Bien que garantie par la Constitution, la liberté d’expression est déniée à une catégorie de la population contrainte à une obligation de réserve du fait de son statut. Ce que des magistrats contestent et le disent.
‘’La République du Sénégal garantit à tous les citoyens les libertés individuelles fondamentales, les droits économiques et sociaux ainsi que les droits collectifs.’’ Parmi ces libertés et droits, il y a notamment les libertés civiles et politiques dont, entre autres, la liberté d’opinion, la liberté d’expression. Pourtant cette disposition de l’article 8 de la Constitution est loin d’être effective. Car, une catégorie de citoyens, particulièrement les fonctionnaires, en sont privés. En effet, l’article 14 du statut général de la Fonction publique dispose : ‘’Indépendamment des règles instituées dans le code pénal en matière de secret professionnel, tout fonctionnaire est lié par l’obligation de discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les documents, les faits et informations dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions’’. En d’autres termes, ils sont tenus par ‘’un devoir de réserve’’.
Cette restriction à la liberté d’expression concerne particulièrement les militaires, certains agents de la Fonction publique, notamment les magistrats, les policiers et certains hauts fonctionnaires. Ces derniers doivent s’abstenir de faire état de leurs opinions personnelles sur des questions relatives à leur activité ou d’avoir des comportements incompatibles avec la dignité, l’impartialité ou la sérénité de leurs fonctions. Une volonté des gouvernants visant à garantir la neutralité et l’impartialité de l’administration. ‘’L’obligation de réserve est une limitation traditionnelle à la liberté d’expression, c’est une création de la jurisprudence du Conseil d’État. Elle a été mise en place pour éviter des prises de position de nature à donner une image négative de l’administration’’, écrit Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II. Cette proscription, le Sénégal l’a héritée du droit français d’où il tire sa source. C’est sous la Troisième République que la France restreignait le droit de vote aux militaires et les astreignait à l’omerta civilement appelée obligation de réserve.
Mais aujourd’hui, force est de constater que les choses ont évolué tant au Sénégal qu’en France où les militaires ont le droit de voter. Mais concernant l’obligation de réserve, le Sénégal est loin derrière sa référence, puisque beaucoup de fonctionnaires continuent d’être muselés par cette restriction qui pèse sur eux. Pour preuve, il est fréquent qu’un journaliste se voie rétorquer, à tort ou à raison, la célèbre formule : ‘’Je ne peux pas me prononcer dans les médias, car je suis soumis à une obligation de réserve.’’
‘’Tout ce qui leur est interdit, c’est de parler des dossiers pendants’’
‘’Obligation de réserve ne signifie pas obligation de se taire !’’ tonnent plusieurs magistrats interpellés par EnQuête qui a pris prétexte de l’affaire du magistrat Ibrahima Hamidou Dème pour aborder la question. Devant les députés, le ministre de la Justice a accusé le démissionnaire d’avoir violé l’obligation de réserve pour s’être épanché dans la presse sur le fonctionnement de la justice, suite à sa démission du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Une accusation réfutée par plusieurs de nos interlocuteurs qui pensent que le substitut général à la Cour d’appel de Dakar s’est conformé aux règles de déontologie régissant la magistrature. ‘’Les gens font d’énormes erreurs en pensant que les magistrats doivent se taire. Tout ce qui leur est interdit, c’est de parler des dossiers pendants, mais pas des questions relevant de leur profession ou d’ordre technique’’, précise un juge. Mieux, un autre magistrat, qui a lui aussi préféré s’exprimer sous le sceau de l’anonymat, va plus loin. ‘’Tout sujet qui concerne l’intérêt du pays, le magistrat est habilité à en parler, pourvu qu’il ne revête pas un manteau de partisan’’, dit-il.
Pour le cas spécifique de Dème, Moussa Ndiaye, fonctionnaire dans un ministère, soutient que les problèmes posés par le parquetier ne datent pas d’aujourd’hui. ‘’Plusieurs fois, nous avons entendu l’UMS (Union des magistrats sénégalais) parler de problème d’indépendance de la justice. Ils sont même allés jusqu’à demander le départ du président de la République du Conseil supérieur de la magistrature’’, rappelle notre interlocuteur selon qui ‘’les magistrats sont les mieux habilités à parler des problèmes de la Justice’’. Un argument que partage un juge à la Cour d’appel de Dakar qui renchérit qu’un ‘’paysan ne peut pas parler des problèmes de la Justice, parce qu’il n’est pas un sachant dans ce domaine’’.
