également garantes des propriétés de l’ex-président, de sa famille, des membres de son régime ou de son parti, selon les termes du texte.
La requête première avait trait à la «sécurisation» d’un revenu pour Jammeh et sa famille, ainsi que d’un point de chute définitif pour lui et son entourage. Le premier écueil franchi, restait la validation du communiqué conjoint de l’ONU, l’Union africaine et d’Ecowas, dont Jammeh discute chaque mot et chaque virgule.
Pour ce dernier, cet accord tripartite – UA, Cedeao et ONU – constitue non seulement un gage de sécurité, mais surtout une «assurance-vie» gravée dans le marbre qui lui permettrait de pouvoir s’assurer une sortie dotée d’une armure écrite, bien que le document n’ait pas de valeur juridique.
Malgré de nombreuses réticences, notamment de la part des instances onusiennes, on y a inséré deux paragraphes garantissant l’intégrité physique, la sécurité, le statut ainsi que la «dignité» du président déchu, de sa famille immédiate, mais également de ses soutiens et loyalistes demeurés au pays. Également, le document garantit que tous les biens «légitimes» de Jammeh ne sauraient être saisis, et qu’il lui est permis de retourner au pays ultérieurement.
Au regard de tout ce qui précède, la voie diplomatique a primé dans l’issue de ce bras de fer engagé entre Jammeh et la Cedeao. Le bloc compact de la Cedeao qui est resté ferme jusqu’au bout pour faire plier Jammeh à respecter le choix démocratique du peuple gambien restera dans les annales de la diplomatie africaine comme une jurisprudence internationale. Que cela serve également de leçon à tous les autocrates qui s’accrochent au pouvoir. Car tout pouvoir absolu a toujours une fin. Le cas Jammeh en est une illustration.
En effet, après plus d’un mois de tensions politiques et d’isolement diplomatique, Yahya Jammeh a fini par ôter sa tenue de kamikaze pour enfin céder le pouvoir à son successeur, Adama Barrow, élu le 1er décembre 2016.
C’est au terme de plusieurs heures de négociations minutieuses et de rebondissements dans la journée de vendredi 20 janvier que les négociateurs sont parvenus à obtenir un accord indiquant que Jammeh a enfin accepté de quitter la direction de son pays qu’il dirigeait depuis 22 ans.
La négociation de la dernière heure
Tout est parti le jeudi 19 janvier, lorsque le président mauritanien, Ould Abdelaziz, à la suite des émissaires du Roi du Maroc qui n’avaient pas pu la veille faire entendre raison à Jammeh, a tenté d’engager une mission de bons offices à quelques heures juste après le déploiement des troupes de la Cedeao à la frontière de la Gambie.
Ould Abdelaziz débarque à Banjul avec un message clair : convaincre Jammeh à céder le pouvoir. La tâche semble ardue et même surréaliste. Mais le président mauritanien dispose d’une marge de manœuvre. Il reste l’un des rares chefs d’État, à l’instar du président guinéen, à entretenir de bons rapports avec Jammeh. Ould Abdelaziz a permis à Jammeh de faire transférer à Nouakchott par voie navale une grande partie de ses voitures de luxe.
Jammeh, sous l’ultimatum de la Cedeao, a décidé de lancer une opération militaire le 19 décembre à minuit. Heure qui correspond avec la fin du mandat constitutionnel de Yahya Jammeh qui la veille a tenté par tous les moyens de se maintenir au pouvoir au mépris même de la Loi fondamentale de son pays.
Lors de leurs échanges respectifs, le président mauritanien a indiqué à celui qui était en train de compter ses dernières heures à la tête de la Gambie de se ressaisir avant que l’irréparable ne se produise.
Selon notre source, Ould Abdelaziz qui a même haussé le ton aurait signifié à Jammeh que s’il ne cède pas, il sera considéré comme un rebelle, car Barrow prêtera serment le lendemain et sera reconnu comme président. Il n’a pas envie de le voir subir le sort de Gbagbo. Jammeh tergiverse, pose des conditions, Ould Abdelaziz, agacé, décide de quitter Banjul en déclarant qu’il était pessimiste.
La tension monte de nouveau entre la Cedeao et Banjul. Tout le monde a désormais les yeux tournés vers Dakar où le chef de l’État mauritanien marque un stop pour rencontrer Macky Sall au Salon de l’aéroport de Banjul. Les deux chefs d’État sont ensuite rejoints par Adama Barrow. Rien ne filtre de l’entretien Ould Abdelaziz qui regagne son avion sans faire une déclaration.
