Depuis les premières heures de la matinée d’hier, vendredi 19 juin, des tirs nourris à l’arme automatique étaient perceptibles dans les forêts de Singhère et de Bissine, dans l’extrême sud du pays, jusqu’en milieu de la journée. Selon nos sources, l’Armée y mène des opérations de sécurisation en y renforçant sa présence. Un appareil des Forces Armées survolait l’espace, en appui aux troupes au sol qui cherchent à repousser les combattants du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Mardi dernier 16 juin, ces éléments du MFDC ont chassé la dizaine de familles retournée, la veille, au bercail à Singhère Diola, après 28 ans d’exil et d’errance. Revenant sur le film de leur interpellation dans le village, Mamadou Bacary Goudiaby, l’un des habitants de Singhère Diola de retour au bercail, explique : «j’ai vu un combattant du MFDC, sorti par derrière moi, avec une arme de type kalachnikov alors que trois autres étaient en face de nous. Ils nous ont demandé ce que nous faisions ici. Et à notre réponse que nous sommes rentrés dans notre village, ils nous ont sommé de quitter vite les lieux car Singhère Diola est une zone de guerre et que la prochaine fois, ils vont nous tuer tous».
LA VOIX PATHETIQUE DES REFUGIES : «ON COMPTE TOUJOURS Y REVENIR»
Le chef de village de Singhère Diola, manifestement très affligé par le cours des événements, rappelle leur volonté de retourner à leur foyer d’origine. «On nous a contraints à quitter les lieux, on prend acte. Mais on n’y renonce pas car c’est notre village et nous n’avons connu que ce village. Ailleurs où nous étions en exil, c’est pénible. Nous n’avons ni terre ni source de revenu permanent pour vivre décemment avec nos familles. On compte toujours y revenir et demandons à l’Etat du Sénégal et à son Armée de nous accompagner dans cette volonté», a déclaré Djibril Badji, le chef de village de Singhère Diola.
Le deuxième adjoint au maire de Kaour n’a pu s’empêcher d’écraser quelques gouttes de larmes, à la vue de cette vague de populations venue trouver refuge à la mairie. Youba Sonko dit les avoir relogés à la salle de délibération de la mairie de Kaour, après concertation avec son staff. «J’ai été peiné de voir ces familles renvoyées de leur village et parmi eux des vieux, des femmes âgées et des tout-petits enfants. Je demande à l’Etat du Sénégal de venir en aide à ces populations qui ont fait 28 ans d’exil. Le MFDC demande l’indépendance de la Casamance et l’Etat du Sénégal n’entend pas lui céder une portion de terre. Moi, je pense qu’ils doivent s’asseoir autour d’une même table et trouver une solution à l’amiable au lieu de jeter en pâture de pauvres citoyens», a notamment indiqué le deuxième adjoint au maire de Kaour, une collectivité territoriale du Sud-ouest de Goudomp, proche de la frontière avec la Guinée-Bissau.
28 ANS D’ERRANCE ET DE DESESPERANCE !
Dans une déclaration, jeudi dernier 18 juin, relayée par la radio Sud Fm, la présidente de la Plate-forme des femmes pour la paix en Casamance, Ndèye Marie Thiam, a exprimé son regret à propos de l’absence de dialogue durant l’accalmie. «Avec l’accalmie constatée depuis une longue période, nous avions pensé que l’Etat du Sénégal allait entreprendre des négociations sérieuses avec les combattants du MFDC ; mais il n’en était rien. Et voilà que la rechute plonge à nouveau cette région dans une crise armée. Ce qui est malheureux pour les populations. Il est temps d’aller vers une solution définitive à ce conflit», a-t-elle fait observer à l’opinion. Les villages de Singhère Diola et de Bissine sont à l’abandon, depuis 1992. Et depuis, les multiples tentatives des habitants de retourner dans leurs villages natales n’ont pas abouti. Le Mouvement des forces démocratiques de Casamance tient à contrôler la zone. Mais, ces derniers jours, l’Armée y a renforcé sa présence et les échanges de tirs opposent les deux camps. Et l’explosion, lundi dernier, d’une mine à Bissine, dans la commune de Adéane, ayant fait deux morts dans les rangs de l’Armée, entre dans le sillage de ces hostilités. Mais, l’Armée, de son côté, rassure avoir le contrôle de la situation. Toutefois, les poses macabres d’engins explosifs inquiètent. D’ailleurs, une des mines anti char est découverte avant-hier, jeudi matin 18 juin, sur la piste qui mène vers la nouvelle carrière de Mandina Mancagne, un village riverain à la commune de Ziguinchor. Alertés par les populations, les militaires en position dans la zone l’on fait exploser.
