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"J'ai choisi de pardonner à ceux qui m'ont enlevée et ont abusé de moi"

Rédigé par Dakarposte le Dimanche 12 Mars 2017 à 18:57

La journaliste Amanda Lindhout était partie en Somalie pour couvrir la guerre qui fait rage. Elle n'aura eu le temps d'écrire qu'un seul article : Personne n'est en sécurité en Somalie. Quelques jours plus tard, en août 2008, elle a été kidnappée avec Nigel Brennan, son photographe, par une milice islamiste sur une route de Mogadiscio. Durant 460 jours, elle restera (seule femme) captive d'un groupe de miliciens islamistes. Un long séjour en enfer qu'elle raconte dans un livre poignant.

Après plusieurs mois de captivité, les ravisseurs font croire à Amanda et Nigel que leurs accompagnateurs somaliens ont été exécutés. Le couple décide de tenter de s'enfuir par la fenêtre des toilettes. « Avec un peu de travail de grattage à l'aide d'un coupe-ongles, il semblait possible de dégager quelques rangées de briques pour se glisser dehors. » Comme dans un film d'évasion, le couple parvient finalement à échapper à ses geôliers. « Nous avons commencé à courir dans la rue comme des possédés. Nigel hurlait "I caawin, i caawin", les mots somalis signifiant "A l'aide". » Mais très vite, leurs ravisseurs en armes les rattrapent. « Seule une femme s'est interposée pour me venir en aide. Elle s'est jetée sur moi pour me protéger de son corps et a résisté jusqu'à ce que je sois littéralement arrachée de ses bras. Aujourd'hui, quand je pense à la Somalie, je pense à elle. Je revois son visage, son voile arraché, ses yeux remplis de larmes. Je n'ai (...)

 

Les conditions de leur détention s'aggravent. L e couple est battu, puis entravé avec des chaînes. La situation devient terrible pour Amanda, considérée par ses bourreaux comme la responsable de l'évasion. Séparée de Nigel, enfermée seule dans une pièce sans fenêtre, la jeune journaliste est quotidiennement battue, violée et affamée. « Ils me traitaient désormais comme une prise de guerre, et non plus comme un être humain. Certains garçons étaient pires que d'autres [...], avoue-t-elle pudique et digne. La mort a commencé à me paraître accueillante. Je me suis sentie approcher du seuil à partir duquel je ne pourrais plus rien supporter, celui où mon esprit se briserait. »
Pendant ses longs mois de torture, face au gouffre de désespoir dans lequel elle aurait pu sombrer, Amanda fait preuve d'un mental extraordinaire et d'un instinct de survie hors du commun. « Par la pensée, je me suis construit des escaliers. Au bout de ces escaliers, j'imaginais des chambres jusqu'à construire toute une maison. Je m'y projetais et c'est là que je vivais, à l'abri et protégée. C'était un apaisement. Je me remémorais le rire de mon père et la cuisine de ma mère. A l'intérieur de cette maison dans le ciel, tous ceux que j'aimais venaient partager un repas de fête. C'était là que mes voix intérieures, chargées de terreur et aspirant à mourir, se taisaient. »

 

Les ravisseurs demandent 1,5 million de dollars par otage. Une somme astronomique que les familles sont incapables de réunir. Puisque les gouvernements canadiens et australiens refusent de payer la rançon, les familles d'Amanda et de Nigel décident de collaborer et faire appel à AKE Group, société privée de sécurité, pour les épauler dans ces négociations. Mais après plus de 400 jours de détention, les geôliers perdent patience et parlent de revendre les otages à un groupe terroriste somalien plus organisé : Al-Shabaab. « Il y a d'autres hommes impatients de vous acheter, nous dit un geôlier. Al-Shabaab dispose de suffisamment de ressources financières pour vous garder en vie jusqu'à ce que la totalité de la rançon soit versée. Ils peuvent attendre dix ans », conclut-il. Quelques semaines après cette annonce, le couple est transféré en voiture vers une destination inconnue. « J'étais certaine que nous avions été revendus à Al-Shabaab, se souvient Amanda. J'ai eu le sentiment d'entamer un nouveau plongeon dans le vide. Comme moi, Nigel était terrorisé. » Soudain, la voiture s'est arrêtée, encerclée par une quarantaine d'hommes brandissant leurs AK-47. « Je ne pouvais m'empêcher de pleurer, de crier des paroles incompréhensibles, de repousser tous ceux qui s'approchaient de moi. »

 

« Un Somalien aux cheveux gris est apparu à la fenêtre de ma portière, un téléphone collé à l'oreille. Il s'est penché et nous a dévisagés. "Pourquoi pleurez-vous ?", m'a-t-il demandé. Puis il m'a tendu son téléphone. "Tenez, c'est votre mère, parlez-lui." J'ai alors entendu la voix de ma mère : "Allô ? Allô ? Amanda, tu es libre !" » 463 jours, soit 15 mois après avoir atterri en Somalie, Nigel et Amanda quittent le pays en avion, destination Nairobi, capitale du Kenya voisin, afin d'être hospitalisés. « Maman m'attendait sur le trottoir devant l'hôpital. Nous avons fondu toutes les deux en larmes. Elle ne cessait de me répéter : "Tu t'en es sortie, tu t'en es sortie, tu t'en es sortie... " » Six mois après son retour au Canada, Amanda a créé une organisation caritative baptisée Global Enrich-ment Foundation (Fondation pour un enrichissement global) afin de favoriser l'éducation en Somalie. « Je suis retournée une dizaine de fois en Somalie, sous bonne escorte, cette fois. »

 

Depuis, les droits de son livre ont été vendus à une productrice d'Hollywood. La vie d'Amanda va être prochainement adaptée sur grand écran. Enfin, un organisateur du kidnapping, Ali Omar Ader, a été arrêté par la police canadienne. Il attend son procès en prison à Ottawa. « J'ai choisi de pardonner à ceux qui m'ont enlevé ma liberté et ont abusé de moi en dépit du mal absolu qu'ils m'ont fait. Aujourd'hui, être libre est une chose que je ne considérerai plus jamais comme allant de soi. Je suis reconnaissante pour n'importe quel plaisir. Les regrets sont inutiles », conclut Amanda avec une sagesse étonnante.



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