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Les bonnes cartes de 2017 (Par Madiambal Diagne)

Rédigé par Dakarposte le Lundi 24 Octobre 2016 à 13:08 modifié le Lundi 24 Octobre 2016 - 13:09

Le Président Macky Sall s’est fait enrôler le 4 octobre 2016, dans le cadre des opérations d’élaboration de nouvelles cartes d’identité nationales biométriques. Le chef de l’Etat disait sa fierté que le Sénégal soit le premier pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à mettre en œuvre cette directive de l’institution communautaire. Les nouvelles cartes d’identité présentent de nombreux avantages pratiques et sécuritaires. Aussi, serviront-elles à garantir un fichier électoral plus transparent et plus sincère. La délivrance de cette nouvelle pièce restera gratuite pour un délai de six mois, avant que les nouveaux demandeurs n’aient à payer 10 mille francs pour l’obtenir. On peut applaudir la mesure, mais on ne peut pas ne pas se mordre les doigts.


Les bonnes cartes de 2017 (Par Madiambal Diagne)
Diantre, qui se souvient encore que nous avions déjà payé plus de 20 milliards pour le même service ? En vue de la Présidentielle de 2007, le gouvernement avait brandi les mêmes justifications pour nous vendre le projet de la confection de nouvelles cartes d’identité nationales biométriques. N’est-ce pas Me Ousmane Ngom, alors ministre de l’Intérieur ? Tout le monde semble l’avoir oublié, mais le gouvernement avait donné le marché à la société anglaise, Delarue, partenaire au Sénégal des sociétés Genesys et Sygma, appartenant toutes les deux aux frères Thierno Ousmane Sy et Arona Sy, fils du ministre d’Etat, ministre de la Justice, Cheikh Tidiane Sy. Thierno Ousmane Sy officiait, dans le même temps, comme Conseiller spécial, chargé des Nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le Cabinet du Président Abdoulaye Wade. 
Le Quotidien, qui avait levé ce gros lièvre, croisera le fer avec le ministre Ousmane Ngom et la famille Sy. Nous enfoncions le clou en publiant dans notre édition du 12 décembre 2006 une partie des preuves qui étaient en notre possession, à savoir des chèques de plusieurs centaines de millions de francs, dûment versés par la société Delarue, bénéficiaire du marché des cartes d’identité, aux sociétés appartenant aux frères Sy. La magouille dans le processus d’attribution du marché était une chose, mais il apparaîtra plus tard que le contribuable sénégalais avait été doublement grugé. On nous avait vendu du toc. Aucun composant électronique, vecteur de données biométriques, n’était incorporé dans les fameuses nouvelles cartes d’identité. 
Dire que les cartes d’identité sénégalaises se révélaient être en net retard technologique vis-à-vis de celles éditées par un pays comme le Bénin, dotées déjà d’un composant électronique ! Ces cartes sénégalaises fabriquées avec la technologie de Delarue ne se différencient que par leur taille plus réduite de celles dites «israéliennes», éditées à partir de 2000 et qui, elles aussi, avaient coûté plusieurs milliards de francs au budget de l’Etat du Sénégal. C’est dire qu’il y a à manger et à boire dans les marchés des cartes d’identité nationales, toujours conclus dans des conditions secrètes en raison d’impératifs de sécurité nationale. 
On nous a peut-être assez floués sur ce filon, mais on ne peut plus douter que les nouvelles cartes d’identité, dont la production vient d’être officiellement lancée par le Président Sall, répondront aux spécifications techniques annoncées. Il n’en demeure pas moins que le prix annoncé peut étonner. La société malaisienne, Iris Corporation Berhad, qui avait gagné le marché des passeports biométriques en 2007, va empocher 76 millions d’euros pour la production de 10 millions de cartes nationales d’identité. 
A titre comparatif, en France, le budget estimatif pour la confection des cartes d’identité biométriques, avec deux composants électroniques en raison d’exigences sécuritaires plus ciblées, est évalué à 85 millions d’euros pour une population de plus de 65 millions de personnes. Au Cameroun, la société française Gemalto fait le même travail pour un volume de 22 millions de cartes d’identité. Le montant du marché est classé «secret-défense». Il peut être parfois difficile de justifier certains écarts. 
Les opérations de production de nouvelles cartes d’identité et de refonte du fichier électoral commencent à donner de bien mauvaises idées à certains acteurs politiques. L’idée du report des prochaines élections législatives est avancée ça et là. Il ne faudrait point céder à de telles sirènes pour une quelconque raison. Ce serait ouvrir la boîte de Pandore et l’alibi de permettre aux électeurs de disposer de leur carte d’identité qui servira en même temps de carte d’électeur ne saurait prospérer. 
Les actuelles cartes d’identité, pour imparfaites qu’elles soient, ont pourtant servi à organiser des élections présidentielles (2007 et 2012), des élections législatives (2007 et 2012), des élections locales (2009 et 2014) et un scrutin référendaire en 2015. Tous ces scrutins s’étaient déroulés normalement et les résultats ont été jugés strictement conformes à la volonté populaire. Donc, même si la totalité des électeurs n’aurait pas pu se doter de cartes d’identités biométriques, une disposition transitoire de la loi électorale devrait pouvoir permettre aux électeurs titulaires des anciennes cartes de participer au vote. 
Dans l’absolu, le gouvernement ne devrait pas laisser place à une quelconque ambiguïté sur la question et donc devrait-il clairement faire indiquer que les prochaines élections législatives seront organisées sous le régime des cartes biométriques et que tous les électeurs potentiels auront à prendre leurs dispositions pour s’en doter durant les quelques huit mois qui restent sur la durée de la présente législature. Les fonds publics nécessaires sont manifestement prévus pour faire enrôler tous ceux qui le désirent. Il reste également assez de temps pour faire un tel travail. 
Songer à un report des élections législatives serait en quelque sorte «jouer avec le feu». Une telle perspective n’a de raison d’être dans une démocratie affirmée comme celle du Sénégal. Les élections doivent impérativement être tenues à date échue. L’histoire est remplie de leçons de chaos politique dans des pays où des acteurs politiques ont eu la mauvaise idée de tripatouiller le calendrier électoral. De toute façon, ce serait du pain béni pour l’opposition, si le gouvernement s’aventurait à reporter les élections législatives pour, par exemple, les coupler avec la Présidentielle de 2019. Nous devons être clairs, rien ne peut laisser croire que telle pourrait être une intention du Président Macky Sall ou de son gouvernement. 
Tout cela pourrait être de la simple spéculation, mais il n’en demeure pas moins que l’expérience de la gouvernance de Abdoulaye Wade nous a suffisamment instruits, non seulement sur ce qu’il ne faudrait pas faire en démocratie, mais aussi sur la capacité corruptrice des esprits par des idées aussi saugrenues. 
L’idée de la dévolution monarchique était partie de la même manière avec des réflexions sibyllines du genre dans les allées du pouvoir, avant que certains «téméraires» ne se l’approprient publiquement. Il en était de même de l’histoire de la candidature à un mandat de trop de Abdoulaye Wade. Dans ce pays, nous savons comment les choses commencent et comment elles se terminent. 

Madiambal Diagne

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