Le renouveau de l’administration ne se fait pas seulement que de briques Par Mody Niang

Rédigé par Dakarposte le Mardi 24 Janvier 2017 à 13:17 modifié le Mardi 24 Janvier 2017 13:20

On se rappelle que, le 11 avril 2016, à l’ouverture du « Forum sur
l’Administration » organisé au Centre de Conférences de Diamniadio, le
Premier Ministre s’offusquait du grand retard accusé et lançait en direction des
organisateurs : «  On devrait montrer une autre image de l’administration. »
Dans une contribution, je lui rétorquais que « C’était là l’image de son
administration ». Et cette administration est restée en l’état. On le constate au
quotidien quand on s’intéresse de près au comportement des hommes et des
femmes qui l’animent au plus haut niveau.

Ainsi, démarrons par cette visite des « chantiers autoroutiers AIBD-Mbour- Thiès
et Ila Touba » par le Ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et
du désenclavement. A l’occasion, il annonce (déjà) un cadeau pour novembre
2017, « aux pèlerins du grand Magal de Touba qui peuvent afficher le
sourire » car, «  à partir du mois de novembre 2017, les fidèles qui viendront
au Magal pourront, à partir de Dakar, prendre l’autoroute, contourner Thiès
et sortir sur le PK 10 et reprendre la Rn3 pour aller sur Touba » (‘’Le
Quotidien’’ du 17 janvier 2017, page 13).

Ila Touba, c’est donc prioritairement pour les pèlerins partant de Dakar pour le
Magal de Touba. Trois à quatre jours par année ! Sans doute que, en dehors du
Magal, des voyageurs emprunteront cette autoroute. Mais, ce qui préoccupe
d’abord nos autorités, c’est la fréquentation pendant le Magal. Cette
autoroute, longue de 112 km va nous coûter 416 milliards de francs CFA. Le jeu
en vaudra-t- il la chandelle, si on considère la seule préoccupation exprimée par
le Ministre ?

Notre ministre se félicite de la vision (toujours elle) du Président Macky Sall,
« qui fera du Sénégal le seul pays en Afrique de l’Ouest qui disposera en 2019,
de 230 km d’autoroute et va servir d’exemple dans la sous-région ». Quelle
maladroite prétention ! Ce ministre fait du Sénégal le premier de la sous-
région, parce qu’il disposera en 2019 de 230 km d’autoroute, quand Ila Touba
sera terminée ! Cela signifie que, pendant ce temps, notre ministre qui ne doit
pas être une lumière, arrêtera toutes les velléités de construction d’autoroutes
en Afrique de l’Ouest. Quand le Sénégal construit en deux ans une autoroute
de 112 km, les autres pays ne peuvent-ils pas en faire au moins autant ? Quand
même ! Ce ministre n’est pas seulement maladroitement prétentieux, il est
aussi ignorant ou intellectuellement malhonnête. Le Nigeria n’est-il pas partie
intégrante de l’Afrique de l’Ouest ? Ne dispose-t- il pas déjà d’un réseau
autoroutier de plus de 1000 km ?

Le ministre jette aussi des fleurs à l’entreprise chinoise China Road and Bridge
Corporation (CRBC) « qui a mis à la disposition du Sénégal 15 bourses d’études
supérieures au bénéfice d’étudiants qui vont séjourner en Chine pendant 5
ans ». Là, ne s’arrête pas la ‘’générosité’’ de l’entreprise chinoise. Elle a aussi
« mis à la disposition du Ministère des Infrastructures, des Transports
terrestres et du désenclavement un laboratoire d’études qui va permettre au
Sénégal d’avoir bientôt les moyens de vérifier la qualité de ses routes ». Elle
aurait aussi construit 20 forages « pour les populations locales ».

Notre très entreprenant ministre porte ainsi aux nues l’entreprise chinoise qui
met 15 bourses d’études supérieures à la disposition du Sénégal, comme si
c’était une première. La République populaire de Chine a toujours mis à la
disposition du Sénégal des bourses pour ses ressortissants et ce, depuis de
nombreuses années. Basta, M. le Ministre !

Il faut donc relativiser cette générosité de la CRBC, si générosité il y a d’ailleurs.
Quand on construit 112 km d’autoroute dans les conditions idéales que l’on
sait pour 416 milliards, on peut quand même se permettre de donner un
laboratoire, 15 bourses et 20 forages qui sont d’ailleurs davantage construits
pour les besoins des travaux sur l’autoroute que pour les populations. Ce sont
vraiment des miettes, par rapport à tout le magot que l’entreprise rafle.