LES VELLEITES DE REPRISE DU CONTROLE DE LA ZONE PAR L’ARMEE IRRITENT LES REBELLES
Plusieurs sources généralement bien informées renseignent que «la reprise des hostilités dans cette partie sud du pays fait suite à la volonté de l’Armée sénégalaise d’ouvrir une base militaire à Bissine Diola. «Ce cantonnement est fonctionnel depuis le lundi 4 mai. Et, depuis l’ouverture de cette unité avancée, les belligérants ont commencé à se regarder en chiens de faïences», a déclaré Mamadou Nkrumah Sané. Il assimile ces opérations de l’Armée à de la provocation. «C’est une provocation. Comment le gouvernement, à travers Robert Sagna et le GRPC (Groupe de recherche pour la paix en Casamance), veut nous faire croire qu’il veut négocier et, en même temps, chercher à s’approcher de nos camps ?», s’interroge Nkrumah Sané. Pour certains, «cette zone de Boussoloung est sous le commandement d’un chef rebelle nommé René, un des rescapés du démantèlement de la base rebelle de Bindialoum par l’Armée, en février 2018».
DES DISCORDANCES AU SEIN DU MFDC
Bien avant cette reprise des hostilités dans la zone de Bissine Diola et de Singhère Diola, des bruits de bottes faisaient entendre des discordances au sein du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Le bureau politique avait excommunié les sieurs Téréma Mané et Aliou Coly qui figuraient parmi les responsables dans le secteur de Bignona. Par la suite, la méfiance s’était renforcée, avec des supposés «facilitateurs du dialogue». Aussi, fait-on remarquer, «la proximité» d’Ibrahima Compass Diatta avec l’ancien maire de Ziguinchor, Robert Sagna, coordonnateur du Groupe de recherche pour la paix en Casamance (GRPC) à l’occasion, notamment des rencontres de Ziguinchor, Cap-Skiring et de Guinée-Bissau. D’autres sources annoncent l’arrestation, la semaine dernière, de César Diatta par les Forces Armées sénégalaises et dont le frère aurait succombé à une crise cardiaque, à l’annonce de cette nouvelle. C’est donc sur ces entrefaites que la situation s’est dégradée sur le terrain, pour le contrôle de la zone considérée comme un «No man’s land», depuis près de vingt ans.
Cette recrudescence de la violence risque fort de compromettre la recherche de solution, notamment avec l’approche de la Coordination sous-régionale des Organisations de la société civile pour la paix en Casamance (COSCPAC), forte de 176 structures dont 20 de la Guinée-Bissau et 26 de la Gambie. Cette COSCPAC avait le mérite de fédérer plusieurs factions et engager des actions décisives auprès des autorités sénégalaises et de bien d’autres acteurs influents des pays voisins pour tracer le chemin de la paix. Hélas ! Une grosse pierre vient de s’y poser. Mais, peut-être que la volonté des différents acteurs d’aller vers une paix définitive en Casamance pourrait relancer la machine du dialogue franc et sincère entre les parties en conflit ouvert depuis 1982, début de la crise armée.