Ce lundi, l'éditeur américain de jeux vidéo Activision Blizzard a annoncé le rachat de son concurrent britannique King Digital Entertainment, propriétaire du populaire jeu mobile "Candy Crush", pour la bagatelle de 5,4 milliards d'euros. Pourquoi racheter à un tel prix un jeu pour lequel la plupart des utilisateurs ne paient rien?
Activision Blizzard, c'est quoi?
L'un des plus grands éditeurs de jeux vidéo: Call of Duty, Guitar Hero, Skylanders, World of Warcraft, Diablo, Destiny... Mais rien ou presque dans le jeu mobile, si ce n'est quelques adaptations pour smartphones peu vendues. Seul succès sur support mobile: le jeu de cartes Hearthstone: Heroes of Warcraft. Mais un succès très ciblé.
King Digital Entertainment, c'est quoi?
A l'inverse, King ne vise pas les "gamers" mais le grand public, principalement avec le fameux Candy Crush, adopté par des millions de personnes. Editeur de jeux pour mobiles et pour Facebook créé en 2003, il emploie aujourd'hui 1.400 personnes et on compte 300 millions d'utilisateurs des jeux King. La société avait fait son entrée l'an dernier à la Bourse de New York.
Pourquoi ce rachat?
C'est simple: les éditeurs de jeux vidéo traditionnels doivent aussi assurer une forte présence sur le marché du jeu mobile, en pleine croissance. La société d'études spécialisée DFC Intelligence estime qu'en 2018, les revenus des jeux mobiles atteindront presque le niveau des jeux consoles et PC. Pour l'année 2015, PricewaterhouseCoopers attend un chiffre d'affaires de 14,5 milliards de dollars pour les jeux mobiles, soit 20% du marché.
Or, si Activision Blizzard est un géant sur console (Call of Duty, Destiny, Guitar Hero) et sur PC (World of Warcraft, StarCraft, Diablo), il est à la traîne sur le mobile. Même sa licence Hearthstone ne touche pas le grand public. Si Activision revendique plus de 500 millions de joueurs actifs par mois après acquisition, Candy Crush et Candy Crush Soda Saga réunissent chaque jour 92 millions de joueurs uniques. Des joueurs et des joueuses, le public sur console/PC étant principalement masculin, se diversifier sur mobile permet aussi de diversifier son public.
Trop cher?
Activision paye le prix fort pour rattraper son retard sur la concurrence. C'est même la plus grosse transaction du genre. Electronic Arts a fait plusieurs acquisitions d'éditeurs mobiles depuis quelques années mais avait par exemple payé 14 millions d'euros en 2010 pour racheter Chillingo et 700 millions pour PopCap Games en 2011. Depuis cinq ans, c'est la surenchère. Le jeu Clash of Clans valait 2,2 milliards en 2013 et vaudrait aujourd'hui 4,9 milliards. Microsoft a racheté l'éditeur de Minecraft pour 2,5 milliards de dollars. Un emballement qui s'explique par la multiplication du "free-to-play". le jeu est gratuit mais pour aller plus loin, avoir plus de vie ou plus d'options, il faudra payer quelques cents.
A titre de comparaison, les médias américains ont souligné que Activision avait déboursé presque deux fois plus que Disney pour le rachat de Star Wars.
Un investissement trop cher payé?
En Bourse depuis mars 2014, l'action de King est passée de 22,5 à 18 dollars. Candy Crush a été lancé en 2012 et la firme en dépend encore beaucoup, les suites et les nouveaux jeux ne compensent pas l'érosion des joueurs.
Activision mise sur la manne d'utilisateurs de Candy Crush. 92 millions donc, mais en 2013, la firme King expliquait au Guardian que 70% des joueurs n'avaient jamais rien payé. Le journal britannique avait aussi analysé que seulement 2,3% des joueurs des différentes licences de King y allaient de leur poche. Ce qui n'a pas empêché la firme d'afficher un profit de 119 millions de dollars le dernier trimestre, certes en recul de 28% sur un an.
Mais un jeu qui marche comme Candy Crush est aussi une source de bénéfices qui ne nécessite plus d'inverstissement. Candy Crush est toujours dans le top mondial des applications iPhone les plus rentables, aux côtés de Clash of Clans (2012) et Game of War (2013)
Activision a déclaré que King resterait une entité indépendante. Ensemble, les deux firmes vont tenter ce qui semble le plus compliqué dans le jeu mobile: faire plus qu'un seul succès. Rovio, derrière Angry Birds, et Zynga (Farmville) ont par exemple du licencier ces derniers mois. Mais ils devront aussi réussir à faire payer les joueurs. Candy Crush est toujours en bonne santé mais le marché continuera de s'interroger sur sa marge de progression, en terme de nombre de joueurs ou en terme de joueurs payants.