En visite à Bamako, la ministre des Armées, Florence Parly, a annoncé lundi la neutralisation d'«une cinquantaine de djihadistes affiliés à Al-Qaïda vendredi au cours d'une opération menée au Mali par l'armée française dans la zone dite des «trois frontières», à proximité du Burkina Faso». Selon elle, l'armée française a pu repérer par ses drones une importante colonne de djihadistes à moto. «Ces motos se sont ensuite groupées et dissimulées sous les arbres. Nous avions deux Mirage dans la zone, Barkhane a immédiatement déclenché l'opération et a lancé une frappe». Une cinquantaine d'armes ont également été saisies.
La ministre des Armées Florence Parly est actuellement au Sahel quelques jours après la visite du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Après une escale à Niamey, au Niger, où elle a rencontré le président Mahamdou Issoufou, elle est arrivée lundi au Mali. Elle devait y rencontrer son homologue, le colonel Sadio Camara, le chef d'état-major malien, le général Oumar Diarra, le président de transition Bah Ndaw, mais aussi le vice-président, le colonel Assimi Goïta, l'homme fort de la junte qui a pris le pouvoir cet été, en renversant l'ancien président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août.
Pas à pas, les autorités françaises cherchent à définir leurs relations avec le pouvoir de transition à Bamako. Pour sortir de l'impasse militaire au Sahel, Paris mise sur un changement de donne politique et une nouvelle implication des acteurs locaux.
« L'objectif est de s'assurer de la détermination des autorités à poursuivre l'engagement des forces armées maliennes dans les différentes opérations que nous menons ensemble », a confié Florence Parly à l'AFP. Depuis 2013, la France opère militairement au Mali contre les «groupes armés terroristes» qui sévissent au nord et à l'est du pays.
L'opération Barkhane, depuis 2014, s'est fixée comme objectif de permettre aux forces armées du Sahel, et en premier lieu maliennes, de faire face à la menace djihadiste. «Cette détermination ne s'est pas démentie depuis le 18 août mais il est important d'avoir un échange avec les autorités pour s'assurer que cette intention va bien s'inscrire dans le plus long terme, car nous devons planifier de nouvelles opérations», a-t-elle ajouté.
Barkhane à un point de bascule
Après l'offensive lancée en janvier après le sommet de Pau pour reprendre l'ascendant sur le terrain, et qui s'était concrétisée par l'envoi de 600 hommes supplémentaires, Barkhane est arrivée à un point de bascule. «On s'approche de la fin de l'année. C'est un moment naturel pour faire un point d'avancement des engagements pris», a souligné Florence Parly.
Tactiquement, l'armée française remporte des succès incontestables. L'État islamique au Grand Sahara, désigné comme ennemi principal lors du sommet de Pau, a subi des pertes sévères au premier semestre dans la région des Trois frontières, là où il sévit. Mais la menace est endémique, liée à la fragilité politico-sociale du Mali, aux tensions intra-communautaires ou au retrait de l'État. Autant de maux que Barkhane ne peut pas vaincre.
Si le cœur de l'EIGS ne compte que quelques centaines d'hommes, le nombre de ses combattants au sens large est impossible à déterminer précisément, fait-on valoir au sein de l'état-major. La violence n'a pas disparu. Dès lors, des voix commencent à s'interroger sur l'avenir de Barkhane. Pour le député de la majorité Thomas Gassilloud, l'heure d'une décrue est venue. «Nous sommes au bout d'un cycle», dit-il en voulant amorcer un débat.
La France ne veut plus être seule
Au sein des armées, la priorité est désormais donnée à la «sahélisation» du conflit et à «l'internationalisation» de son accompagnement. En clair, la France ne veut plus être seule à se battre au Sahel. Elle prépare une «transition» qui annonce, sans doute à mots couverts, une baisse progressive des moyens déployés. Les militaires insistent : chaque opération est désormais menée conjointement avec des armées locales, dans le cadre de la Force conjointe du G5 Sahel. Le niveau de coordination est parvenu à un niveau inégalé, dit-on. Les Nigériens ont réalisé des progrès notables. Pour aider les pays de la région, la mission de formation européenne EUTM devrait être élargie au Burkina Faso et au Niger.
Paris mise aussi sur la coopération européenne avec l'arrivée lente mais progressive des éléments de la Task force Takuba. Composée de forces spéciales européennes, Takuba doit accompagner et conseiller les forces locales. Les militaires estoniens sont sur place depuis juillet. Les Tchèques, les Suédois et les Italiens sont attendus d'ici le début de l'année prochaine. Takuba a participé à une première opération sur le terrain : «Bourrasque».
« Le Mali doit disposer de forces en mesure de faire face aux groupes terroristes capables de se régénérer dans le temps », a déclaré Florence Parly à l'issue de son entretien avec le ministre de la Défense malien. «Aujourd'hui la situation montre qu'il faut accélérer. Le retour des armées et des forces de sécurité sur l'ensemble du territoire est un préalable au retour des administrations. Il faut disputer le terrain aux groupes armés terroristes», a-t-elle poursuivi. «Face à ennemi qui se dilue, il faut savoir se réinventer. Barkhane s'adapte et continuera à s'adapter», a-t-elle insisté.
Paris refuse de dialoguer avec les groupes terroristes
À Bamako, la junte, et notamment le colonel Goïta, n'a cessé depuis sa prise de pouvoir de déclarer qu'elle voulait respecter les accords militaires avec ses partenaires et poursuivre la guerre contre les djihadistes. Mais elle a aussi négocié la libération d'otages en libérant 200 djihadistes emprisonnés. Pour Barkhane, qui a toujours fermement refusé toute négociation avec des groupes qualifiés de terroristes, le coup est dur. Sur les réseaux sociaux, le chef touareg Iyad Ag Ghaly a paradé avec ses hommes. À Paris, on insiste pour dire que le leader du GSIM, affilié à Al-Qaïda, figure toujours sur la liste des ennemis de Barkhane.
À Bamako, la ministre des Armées Florence Parly pouvait espérer quelques réponses de ses interlocuteurs officiels. «On ne peut pas dialoguer avec les groupes djihadistes qui n'ont pas renoncé au combat terroriste», a-t-elle déclaré avant ses entretiens. «C'est de la responsabilité des autorités maliennes, pas la nôtre, mais il est important d'échanger» sur le sujet, a-t-elle complété. Une semaine auparavant, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait aussi exclu toute discussion avec des groupes armés qui n'auraient pas signé les accords de paix de 2015. Le premier ministre de transition Moctar Ouane s'était montré moins affirmatif.