Nous apprenons aussi de notre ministre que nous avons attendu que cette
entreprise chinoise mette un laboratoire à la disposition du Ministère des
Infrastructures, des Transports terrestres et du désenclavement, pour que nous
ayons enfin les moyens de vérifier la qualité de nos routes. C’est terrible !

On se rappelle également, dans le même ordre d’idée, la pose de la première
pierre du Projet de quai de pêche à Soumbédioune, estimé à 1,2 milliard de F CFA,
« offert » par le Roi Mohammed VI, alors en visite officielle au Sénégal en 2015. Au
cours de la même visite, Sa Majesté a aussi « offert » 10 tonnes de lots de
médicaments à l’Hôpital de Fann et 10 000 exemplaires de Coran aux mosquées du
Sénégal. Beaucoup de tapage avait été fait autour de ces « dons » en réalité financés,
selon des sources crédibles, non pas par le Gouvernement marocain, mais bien par
le sponsoring des entreprises marocaines présentes au Sénégal, en témoignage de
reconnaissance à Sa Majesté, qui leur avait décroché des marchés juteux. Et notre
source de nous préciser qu’en 2014, la seule Attijari wafabank, a réalisé au Sénégal
un chiffre d'affaire de plus de 700 milliards. Le coût total des « dons » du Roi était
donc insignifiant par rapport au seul chiffre d’ affaire réalisé en 2014 par cette seule
filiale de la Holding royale au Sénégal.

Et puis, il convient quand même de le rappeler, devrions-nous faire autant de bruit
pour un don d’un milliard 200 millions de francs CFA pour construire un quai ?
Quarante ans après les Socialistes, douze après les Libéraux bleus et bientôt
cinq avec les Libéraux marron, le Sénégal n’est donc pas capable de se
construire un quai pour un tel modeste coût ! Il faut quand même savoir raison
garder et nos hautes autorités, en particulier les ministres, devraient éviter de
se laisser aller à des déclarations publiques sans consistance et sans retenue.

L’une des premières préoccupations d’un Président de la République devrait
être de choisir ses ministres avec rigueur et minutie. Interrogé par Laurent
Delahousse (Journal parlé de 20 heures de France 2 du 21/09/14) après la
nomination d’un ministre par le Président Hollande, Nicolas Sarkozy son
prédécesseur répondait : « On ne s’invente pas ministre de la République. Un
ministre, c’est un long processus. » N’importe qui ne devrait donc pas accéder
facilement à cette importante fonction, qui perd malheureusement de plus en
plus de son lustre au Sénégal. Rien de plus normal si des ministres y sont
nommés par la Première Dame et le griot du Président de la République. Quoi
de plus normal que de tels ministres croient avoir fait l’essentiel quand ils
commencent toutes déclarations publiques par les deux fameuses formules :
« Conformément à la vision du Président de la République » et « Sur
instruction du Président de la République » ? Ils ne savent pas, les pauvres, ou
feignent de ne pas savoir, que c’est là une belle lapalissade. En effet, une fois
que le Président de la République signe et rend public un décret portant
nomination d’un ministre, ce dernier ne peut agir que dans le cadre de sa vision
et de la politique qu’il a définie. Il n’a vraiment pas besoin de nous rabâcher les
oreilles avec ces formules infantiles qu’on n’entend pas – ou qu’on entend très
rarement – dans la bouche des ministres des pays sérieux.

Il est vrai que nous ne devrions pas être surpris du comportement de ces
ministres dont le critère de nomination se réduit pratiquement à la couleur
marron-beige. Ce même critère est systématiquement appliqué à la
nomination des membres des cabinets ministériels et des hauts fonctionnaires,
comme les directeurs généraux d’agences nationales ou d’autres services. Tout
ce beau monde sait pourquoi il est nommé et à quoi s’en tenir. Il sait surtout ce
que le président-politicien attend de lui. C’est pourquoi ministres, directeurs
généraux et autres hauts responsables sont « sur le terrain » du vendredi au
dimanche et parfois jusqu’au lundi. Là, ils se laissent aller à leurs activités
politiciennes et font publiquement état d’une « générosité » sans limite. De ce
point de vue, les ministres, leurs collaborateurs, les hauts fonctionnaires et les
différents élus de la Région de Matam raflent la vedette à tous les autres.