Les préparatifs de la cérémonie d’investiture de Barrow se précisent à Dakar. Dans le même temps, le chef d’état-major de l’armée gambienne lâche Jammeh. Ousmane Badjie déclare : «Qu’il n’engagera pas ses troupes dans un combat stupide contre les troupes de la Cedeao qui sont d’ailleurs les bienvenues en terre gambienne».
C’est une défection de taille. Jammeh est lâché par l’armée. Il ne compte plus que sa garde prétorienne et les mercenaires. La nuit du 18 au 19 janvier devient très longue. Jammeh est retranché dans son palais avec sa famille et un bloc de fidèles. L’issue d’une intervention militaire se précise.
Le 19 janvier, comme prévu à 16 h, heure de Dakar, Adama Barrow prête serment depuis l’ambassade de la Gambie à Dakar. Jammeh refuse de regarder les images à la télé. Il est coupé de l’armée dont il ne parvient plus à joindre les responsables. Dans les rues, le peuple jubile, le chef d’état-major se joint même à la foule pour célébrer la prestation de serment d’Adama Barrow. Les Gambiens se rendent compte que le lion de Banjul a perdu plusieurs dents, mais n’est pas prêt à battre en retraite.
Les troupes de la Cedeao pénètrent en territoire gambien en procédant à l’encerclement ciel, mer et terre de la Gambie. Les avions de chasse effectuent des vols de reconnaissance au-dessus de Banjul dans le début de la soirée du 19 janvier.
Alpha Condé, depuis Zurich, contacte Macky Sall, Buhari, Sirleaf et Marcel de Souza, le président de la commission de la Cedeao, qui a installé un centre d’opérations dans un hôtel à Dakar. Le chef de l’Etat guinéen sollicite la suspension des opérations militaires pour lui permettre de se rendre à Banjul pour tenter de convaincre Jammeh. Le Maroc et la Mauritanie lui emboîtent le pas. La Cedeao décide de suspendre les opérations. Jammeh a jusqu’à midi pour céder le pouvoir.
Alpha Condé décolle de Zurich, effectue une escale à Nouakchott où il embarque Ould Abdelaziz pour mener la médiation de la dernière heure.
Les dessous d’une négociation qui a permis d’éviter le pire
Au terme d’une journée où tout a failli basculer, les présidents guinéen et mauritanien sont parvenus à ramener Yahya Jammeh à la raison. Celui qui quelques heures auparavant refusait de transmettre le pouvoir au vainqueur Adama Barrow accepte enfin de céder, mais Jammeh réclame en contrepartie des garanties.
Jammeh a accepté de quitter non seulement le pouvoir mais aussi et surtout la Gambie pour permettre au nouveau président élu de s’installer dans ses fonctions. La nouvelle fait l’effet d’une bombe. Mais le peuple gambien semble ne pas y croire tant que Jammeh ne l’annonce pas lui-même publiquement. En effet, ils ne sont pas nombreux à croire à un homme habitué au revirement et à la versatilité. Tard dans la nuit, sur les antennes de la télévision gambienne, Jammeh annonce sa propre chute.
Ce n’est certes pas la première fois qu’il se livre à un tel spectacle, s’exclame un analyste de la politique africaine. L’homme fort de Banjul déclare «que son pouvoir était divin et qu’il se soumettait au seul jugement de Dieu», mais il a décidé en son âme et conscience de quitter le pouvoir.
Jammeh déclare abdiquer «pour éviter le bain de sang et l’asservissement de son pays par des puissances étrangères.»' L’illuminé semble revenir sur terre au détriment du surnaturel et du surréalisme, car nous constatons que les autocrates tyrans peuvent aussi, si le contexte l’impose, avoir du cœur.
«Personnellement, j’attends qu’il décolle pour croire», déclare un habitant de Banjul joint par Les Afriques, car ce «kamikaze» nous a habitués à des revirements. Les présidents Alpha Condé et Ould Abdelaziz ont passé la nuit à Banjul, accrochés au téléphone avec Buhari, Déby, Macky Sall, Obiang et la présidente du Libéria Sirleaf.
Les négociations ont été laborieuses et souvent tendues. Pendant de longues heures, Alpha Condé et Mohamed Ould Abdelaziz ont tenté de faire comprendre à Jammeh que sa démarche était suicidaire.
Impossible pour lui de tenir face à l’arsenal militaire déployé pour le faire partir par la force. Alpha Condé qui entretient de très bons rapports avec Jammeh a cité les exemples de la Libye et de la Côte d’Ivoire où Kadhafi a été assassiné et Gbagbo envoyé à la CPI.
