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Ismaïla Madior Fall : "Le Président peut révoquer un maire en dehors et avant le…"

Rédigé par Dakarposte le Lundi 3 Septembre 2018 à 14:27 modifié le Lundi 3 Septembre 2018 - 14:29

Depuis la révocation de Khalifa Sall de ses fonctions de maire de la Ville de Dakar par le président de la République, vendredi dernier, après la confirmation en appel de sa condamnation à cinq ans de prison, la polémique s'est installée, pointant une décision précipitée et illégale. Que nenni ! On peut même dire que c'est exactement le chemin inverse qu'a emprunté Macky Sall, à la lecture des éclairages inédits qu'apporte, dans cet entretien, Ismaïla Madior Fall, ministre de la Justice, qui a revêtu sa robe de professeur agrégé de Droit public.

Quel est votre commentaire sur la révocation du maire de la Ville de Dakar, Khalifa Sall ?
La question de droit qui se pose est la suivante : le Président de la République peut-il révoquer un maire à qui il est reproché ce qui est reproché au maire de la Ville de Dakar avant l'intervention d'une condamnation pénale définitive ? J'ai entendu beaucoup de commentateurs- des avocats, enseignants en Droit et militants des droits humains- se prononcer sur la question, en indexant le caractère illégal de la décision. Ils se sont trompés parce qu'ils sont allés chercher la réponse là où il ne faut pas, à savoir dans la procédure pénale, avec l'éventualité d'un pourvoi en cassation. La réponse n'a rien à voir avec ceci. Aussi, la citation de la disposition de la loi organique sur la Cour suprême relative au caractère suspensif du pourvoi est hors sujet.

Où se trouve alors la réponse ?
La réponse est simplement et exclusivement dans le Code général des collectivités territoriales (Cgct) en ses articles 135 et 140 qui prévoient les fautes pour lesquelles le maire peut être révoqué. En dehors du cas de condamnation pour crime, où la révocation est de droit, le texte ne parle plus de la nécessité d'une condamnation pour qu'il y ait révocation. A cet égard, il leur faut bien relire ces textes.

Dès lors qu'il est reproché au maire et qu'il est entendu ou invité à fournir des explications écrites ; ce qui est le cas dans un rapport d'inspection, sur certaines fautes listées par l'article 140 du Cgct (utilisation des deniers publics de la commune à des fins personnelles ou privées, faux en écriture publique authentique visés au Code pénal, faux commis dans certains documents administratifs, dans les feuilles de route et certificats visés au Code pénal), le ministre chargé des Collectivités territoriales peut le suspendre pour trois mois et le Président de la République peut proroger la suspension ou le révoquer en dehors et avant toute poursuite judiciaire. La révocation peut et devrait même intervenir avant le déclenchement des poursuites judiciaires. C'est ce qu'indique d'ailleurs l'article 140 du Cgct : "La sanction administrative ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires".


"Le Président Macky Sall, n'a pas voulu précipiter les choses. Mais, il a eu plusieurs opportunités de révoquer, de manière parfaitement légale, Khalifa Sall."


Il n'y a donc pas de relation de cause à effet, de conditionnalité entre la condamnation d'un maire et sa révocation ?
Pas du tout. La procédure de révocation d'un maire relève exclusivement du droit des collectivités territoriales et consiste en une mise en œuvre de ce qu'on appelait autrefois la tutelle sur les personnes. Même si le terme n'existe plus, la réalité du pouvoir au profit de l'autorité centrale de substitution et de révocation des maires est encore en vigueur dans l'ordonnancement juridique.

Il faut donc que ce soit définitivement clair : le Président de la République n'est pas obligé d'attendre une simple condamnation, a fortiori une condamnation définitive, pour procéder à la révocation d'un maire. Aujourd'hui, la révocation du maire peut intervenir de la production du rapport de l'Inspection générale d'État à la cassation. Il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire du choix du moment par le Président dès qu'il y a un rapport d'inspection qui a permis à l'intéressé de s'expliquer sur les faits à lui reprochés. Tous ceux qui disent le contraire ont tort de bonne foi ou de mauvaise foi.