Avant Dème, il y a eu…
Toujours est-il que nos interlocuteurs pensent qu’il est temps que les mentalités évoluent, dans un contexte où le Sénégal se vante de sa démocratie. ‘’Nous ne sommes pas en 1900 ou 1960 ! Il y a des questions sur lesquelles il faut communiquer avec la population, d’autant que la justice est rendue au nom du peuple’’, soutient un magistrat. Mais la communication d’Ibrahima Hamidou Dème sur le fonctionnement de la Justice risque de coûter cher au magistrat. Du moins, si l’on se fie aux propos du Garde des Sceaux qui a laissé entendre que le substitut général risque de se retrouver devant la commission disciplinaire du CSM. Sera-t-il sanctionné ou pas ? En tous les cas, ce ne serait pas une première pour un fonctionnaire.
Ces dernières années, des fonctionnaires ont été sanctionnés à cause de leurs opinions. Les exemples ne manquent pas. En octobre 2013, c’est l’ex-directeur de l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis), le Commissaire Cheikhna Cheikh Saad Bouh Keita, qui a été radié de la police par le président de la République. Même si elle était en fin de mandat, Nafi Ngom a surtout été limogée de son poste de Présidente de l’Office national de lutte contre la corruption et la fraude (OFNAC), le 25 juillet dernier, pour violation de devoir de réserve. Avant elle, le colonel Abdoulaye Aziz Ndao a également payé pour sa liberté de ton. Sauvé in extremis de la radiation de la gendarmerie, puisqu’il était à quatre mois de la retraite, l’officier de gendarmerie a quand même subi un arrêt de rigueur, à cause de son livre explosif intitulé ‘’Pour l’honneur de la gendarmerie’’, dans lequel il accusait son ancien patron, l’ex-Haut commandant de la gendarmerie nationale, le général Abdoulaye Fall, d’avoir toujours agi en complicité avec le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) et d’avoir toujours perçu 200 millions mensuellement dans le dossier de la Casamance. Accusé par le ministre des Forces armées, Augustin Tine d’avoir commis une infraction aux règles de protection du secret”, l’ex-conseiller militaire à l’Ambassade du Sénégal au Portugal a été rappelé de Lisbonne où il se trouvait. L’avant-dernier exemple en date est celui d’Ousmane Sonko. L’inspecteur principal des Impôts et des Domaines a été radié de la Fonction publique à cause de ses révélations et critiques acerbes envers le régime actuel.
‘’La République du Sénégal garantit à tous les citoyens les libertés individuelles fondamentales, les droits économiques et sociaux ainsi que les droits collectifs.’’ Parmi ces libertés et droits, il y a notamment les libertés civiles et politiques dont, entre autres, la liberté d’opinion, la liberté d’expression. Pourtant cette disposition de l’article 8 de la Constitution est loin d’être effective. Car, une catégorie de citoyens, particulièrement les fonctionnaires, en sont privés. En effet, l’article 14 du statut général de la Fonction publique dispose : ‘’Indépendamment des règles instituées dans le code pénal en matière de secret professionnel, tout fonctionnaire est lié par l’obligation de discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les documents, les faits et informations dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions’’. En d’autres termes, ils sont tenus par ‘’un devoir de réserve’’.
Cette restriction à la liberté d’expression concerne particulièrement les militaires, certains agents de la Fonction publique, notamment les magistrats, les policiers et certains hauts fonctionnaires. Ces derniers doivent s’abstenir de faire état de leurs opinions personnelles sur des questions relatives à leur activité ou d’avoir des comportements incompatibles avec la dignité, l’impartialité ou la sérénité de leurs fonctions. Une volonté des gouvernants visant à garantir la neutralité et l’impartialité de l’administration. ‘’L’obligation de réserve est une limitation traditionnelle à la liberté d’expression, c’est une création de la jurisprudence du Conseil d’État. Elle a été mise en place pour éviter des prises de position de nature à donner une image négative de l’administration’’, écrit Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II. Cette proscription, le Sénégal l’a héritée du droit français d’où il tire sa source. C’est sous la Troisième République que la France restreignait le droit de vote aux militaires et les astreignait à l’omerta civilement appelée obligation de réserve.
Mais aujourd’hui, force est de constater que les choses ont évolué tant au Sénégal qu’en France où les militaires ont le droit de voter. Mais concernant l’obligation de réserve, le Sénégal est loin derrière sa référence, puisque beaucoup de fonctionnaires continuent d’être muselés par cette restriction qui pèse sur eux. Pour preuve, il est fréquent qu’un journaliste se voie rétorquer, à tort ou à raison, la célèbre formule : ‘’Je ne peux pas me prononcer dans les médias, car je suis soumis à une obligation de réserve.’’
