Il l'a personnellement choisi pour faire décoller Air Sénégal, mais Philippe Bohn multiplie les couacs depuis son arrivée à la tête de la compagnie nationale-Le français est-il vraiment l'homme de la situation?
Macky Sall l'a personnellement choisi. Le président de la République veut en faire le chef d'orchestre, le maître d'oeuvre qui doit donner un nouveau souffle à Air Sénégal. Mais Philippe Bohn est-il vraiment l'homme qu'il faut à la tête de la compagnie nationale. La réponse est non, à en croire l'un des experts sénégalais les plus renommés en aviation. Cinglant.
Dans le monde du football, on les appelle les "Sorciers blancs". Ces techniciens, souvent français, qui débarquent avec leur staff, à la tête des sélections nationales africaines, avec pour mission de porter les équipes vers les sommets. Selon la croyance très répandue - mais pourtant fausse - ils doivent pallier le déficit en expertise locale.
Quelques-uns réussissent avec brio. La plupart obtiennent des résultats mitigés. Philippe Bohn est arrivé, auréolé de son statut de sauveur. Mais le mariage annoncé en grande pompe n'a pas été accompagné de lune de miel. À peine, l'ex-vice président, directeur Afrique chez Eads, a pris les commandes d'Air Sénégal que les couacs commencent à s'amonceler.
Le commandant Malick Tall n'est pas n'importe qui. Pilote à Air Afrique entre 1978 et 2002, instructeur, directeur des opérations à Air Sénégal, c'est une voix autorisée dans le milieu de l'aviation. Sur l'avenir de Bohn à la tête de la compagnie nationale, il s'est fait une religion. Selon lui, l'ancien photo-reporter français, reconverti en expert en relations internationales, est incapable de trouver les ressorts nécessaires pour faire d'Air Sénégal un fleuron de l'aviation.
"Il ne faut pas qu'on se fasse d'illusion, nous vivons dans un monde de guerre économique. Chaque Etat cherche à sauvegarder ses avantages. La destination Dakar est extrêmement importante, avec 300 milliards de chiffre d'affaires. Aujourd'hui, la situation du transfert aérien au Senegal est la suivante : le Sénégal est absent partout. Sur l'axe intercontinental entre l'Europe et le Sénégal, ce sont des compagnies européennes qui se sont positionnées. Sur l'axe France - Sénégal, ce sont deux compagnies qui se sont positionnées, Air France et Corsair, des compagnies qui font 7 vols par semaine. Ce n'est pas une petite affaire. Philipe Bohn n'est ici pour remettre en cause cet état de fait", explique M. Tall.
Ce que veut dire le commandant Tall, c'est que M. Bohn ne menacera jamais les intérêts de la France. L'ami de Gérad Longuet, ancien ministre français de la Défense, compagnon d'Henri Proglio, l'un des plus grands patrons français et ancien vice-président et directeur du développement du français Airbus Group ne peut pas tourner le dos à la France et à ses entreprises. Or, Air Sénégal ne pourra tirer son épingle du jeu sans s'opposer ouvertement aux compagnies françaises.
Un passé trouble
Mais, il faut se méfier des apparences. Si Philippe Bohn se présente comme un professeur de yoga à ses heures perdues, il n'en demeure pas moins qu'il s'est fait un nom en défendant Jonas Savimbi, un chef de guerre soutenu par le régime sud-africain de l'Apartheid, qui a plongé l'Angola dans une guerre civile de 27 ans avec ses 500 000 morts et 100 000 mutilés.
Nébuleuse. Ensuite, il faut dire que le nom du nouveau patron d'Air Sénégal est trempé dans une l'affaire de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. L'ancien président français avait mentionné son nom dans une retranscription téléphonique où il s'inquiétait de l'audition d'un proche de Khadafi par les services de renseignements de Paris. Des soupçons de versement de rétro-commissions avaient pesé sur Philippe Bohn, alors directeur du développement chez Airbus. Bohn fut aussi par le passé un agent du dispositif de la multinationale française Elf, qui était au cœur de la Françafrique.
En arrivant à Dakar, Philippe Bohn s'est inspiré de la méthode des "Sorciers blancs". Il est venu avec son équipe et s'est adjoint les services de Jérôme Maillet, l'ancien directeur général d'Air Congo. Ce dernier s'est vite attiré les foudres du petit monde de l'aviation sénégalaise, en exigeant des critères de sélection impossibles. Pour certains, ils voulaient simplement écarter les pilotes sénégalais.
D'après le commandant Tall, Philippe Bohn aurait tenu un discours mal à propos lors de sa prise de contact avec les employés d'Air Sénégal. Il aurait expliqué qu'il fallait, pour éviter un quatrième échec d'une compagnie sénégalaise, s'ouvrir à l'international et faire appel à des compétences étrangères. Un speech malvenu, qui a franchement agacé certains employés de la compagnie.
"Bohn n'est pas véritablement un spécialiste du transport aérien. Il a donc recruté quelqu'un qui s'y connaît très bien, en la personne de Jérôme Maillet. Mais c'est lorsque ce dernier est arrivé que les choses ont commencé à prendre une mauvaise tournure." Et Malick Tall de continuer : " Il a commencé (Jérôme Maillet) à vouloir mettre des critères impossibles et il a voulu prendre un courtier étranger alors que la loi sénégalaise l'interdit".
D'ailleurs, précise Malick Tall, tous les anciens dirigeants de la compagnie...étaient des étrangers. Le licenciement de la Sénégalaise Virginie Seck, débauchée par le prédécesseur de Bohn, Mamadou Lamine Sow, chez Dassault Aviation, a été perçu comme une autre volonté de saborder la dynamique d'Air Sénégal.
Bohn est-il le "sorcier blanc" qui parviendra à faire décoller Air Sénégal et à répondre aux attentes du président de la République ? Il n'en donne pas toutes les garanties.