La mort d'un avocat met en lumière les abus meurtriers de la police kényane

Rédigé par Dakarposte le Samedi 9 Juillet 2016 à 14:45 modifié le Samedi 9 Juillet 2016 15:12

Au Kenya, la disparition et la mort d'un influent avocat, Willie Kimani, ainsi que celle de son client et de leur chauffeur de taxi, a généré colère et indignation à l'encontre des abus répétés de la police.


La police kényane est réputée pour ne pas respecter les droits de l’Homme. Pour preuve, dans certaines villes, les activistes qui travaillent sur des sujets sensibles outilisent un système de SMS pour prévenir leurs collègues s’ils soupçonnent une voiture ou une moto de les suivre. Dans la ville côtière de Mombasa, dans l’est du pays, plusieurs victimes ont ainsi envoyé ces messages quelques jours seulement avant de disparaitre mystérieusement. Dans la plupart des cas, les suspects sont des officiers de sécurité travaillant pour la police.

En 2009, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, Philip Alston, avait pointé du doigt "l’existence d’exécutions extrajudiciaires à grande échelle, systématiques et soigneusement préparées, menées à un rythme régulier par la police kényane”. Selon l’ONG Independent Medico Legal Unit, 520 exécutions extrajudiciaires ont ainsi eu lieu depuis 2013, 95 pour la seule année 2015.

Mais cette sordide situation a franchi un nouveau cap avec les meurtres récents de Willie Kimani, Josephat Mwenda et Joseph Muiruri qui ont choqué la population et entraîné des manifestations de colère un peu partout dans le pays contre les forces de l’ordre.

Les meurtres de trop

Le 23 juin 2016, Willie Kimani, un éminent avocat, a disparu peu de temps après avoir représenté son client Josephat Mwenda devant un tribunal de Nairobi. Ce dernier, un "boda-boda", un chauffeur de mototaxi, avait déposé plainte contre un officier de police kényan pour harcèlement.

Les corps des deux hommes, ainsi que celui de leur chauffeur de taxi Joseph Muiruri, ont finalement été retrouvés le 1er juillet dans une rivière aux abords de Nairobi. Des témoins ont indiqué à des organisations de défense des droits de l’Homme avoir vu quelques jours plus tôt Kimani et Mwenda appelant à l’aide alors qu’ils se trouvaient dans un camp de la police. Ces accusations ont été niées par les forces de l’ordre.

Après la découverte de ces corps, qui présentaient par ailleurs des marques de torture selon un rapport d’autopsie, des rassemblements ont eu lieu au Kenya. Des manifestants aux t-shirts portant l’inscription "Stop aux exécutions de la police" sont sortis dans la rue à Nairobi en brandissant des cercueils symboliques. Des marches similaires ont également eu lieu à Mombasa, Kismayu et dans d’autres villes du pays. Les avocats ont aussi lancé un mouvement de grève, alors que le camp de la police incriminée dans cette affaire a été incendié.

Cette fois-ci, il semble que les tueurs soient allés beaucoup trop loin. "Il y a plusieurs raisons qui expliquent pourquoi le pays est si choqué", estime Muthoni Wanyeki, directrice régionale d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Est. "Premièrement, cette affaire implique un boda-boda qui avait porté plainte contre la police. Deuxièmement, elle concerne aussi un avocat qui le défendait. Cela est donc perçu par le monde de la justice comme une attaque contre l’État de droit. Enfin, la troisième victime était un chauffeur de taxi qui tentait simplement de gagner sa vie. Il est devenu le symbole des problèmes qui sont en jeu".

Ces meurtres parlent ainsi pour les sans-voix qui dans les quartiers où la criminalité est élevée doivent subir les frais de la brutalité policière et de la corruption. Mais dans cette affaire, une des victimes était aussi un défenseur des classes populaires. Kimani était un avocat travaillant pour l'International Justice Mission (IJM), une ONG américaine, qui mène des projets en Afrique, en Amérique latine, en Asie du Sud et qui a des liens forts avec les cercles du pouvoir et notamment avec le Congrès à Washington.

"Il faut vraiment être fou pour penser qu'ils vont s'en tirer comme cela", a ainsi expliqué au New-York Times Maina Kiai, l’un des activistes les plus influences du Kenya. "C’est une première. Cela fait peur. Les gens se disent: ‘qui sera le prochain?’"

Enfin un changement de volonté des autorités ?

Mais la question la plus importante est finalement celle des conséquences. Que va-t-il se passer dans le pays à la suite de cette mobilisation sans précédent contre la police ? "La rhétorique du gouvernement et le sentiment général dans la population étaient jusqu’à présent que la lutte contre le crime organisé ainsi que le combat contre les jihadistes justifiaient à peu près tout", décrit Muthoni Wanyeki. "Mais maintenant les gens commencent à dire que la fin ne justifie pas les moyens et que cela doit cesser".

Mais changer la situation est un défi qui selon beaucoup paraît trop compliqué pour le Kenya qui ne semble pas prêt à le faire ou qui n’a pas la volonté nécessaire. Après des affaires similaires, des associations de défense des droits de l’Homme avaient appelé les autorités à enquêter et peu de choses en étaient ressorties. Il y a environ quatre ans, après le meurtre d'Aboud Rogo, un Imam de Mombasa, Khelef Khalifa, le directeur de l’ONG Muslims for Human Rights avait vu sa demande d’enquête auprès de la police rejetée. "Vous ne pouvez pas compter sur les gens qui ont commis un crime pour enquêter dessus", avait-il résumé en 2012 lors d’une interview à France 24.

D’autres activistes insistent de leur côté sur le fait que la police des polices, l’ Independent Policing Oversight Authority (IPOA), devrait mener l’enquête sachant que les exécutions extrajudiciaires sont intrinsèquement liées au travail interne des forces de l’ordre. En 2009, une force opérationnelle dirigée par l’ancien juge Philip Ransley avait mis sur place un programme ambitieux de réforme de la police. Deux ans plus tard, des lois avaient été votées pour réviser la structure de la police et imposer de nouvelles normes. Mais en 2013, un rapport d’Amnesty a montré que de nombreuses réformes n’avaient pas été mise en œuvre, montrant le peu de volonté politique à suivre ce programme.

"Passer des comptes-rendus à l’action"

Les activistes kényans notent par ailleurs que les moyens financiers pour ce programme de réformes de la police ne manquent pas, venant des gouvernements américains, britanniques ou suédois, mais qu’il y a en revanche un manque d’expertise sur la question. "Ce n’est pas comme si la documentation n’existait pas. Il y a l’ONG Independent Medico Legal Unit et de nombreuses associations de défense des droits de l’Homme qui font état des abus de la police", décrit Muthoni Wanyeki. "Le problème est de passer des comptes-rendus à l’action".

Pour la directrice régionale d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Est, les donateurs internationaux doivent encore plus prêter attention à ce problème. "Se focaliser seulement sur la formation ou sur l’envoi d’équipement n’est pas suffisant si l’on ne demande pas dans le même temps une certaine forme de responsabilité concernant les violations des droits de l’homme par la police". "La communauté internationale devrait nous aider au lieu de juste se débarrasser de la question", insiste-t-elle.

Mais s’ils donnent des leçons en matière de réforme de la police, certains pays et spécialement les États-Unis pourraient être perçus comme celui qui voit la paille dans l’œil du voisin, mais qui ne voit pas la poutre dans le sien. L’important mouvement de mobilisation qui a lieu actuellement outre-Atlantique pour dénoncer des violences raciales de la police montre bien que la conduite des policiers et leur responsabilisation sont une question qui transcende les frontières et les continents.
 
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