‘’Tout ce qui leur est interdit, c’est de parler des dossiers pendants’’
‘’Obligation de réserve ne signifie pas obligation de se taire !’’ tonnent plusieurs magistrats interpellés par EnQuête qui a pris prétexte de l’affaire du magistrat Ibrahima Hamidou Dème pour aborder la question. Devant les députés, le ministre de la Justice a accusé le démissionnaire d’avoir violé l’obligation de réserve pour s’être épanché dans la presse sur le fonctionnement de la justice, suite à sa démission du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Une accusation réfutée par plusieurs de nos interlocuteurs qui pensent que le substitut général à la Cour d’appel de Dakar s’est conformé aux règles de déontologie régissant la magistrature. ‘’Les gens font d’énormes erreurs en pensant que les magistrats doivent se taire. Tout ce qui leur est interdit, c’est de parler des dossiers pendants, mais pas des questions relevant de leur profession ou d’ordre technique’’, précise un juge. Mieux, un autre magistrat, qui a lui aussi préféré s’exprimer sous le sceau de l’anonymat, va plus loin. ‘’Tout sujet qui concerne l’intérêt du pays, le magistrat est habilité à en parler, pourvu qu’il ne revête pas un manteau de partisan’’, dit-il.
Pour le cas spécifique de Dème, Moussa Ndiaye, fonctionnaire dans un ministère, soutient que les problèmes posés par le parquetier ne datent pas d’aujourd’hui. ‘’Plusieurs fois, nous avons entendu l’UMS (Union des magistrats sénégalais) parler de problème d’indépendance de la justice. Ils sont même allés jusqu’à demander le départ du président de la République du Conseil supérieur de la magistrature’’, rappelle notre interlocuteur selon qui ‘’les magistrats sont les mieux habilités à parler des problèmes de la Justice’’. Un argument que partage un juge à la Cour d’appel de Dakar qui renchérit qu’un ‘’paysan ne peut pas parler des problèmes de la Justice, parce qu’il n’est pas un sachant dans ce domaine’’.
Avant Dème, il y a eu…
Toujours est-il que nos interlocuteurs pensent qu’il est temps que les mentalités évoluent, dans un contexte où le Sénégal se vante de sa démocratie. ‘’Nous ne sommes pas en 1900 ou 1960 ! Il y a des questions sur lesquelles il faut communiquer avec la population, d’autant que la justice est rendue au nom du peuple’’, soutient un magistrat. Mais la communication d’Ibrahima Hamidou Dème sur le fonctionnement de la Justice risque de coûter cher au magistrat. Du moins, si l’on se fie aux propos du Garde des Sceaux qui a laissé entendre que le substitut général risque de se retrouver devant la commission disciplinaire du CSM. Sera-t-il sanctionné ou pas ? En tous les cas, ce ne serait pas une première pour un fonctionnaire.
Ces dernières années, des fonctionnaires ont été sanctionnés à cause de leurs opinions. Les exemples ne manquent pas. En octobre 2013, c’est l’ex-directeur de l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis), le Commissaire Cheikhna Cheikh Saad Bouh Keita, qui a été radié de la police par le président de la République. Même si elle était en fin de mandat, Nafi Ngom a surtout été limogée de son poste de Présidente de l’Office national de lutte contre la corruption et la fraude (OFNAC), le 25 juillet dernier, pour violation de devoir de réserve. Avant elle, le colonel Abdoulaye Aziz Ndao a également payé pour sa liberté de ton. Sauvé in extremis de la radiation de la gendarmerie, puisqu’il était à quatre mois de la retraite, l’officier de gendarmerie a quand même subi un arrêt de rigueur, à cause de son livre explosif intitulé ‘’Pour l’honneur de la gendarmerie’’, dans lequel il accusait son ancien patron, l’ex-Haut commandant de la gendarmerie nationale, le général Abdoulaye Fall, d’avoir toujours agi en complicité avec le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) et d’avoir toujours perçu 200 millions mensuellement dans le dossier de la Casamance. Accusé par le ministre des Forces armées, Augustin Tine d’avoir commis une infraction aux règles de protection du secret”, l’ex-conseiller militaire à l’Ambassade du Sénégal au Portugal a été rappelé de Lisbonne où il se trouvait. L’avant-dernier exemple en date est celui d’Ousmane Sonko. L’inspecteur principal des Impôts et des Domaines a été radié de la Fonction publique à cause de ses révélations et critiques acerbes envers le régime actuel.