L’Etat contre Karim Wade et Cie: Bras de fer autour de 10 milliards à Monaco

Rédigé par Dakarposte le Jeudi 21 Avril 2016 à 16:56 modifié le Jeudi 21 Avril 2016 16:57

«Libération» s’est procuré l’arrêt rendu le 25 février dernier par la Cour d’appel de Monaco dans le cadre du dossier opposant l’Etat du Sénégal à Karim Wade et Compagnie. Dans cette affaire, l’Etat n’a pas encore gagné le bras de fer. Chronologie d’un bras de fer qui s’annonce épique.


Le 2 octobre 2012, le procureur spécial prés la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) du Sénégal a diligenté une enquête visant Karim Wade au motif que le train de vie et la fortune de ce dernier semblaient sans rapport avec les revenus légaux qu’il percevait en qualité de conseiller spécial du Président de la République du Sénégal, de président du conseil de surveillance de l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique et de ministre d’Etat du gouvernement de la République du Sénégal. 

A l’occasion de l’exécution d’une demande d’entraide pénale adressée aux autorités monégasques le 27 décembre 2012, plusieurs comptes ont été découverts dans les livres de la société Julius Baer Bank de Monaco (anciennement Ing Baring Bank) au nom de Karim Wade, d’Ibrahim Aboukhalil, de Karim Aboukhalil, de Mamadou Pouye et de sociétés dont ils sont les ayants droits économiques ou les mandataires, et crédités de sommes évaluées, par expertise, à 99,129 milliards de Fcfa. Saisie par un réquisitoire introductif du procureur spécial prés la Crei, la Commission d’instruction de cette juridiction a inculpé, le 17 avril 2013, Karim Wade du chef d’enrichissement illicite et Ibra- hima Aboukhalil, Karim Aboukha- lil et Mamadou Pouye de celui de complicité. 

Au commencement était une demande d’entraide pénale 

Le 26 juin 2014, les autorités sénégalaises ont délivré une demande d’entraide pénale internationale destinée à l’Etat de Monaco en vertu de laquelle la saisie conservatoire des avoirs détenus sur les comptes bancaires en question ont été pratiquées. Vingt et quatre comptes bancaires ouverts au nom de Orah Placement sa, Fontabel Trading Sa, Hbk Financial investments, Dahlia Coporate Sa, Coral services management, Abs corporate Ltd, Menzies Middle East et Africa Sa, Menzies Afrique centrale, Metinvest Equity Sa, Sci Aisa, Djoz Sa, Gp Group international Ltd, Ma Engeering corp, General Air service Sa, Aviation Handling int Ltd, Menzies Middle East et Africa holdings, Menzies Middle east et Africa group, Pear Capital investments Ltd, Regory Invest Inc, Hasssan Ferial, Abou- khalil Ibrahim ou Karim, Karim Aboukhalil, Mamadou Pouye et Karim Wade. 

Par arrêt du 8 août 2014, devenu définitif, la Cour d’appel de Monaco, statuant en Chambre de conseil a déclaré partiellement irrecevable la demande d’Ibrahim Aboukhalil et Karim Aboukhalil tendant à la mainlevée de la saisie conservatoire et, pour le surplus, elle les en a déboutés. Ensuite, par arrêt du 14 octobre 2014, elle a débouté Karim Wade de sa demande en mainlevée de la saisie conservatoire des avoirs détenus sur le compte ouvert en son nom à la Julius Baer Bank. 

Dans son arrêt rendu le 23 mars, la Crei condamne Karim Wade, Ibrahim Aboukhalil, Mamadou Pouye et, par défaut, Karim Abou- khalil. Elle a ordonné en outre la confiscation «des biens présents des condamnés de quelque nature qu’ils soient, meubles ou im- meubles, divis ou indivis, corporels ou incorporels, notamment les actions des sociétés dont ils sont les bénéficiaires économiques ». Statuant sur les intérêts civils, la Crei a condamné solidairement Karim Wade, Ibrahim Aboukhalil, Karim Aboukhalil et Mamadou Pouye à payer à l’Etat du Sénégal la somme de 10 milliards de Fcfa. 