Condé, selon une de nos sources proche du chef de l’Etat gambien, nous souligne que ce dernier a indiqué clairement à Jammeh qu’il n’était pas venu pour l’enterrer, mais pour lui éviter le pire. L’homme qui a dirigé la Gambie d’une main de fer pendant plus de 22 ans explique au président Condé qu’il avait déjà annoncé au président mauritanien la veille qu’il quittait le pouvoir, mais pas la Gambie. Alpha Condé informe alors ses homologues sénégalais et nigérian.
Réponse? Pas question que Jammeh reste en Gambie. Les présidents Condé et Ould Abdelaziz reviennent à la charge et expliquent à Jammeh qu’il était indispensable pour lui de quitter la Gambie pour éviter un bain de sang. Finalement, Jammeh accepte, mais demande des garanties pour lui et ses proches. Alpha Condé se retire pour informer Macky Sall.
Reste maintenant à discuter des modalités. Pendant que les trois dirigeants en discutaient, le camp Barrow annonce de façon triomphale sur les médias internationaux la fin de l’ère Yahya Jammeh. Une annonce qui a suscité l’ire de ce dernier qui lance aux deux chefs d’État : «Vous voyez! Ils veulent m’humilier».
Furieux, le président Condé appelle également à nouveau son homologue sénégalais pour se plaindre : «Macky, je te donne des informations sur l’évolution des négociations et tu les divulgues pendant qu’on n’a pas fini», lui dit-il. Le pire a été évité de justesse.
Le président guinéen décide de passer la nuit à Banjul pour poursuivre la médiation. Jammeh annonce finalement à la télévision d’État qu’il quitte le pouvoir. Il veut des gages que ses proches ne feront pas l’objet de chasse aux sorcières.
Les dernières exigences de Jammeh
La veille de son départ du pays, Jammeh était apparu à la télévision publique pour affirmer qu’il allait quitter le pouvoir, «de son plein gré, et au nom des intérêts supérieurs du peuple gambien». Néanmoins, selon nos sources et des informations exclusives en notre possession, la journée du samedi 21 janvier a été épuisante pour les négociateurs, les présidents guinéen, Alpha Condé, et mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, qui ont mené la médiation dite de la dernière chance.
Selon une source proche du président de la commission de la Cedeao, Marcel de Souza, au moment où les conditions du départ de Jammeh avaient été acceptées par l’ensemble des parties avant la déclaration télévisuelle, l’autocrate et marabout président a voulu renégocier certains termes de l’accord avant de quitter le palais présidentiel.
Officiellement, la journée du samedi est donc accordée à l’ancien autocrate pour «faire ses bagages», mais dans les coulisses, la nervosité gagne les négociateurs au fur et à mesure que Jammeh étend sa liste de revendications. Son départ semble de plus en plus incertain et il faudra qu’Alpha Condé use de tout son talent diplomatique en mettant en avant la culture mandingue pour aboutir à une solution diplomatique qui a permis d’éviter l’opération militaire.
Les secrets d’un périple
Le cortège de Jammeh quitte la State House en fin de journée de samedi 21 janvier, les Gambiens prennent d’assaut les artères qui mènent à l’aéroport pour voir de leurs propres yeux le départ de celui qui a dirigé le pays d’une main de fer durant 22 ans.
Entretemps à l’aéroport, quelques partisans restés fidèles à l’ex-chef d’État se massent sur le tarmac de l’aéroport pour saluer le départ de leur leader. L’émotion est vive, les uns pleurent, les autres s’estiment heureux de le voir quitter le pays en vie. Sans aucun honneur militaire, l’homme qui marchait sans nul doute pour la dernière fois sur le tapis rouge venait de s’apercevoir qu’il devenait un simple citoyen.
Jammeh fait un dernier adieu avant de prendre son siège dans le Falcon en brandissant le Coran face à quelques supporters présents sur le tarmac de l’aéroport de Banjul. Il s’envole finalement pour l’exil, samedi 21 janvier, mettant fin à un feuilleton qui aura duré plusieurs semaines. Yahya Jammeh et le président guinéen, Alpha Condé, quittent Banjul, à 21 h GMT, pour Conakry.
«Nous sommes libres maintenant». En apprenant que Yahya Jammeh avait effectivement quitté la Gambie, des habitants de Banjul sont sortis dans les rues, manifestant leur joie notamment.