De gros directeurs généraux se signalent surtout par leur activisme débordant.
L’un d’eux, en particulier, a un comportement choquant et insoutenable dans
un pays qui se dit démocratique. Il se proclame publiquement, sans état d’âme,
« baaay faal » du président-politicien. Il se fixe comme objectif prioritaire « la
mobilisation » et « la massification du parti ». Dans cette perspective, il
distribue au grand jour des dizaines, voire des centaines de millions de francs
Cfa sur toute l’étendue du territoire national, et même hors du pays. La presse,
notamment ‘’L’Observateur’’ du 13 janvier 2017 (page 6), le présente comme le
maître d’œuvre de la mobilisation réussie par nos compatriotes résidant à
Bamako, pour accueillir le président-politicien venu prendre part à la réunion
de l’Organisation internationale de la Francophonie. Un certain Sally Samb,
président de la communauté sénégalaise au Mali confirme : « Tout le Mali va
sortir pour accueillir le Chef de l’Etat. Nous sommes prêts pour ravir la vedette
à toutes les délégations. » Il poursuit : « Nous travaillons avec le Dr Cheikh
Kanté pour une réussite de l’accueil du Chef de l’Etat. Il nous a donné des
moyens et il verra que la mobilisation sera des meilleures. » Pour le reste, je
renvoie simplement le lecteur à ‘’L’OBS’’ du 13 janvier. C’est inouï ce que fait ce
Dr Kanté, dans l’indifférence générale. Exporter la mobilisation jusqu’à Bamako
et y dépêcher une forte délégation, le tout à ses frais !

Un autre directeur, lui aussi à la tête d’une structure très importante et très
courue, a fait « sa rentrée politique » dans sa ville natale. Le lendemain, la
« mobilisation exceptionnelle » qu’il a réussie à l’occasion était sur toutes les
lèvres. Dans tout le Département, on se demande encore où il a puisé l’argent,
tout l’argent qui a rendu possible cette « mobilisation exceptionnelle ».
Pendant vingt-quatre heures, Louga-ville était le point de ralliement de toutes
les autres communes du Département.

Il y a eu, il y aura d’autres « mobilisations exceptionnelles », d’autres actions
de « massification du parti » coûteuses en temps et en argent, l’argent du
contribuable, bien entendu. Il y en aura toujours avec notre président-politicien
puisque, c’est à partir de ces deux critères que les responsables de stations
importantes sont d’abord jugés. Ils le savent, puisque leur mentor les
« instruit » toujours de descendre « sur le terrain » et donne l’exemple. Ils
savent, en particulier, qu’il raffole de bains de foules et se font le devoir de lui
en offrir à chacun de ses tonitruants déplacements.

Notre administration traîne bien d’autres maux sur lesquels on pouvait
continuer de s’épancher. C’est une administration profondément politicienne
et, partant, forcément inefficace. La construction de bâtiments neufs à
Diamniadio ou ailleurs n’y changera pas grand-chose. Pas plus que les discours
laudatifs, les publi-reportages tapageurs, les « mobilisations exceptionnelles »,
les présences régulières « sur le terrain », etc. Une bonne administration, c’est
la neutralité. Pas seulement. C’est aussi, pour répéter la formule consacrée, des
hommes et des femmes qu’il faut à la place qu’il faut. C’est cette
administration-là qui peut propulser le pays vers l’émergence. Elle n’a
vraiment rien de commun avec cette autre aux allures maquillées, à l’image
de la gouvernance qui l’a engendrée. La mère comme la fille, nous les
dénoncerons tant que nous en aurons la force et l’opportunité. Nous les
dénoncerons sans nous laisser distraire par les vuvuzela et autres minables
courtisans du couple présidentiel. Ils auront beau aboyer jusqu’à
l’essoufflement comme l’un des leurs enragé, ils ne réussiront jamais à nous
faire regarder dans la même direction qu’eux. En particulier, ils perdent
carrément leur temps s’ils croient pouvoir nous faire renoncer à notre droit
inaliénable d’avoir un regard appuyé sur la manière dont notre pauvre pays
est gouverné. Nous le ferons sans état d’âme, sans calcul et en toute liberté,
chaque fois que de besoin.

Dakar, le 22 janvier 2017
Cheikh Amidou Kane
Recommandé Pour Vous