Pourquoi avoir attendu maintenant pour la révocation ?
Très bonne question. Le Président Macky Sall, très respectueux de l'État de droit, des libertés et de la dignité des personnes, n'a pas voulu précipiter les choses. Je pense aussi sincèrement qu'ayant été maire, contrairement à ses deux prédécesseurs, il a un réflexe protecteur des maires. Mais, il a eu plusieurs opportunités de révoquer, de manière parfaitement légale, Khalifa Sall.

Première opportunité : dès lors que l'Ige qui a entendu le maire a produit son rapport, le Président pouvait immédiatement le révoquer avant que ne soient déclenchées les poursuites judiciaires. Dans des circonstances pareilles, Senghor révoquait, Diouf de même et Wade aussi. Macky Sall, lui, a refusé en considérant qu'il fallait respecter la dignité du maire et que la Commission des fautes devait davantage être étayée.

Deuxième opportunité : dès l'inculpation du maire avec mandat de dépôt qui l'oblige à être garder en prison et à ne plus être disponible pour la Ville, le Président pouvait révoquer. Mais, là encore, il n'a pas accepté de révoquer.

Troisième opportunité : la condamnation du maire par le Tribunal de grande instance. Le Président n'accepte encore de révoquer, préférant laisser l'appel confirmer ou infirmer la première instance. Dans tous les pays du monde, un maire accusé ou mis en examen, même à tort, démissionne ou est révoqué. Ici, ni démission ni révocation.

Quatrième opportunité : la condamnation du maire par la Cour d'appel. Là, le Président Sall accepte, enfin, de procéder à la révocation du maire parce que sur le plan processuel, la question de la culpabilité est définitivement réglée par toutes les juridictions de fond (Tribunal de grande instance et Cour d'appel).

Ironie de l'histoire. Aujourd'hui, ceux qui ne comprennent pas les textes exigent une condamnation pénale définitive alors que ces derniers ne le prévoient même pas pour la révocation d'un maire. D'ailleurs, il y a  un précédent : désormais, un maire accusé, voire condamné sur la base des infractions prévues par l'article 140, pourra se prévaloir de ce précédent et demander à garder, même en prison, l'administration de sa ville pendant toute la durée des poursuites.

Pourquoi avoir évoqué les décisions de justice dans le décret de révocation ?
L'évocation du jugement du Tribunal de grande instance et de l'arrêt de la Cour d'appel répond juste au souci de renforcer la motivation de l'acte par des éléments administratifs mais aussi par des décisions rendues par les juridictions de fond qui sont seules compétentes pour se prononcer sur les faits et la culpabilité. Si le décret de révocation devait intervenir avant les poursuites, il se serait contenté, comme tous les décrets de révocation, de l'histoire administrative du Sénégal et des éléments contenus dans le rapport de l'Ige.

Pourquoi donc tant de bruits pour quelque chose d'ordinaire ?
Si c'était appliqué à un maire d'une commune ordinaire, comme ce fut le cas avec Mbaye Ndiaye aux Parcelles assainies et d'autres, il n'y aurait aucun problème. Mais là, il s'agit d'un candidat à la présidentielle. Tout se passe, aujourd'hui, dans notre pays comme si le statut de candidat à la présidentielle donne droit à des droits auxquels les autres Sénégalais n'ont pas droit.

"Khalifa Sall reste député. (Mais) le député qui fait l'objet d'une condamnation pénale définitive peut être radié de la liste des parlementaires."

 

Dans l'histoire, comment cette question a été traitée jusqu'ici ?
Le Président Senghor, dès qu'il y avait des rapports d'inspection, révoquait immédiatement les maires indélicats et procédait, dans certains cas, à l'installation des Délégations spéciales. A Dakar, il a même supprimé le poste de maire de 1964 à 1983. De 1964 à 1979, la commune-région de Dakar était administrée par le gouverneur de la région du Cap-Vert. A partir de 1979, un fonctionnaire administrateur de la commune de Dakar est nommé. Ce n'est qu'en 1984 que Dakar a eu son premier maire.