Tout est bien qui finit bien. Alpha Condé est arrivé à Conakry en fin de soirée avec Yahya Jammeh après une journée mouvementée. Le désormais ex-président gambien n’a pas passé la nuit dans la capitale guinéenne. Un Falcon de 30 places, affrété par Obiang Nguema de la Guinée équatoriale, l’attendait depuis des heures sur le tarmac de l’aéroport international de Conakry Gbessia.
Il a continué dans la même nuit en Guinée Équatorial avec à son bord le vice-ministre à la Sécurité de la Guinée équatoriale. L’avion transportant l’ex-homme fort de Banjul atterrit à l’aéroport de Mogomoyen autour de 2 h du matin avant de prendre la direction de Mongomo, le village natal du président équato-guinéen.
La suite de la délégation de Jammeh a été logée dans le grand complexe hôtelier de Diblo dans la ville d’Oyala. Jammeh est accompagné d’une forte délégation composée de son épouse, son fils et plusieurs de ses proches collaborateurs ou membres de sa famille. Ses effets personnels qui sont restés à Banjul devraient également regagner son lieu d’exil directement à bord d’un grand cargo envoyé par le président tchadien, Idriss Deby Itno.
Le transfert des bagages se déroule sous la supervision du représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, Mohamed Ibn Chambas, et de Tibou Camara, un proche d’Alpha Condé et de Yahya Jammeh. L’épouse de Tibou Camara est la sœur directe de l’épouse de Jammeh. Dans sa médiation, le président guinéen a bénéficié d’un soutien important de son homologue tchadien, président en exercice de l’Union africaine.
Ainsi, une page de l’histoire se tourne en Gambie après 22 ans de règne de Yahya Jammeh. Une nouvelle ère s’ouvre pleine d’espoirs, mais surtout avec beaucoup d’incertitudes. La situation recommande au nouveau président de la hauteur et une grandeur d’esprit pour réconcilier les Gambiens et jeter les bases de la construction d’un État démocratique et prospère. L’Histoire le jugera à la tâche. Sans complaisance.
Jammeh a donc quitté les berges de la Kambi Bolongo pour atterrir dans la forêt équatoriale de Mongomo en Guinée équatoriale, village natal du chef du président Obiang. En attendant d’en savoir un peu plus, aucun dignitaire équato-guinéen ne s’est encore exprimé sur l’arrivée de l’ex-homme fort de Banjul. Jammeh a donc atterri avec sa suite à la ville de Mongomo.
Dans une déclaration commune publiée peu après le départ de l’ex-président, la Cedeao, l’Union africaine et l’ONU ont annoncé garantir les droits de Yahya Jammeh, y compris à revenir dans son pays, saluant sa «bonne volonté» pour parvenir à un dénouement pacifique de la crise.
Les trois organisations veilleront à le soustraire, avec les siens, aux tentatives de «harcèlement» et de «chasse aux sorcières». Elles se portent également garantes des propriétés de l’ex-président, de sa famille, des membres de son régime ou de son parti, selon les termes du texte.
La requête première avait trait à la «sécurisation» d’un revenu pour Jammeh et sa famille, ainsi que d’un point de chute définitif pour lui et son entourage. Le premier écueil franchi, restait la validation du communiqué conjoint de l’ONU, l’Union africaine et d’Ecowas, dont Jammeh discute chaque mot et chaque virgule.
Pour ce dernier, cet accord tripartite – UA, Cedeao et ONU – constitue non seulement un gage de sécurité, mais surtout une «assurance-vie» gravée dans le marbre qui lui permettrait de pouvoir s’assurer une sortie dotée d’une armure écrite, bien que le document n’ait pas de valeur juridique.
Malgré de nombreuses réticences, notamment de la part des instances onusiennes, on y a inséré deux paragraphes garantissant l’intégrité physique, la sécurité, le statut ainsi que la «dignité» du président déchu, de sa famille immédiate, mais également de ses soutiens et loyalistes demeurés au pays. Également, le document garantit que tous les biens «légitimes» de Jammeh ne sauraient être saisis, et qu’il lui est permis de retourner au pays ultérieurement.
Au regard de tout ce qui précède, la voie diplomatique a primé dans l’issue de ce bras de fer engagé entre Jammeh et la Cedeao. Le bloc compact de la Cedeao qui est resté ferme jusqu’au bout pour faire plier Jammeh à respecter le choix démocratique du peuple gambien restera dans les annales de la diplomatie africaine comme une jurisprudence internationale. Que cela serve également de leçon à tous les autocrates qui s’accrochent au pouvoir. Car tout pouvoir absolu a toujours une fin. Le cas Jammeh en est une illustration.