La leçon de la présidente du tribunal de première instance de Monaco à l’Etat 

Par requête du 17 novembre 2015, l’Etat du Sénégal a saisi la présidente du tribunal de première instance de Monaco afin d’être autorisé à pratiquer une saisie-arrêt entre les mains de Julius Baer Bank sur tous les fonds ou valeurs pour le compte de Karim Wade, Bibo, Mamadou Pouye et des sociétés citées plus haut, en garantie de sa créance évaluée à 10 milliards de Fcfa. Par ordonnance du 26 novembre 2015, la présidente du tribunal de première instance a rejeté la requête et laissé les dépens à la charge de l’Etat. Elle a retenu qu’à la suite des arrêts du 8 août et du 14 octobre 2014, les mesures de blocage des comptes produisaient toujours leurs effets et permettaient de garantir le recouvrement de la créance de dommages et intérêts de l’Etat du Sénégal et qu’en conséquence celui-ci ne justifiait pas un intérêt légitime, né et actuel. S’agissant plus spécialement de la demande de saisie- arrêt formée à l’encontre des 19 personnes morales visées dans la requête, l’Etat du Sénégal ne justifiait pas être titulaire à leur encontre d’un principe certain de créance puisque seuls Karim Wade, Ibrahim Aboukhalil, Karim Aboukhalil et Mamadou Pouye avaient été condamnés au paiement de dommages et intérêts, que les mesures de confiscation prononcées par la Crei ne portaient que sur les biens de toute nature appartenant aux personnes condamnées et que le caractère «fictif » des sociétés visées dans le cadre n’était pas suffisamment démontré. 

L’Etat revient à la charge à la Cour d’appel 

Par requête du 11 décembre 2015, l’Etat du Sénégal, qui venait ainsi de subir un sérieux revers, a relevé appel et saisi la Cour des mêmes prétentions que celles qu’il avait formulées en première instance. Il a fait valoir que parmi les comptes ouverts dans les livres de la Julius Baer Bank figurent ceux appartenant en nom propre aux prévenus ainsi que ceux de sociétés offshore dont les sièges sociaux sont situé aux Iles vierges britanniques, au Luxembourg, au Panama ou encore à Hong Kong, qui ont pour bénéficiaires économiques Ibrahim Aboukhalil, Karim Aboukhalil et Mamadou Pouye, lesquels amis d’enfance de Karim Wade auraient servi de prête-noms à ce dernier pour lui permettre d’accroître illicitement son patrimoine. L’Etat ajoutait qu’à la suite de la condamnation définitive des prévenus au paiement de la somme de 10 milliards de Fcfa à titre de dommages-intérêts, il possède à leur encore une créance certaine, liquide et exigible. 

Un bras de fer qui risque de s’éterniser 

La mise en recouvrement de cette créance nécessitera, selon l’Etat, la mise en œuvre de procédures d’exécution et d’exequatur notamment à Monaco qui risque d’être longues et au cours des- quelles les prévenus mettront tout en œuvre, comme ils l’ont déjà fait dans le cadre de mesures conservatoires prises par la Commission d’instruction, pour tenter de faire échapper leur patrimoine aux poursuites. 

L’Etat, dès lors qu’il ne dispose à ce jour d’aucune mesure pour garantir le paiement de sa créance de dommages et intérêts, justifie ainsi un intérêt légitime né et actuel pour obtenir la saisie à titre conservatoire des avoirs détenus dans les livres de la Julius Baer Bank non seulement par les prévenus mais aussi par les sociétés dont ils sont les bénéficiaires éco- nomiques. S’agissant plus particulièrement de ces dernières, l’Etat jure que 17 sociétés sont titulaires de comptes auprès de la Julius Bank dont les bénéficiaires économiques sont Ibrahim Aboukhalil, Karim Aboukhalil et Mamadou Pouye, et deux ont pour bénéficiaires Nadia Bourgi, tante des deux premiers, tandis qu’Hassan Ferial est un «prête-nom ». 

Dans son arrêt, la Cour d’appel de Monaco a autorisé l’Etat du Sénégal à pratiquer une saisie-arrêt à concurrence de 10 milliards de Fcfa sur les avoirs détenus par les mis en cause présumés mais aussi une saisie-arrêt à hauteur du même montant sur les comptes détenus par les sociétés visées. En fait, ce bras de fer judiciaire est loin de connaître son épilogue puisque les avocats de Karim Wade et Cie ont fait appel. Et mieux, pour le moment, l’Etat ne dispose que d’une saisie-arrêt qui ne lui permet pas de faire main basse sur les fonds qu’il cible. Ce qui serait possible avec une série-attribution… 

Source: Libération
Cheikh Amidou Kane
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