Le Président Diouf procédait de la même manière. Wade aussi. Macky Sall est le premier Président du Sénégal qui, en presque sept ans, n'a jamais révoqué un maire, ni installé une Délégation spéciale. C'est aussi le premier qui, alors qu'il n'y est pas obligé par le droit, attend deux décisions de justice pour révoquer un maire. Il va être difficile de trouver dans le monde cette attitude de tolérance du pouvoir central envers l'autorité locale. A noter que pour la présidente du Conseil départemental de Bambey, sa révocation était de droit pour cumul excessif de mandats.

Après cette condamnation, Khalifa Sall peut-il rester député ?
Il reste député. Et c'est là où l'argument de la condamnation pénale définitive est pertinent. Le règlement intérieur de l'Assemblée nationale prévoit, en effet, que le député qui fait l'objet d'une condamnation pénale définitive peut être radié de la liste des parlementaires après une condamnation pénale définitive. Il ne devait plus être maire depuis longtemps, mais doit rester député jusqu'à son éventuelle condamnation définitive.

J'ai vu des gens qui ne comprennent rien au droit faire circuler un arrêt de la Cour suprême de 2012 qui annule la révocation d'un policier dont la condamnation pénale définitive n'était pas intervenue. C'est une décision qui se justifiait parce qu'il y a un texte, le statut de la police, qui exige une condamnation pénale définitive. Mais, pour la révocation d'un maire, aucun texte ne l'exige.

"Notre chance au Sénégal, c'est qu'on a un peuple mûr, qu'on ne peut pas mobiliser sur des questions d'arrière-garde."

 

Certains ont parlé d'acharnement contre le désormais ancien maire de Dakar, de violation de ses droits; une Ong s'activant dans la défense des droits humains allant même jusqu'à commettre un rapport qui a épinglé le Sénégal ?
Pour un citoyen ordinaire, le traitement judiciaire d'une affaire pareille prend beaucoup moins de temps. Mais, dans l'affaire Khalifa Sall, les recours sont multipliés, les procédures à dessein ralenties et les avocats prenant tout leur temps. Même pour le délibéré, les juges renvoyaient à un mois alors que c'est quelques jours pour d'autres affaires, et on parle de précipitation. On parle aussi d'acharnement contre quelqu'un qui aurait pu être révoqué depuis longtemps et qui, tout en étant en prison depuis bientôt deux ans, administre la capitale.

Il faut regarder ce qui se passe partout dans le monde : les maires accusés démissionnent ou sont révoqués. Mais, le Sénégal est un pays des droits de l'Homme et de tolérance, peut-être même un peu trop de tolérance d'ailleurs. Des journalistes, dans des chroniques, des politiciens, dans des discours, insultent le Président, les institutions, les magistrats et ne sont nullement inquiétés. Il faut savoir raison garder. La lutte pour le pouvoir n'autorise pas tous les dérapages.

J'ai reçu les patrons d'une Ong des droits humains basée au Sénégal, je leur ai dit, en présence de leur représentant, que le Sénégal est un pays historiquement et culturellement attaché aux droits humains avec des preuves à l'appui et que les rapports qui leur sont fournis par leur représentant local souffrent de méthodologie pertinente, manquent d'impartialité, contiennent des informations erronées et se focalisent plus sur les questions politiques que sur les questions de droits humains en défendant surtout sélectivement deux candidats à la présidentielle poursuivis pour leur gestion des deniers publics que les citoyens ordinaires.

S'agissant du parrainage qui a soulevé une énorme polémique ces derniers mois, la tournure des choses semble donner raison au pouvoir exécutif…
Il en va du parrainage comme il en va de toutes les questions fondamentales de notre gouvernance démocratique : l'opposition rue dans les brancards contre les décisions du pouvoir. Mais, au final, l'histoire donne toujours raison au Président Macky Sall. Par exemple, comment allait-on gérer la présidentielle avec une centaine de candidats sans le parrainage ? Notre chance au Sénégal, c'est qu'on a un peuple mûr qu'on ne peut pas mobiliser sur des questions d'arrière-garde comme la libération de personnes poursuivies en justice pour reddition des comptes ou la contestation de lois salutaires pour la démocratie comme le parrainage, un peuple mûr doté d'une grande capacité de discernement.
 

Auteur: Yakham C. N. MBAYE - Le Soleil

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